1er décembre 2017 : un cru critique

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Initiative1er décembre 2017

Le 1er décembre, s’est tenue, à Paris, la traditionnelle marche pour la Journée mondiale de lutte contre le sida. Seronet y était et en profite, au passage, pour revenir sur quelques infos importantes qui ont jalonné cette journée si particulière… pour qui s’intéresse à ce combat.

"Sida, c’est quand qu’on guérit ?" Pour la manifestation du1erdécembre à Paris, Act Up-Paris, organisateur de l’événement, avait choisi un curieux slogan ; pas suffisamment tranchant pour donner la pleine mesure de l’impatience qu’on trouve — enfin — LA solution thérapeutique à cette maladie ; un poil enfantin ; nettement en deçà de la force, réelle, de l’appel à manifester publié à cette occasion. Mais bon, il était manifestement dans l’air du temps puisque le "Figaro" avait choisi comme sujet de sondage le même thème. Sur le site du quotidien, on demandait ainsi aux lectrices et lecteurs de répondre par oui ou non à cette question : "Pensez-vous qu’on pourra un jour guérir du sida ?". Un peu comme on pourrait demander : "Pensez-vous un jour que l’être humain ira sur Mars ?"

Résultat ? Suspens. Les votes étaient encore ouverts le 2 décembre…

La relative faiblesse du slogan 2017 n’a pas joué sur la mobilisation à une manifestation qui tient toujours bon malgré des conditions climatiques assez pénibles — question de saison. Quelle idée d’arpenter les rues, parfois de s’y coucher, début décembre, dans le froid, l’humidité… du moins sous nos latitudes ? La grande manifestation parisienne (quelques centaines de personnes) avait pour point de ralliement… et de départ, la place de la République. Objectif du parcours ? Une arrivée à la halle des Blancs-Manteaux où Act Up-Paris organisait (1eret 2 décembre) la première "Fight aids Paris Week", un événement militant et politique avec ateliers, commémorations, débats, stands associatifs… sur les enjeux de la lutte contre le sida. Pour son édition 2017, la marche a emprunté, une nouvelle fois, les rues du Marais (rues du Temple, Turbigo, Beaubourg, Renard, Verrerie, Archives, Francs Bourgeois et Vieille-du-temple). Comme un défilé mobilisateur et un pèlerinage commémoratif au cœur d’un quartier connu comme celui d’un des groupes les plus exposés au risque d’infection…

Auparavant, plusieurs prises de parole se sont succédé, déclinant les enjeux de la lutte contre le sida aujourd’hui. Plusieurs militantes et militants ont lu l’appel à manifester des associations participantes. Giovanna Rincon (Acceptess-T) a également pris la parole. Les Sœurs de la perpétuelle indulgence ont béni les manifestantes et manifestants… comme le veut l’usage. Pendant ce temps, on avait tout loisir de voir les slogans retenus. On passait de : "Sida : pas d’économies sur nos vies" à "En colère parce qu’en France la santé n’est pas un droit pour tous". Sur des pancartes, on pouvait également lire : "Contre le sida ; militer + pour soigner +". Au pied de la statue de la République, se déployait une large banderole rouge : "Trans et femmes. Belle et vivantes en guerre contre le sida". De son côté, un jeune militant du MGA jeunes gays brandissait une pancarte où l’on pouvait lire : "Après Homophobiol, Sérophobiol ?", reprenant ainsi une campagne à succès de AIDES contre l’homophobie. On voyait aussi des slogans rappelant les basiques d’Act Up-Paris, du genre : "Collomb = contaminations".

Justement que traduit cette interpellation de l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb ? Une critique de la politique actuelle du gouvernement en matière de VIH ? "Sur la mandature actuelle, nous avons eu différents signaux", explique Rémy Hamai, président d’Act Up-Paris. "Sur le sida, on a vu, une fois, la ministre de la Santé à la conférence IAS, assurer le remplacement d’Emmanuel Macron qui ne voulait pas y aller. On l’a entendue plutôt frileuse sur la Prep, ou encore en recul avec l’abandon du tiers-payant généralisé. On a l’impression que ce n’est pas vraiment elle qui est aux manettes. Plus largement concernant le gouvernement l’idée de fonctionner à moyen constant sur le VIH et la solidarité internationale, Fonds mondial comme Unitaid, est une vraie erreur. Nous n’arriverons pas ainsi à atteindre les objectifs de fin du sida. Il y a encore 45 % des personnes séropositives dans le monde qui n’ont pas accès à un traitement. Il y a encore tellement à faire, dans le monde et en France, avec l’accès au TPE en CeGIDD, la vaccination HPV, la prise en charge des soins liés aux comorbidités comme pour l’ostéoporose et les restes à charge, qui participent à la précarité des personnes séropositives. Nous entendons des annonces concernant les discriminations, on voit des engagements d’élu-e-s avec un discours sur les minorités ou le VIH que nous développions depuis longtemps. Il y a des choses qui bougent. Après ce sont de bonnes idées mais nous attendons la mise en pratique", explique Rémy Hamai. "Il faut plus, maintenant, pour réussir à atteindre les objectifs. Même en France, les contaminations stagnent, elles touchent toujours beaucoup les pédés et les migrants, alors que des pays parviennent à infléchir l’épidémie. Nous n’y parvenons pas, notamment à cause de l’offre de dépistage qui est saturée et inadaptée à la vie des personnes". "Et surtout, mettre fin au sida, c’est bien, arrêter les contaminations aussi, mais c’est aussi et surtout ne pas oublier les personnes séropositives, ne pas les laisser au bord de la route. Ne pas oublier les problèmes de précarité, de rejet, de stigmatisation et de soins. C’est quand qu’on guérit aussi ? Il faut des traitements maintenant, mais un vaccin et une guérison et vite !", conclut-il.

"Il faut de l’argent et des droits, et pas uniquement sur le territoire national, mais aussi au niveau international", assène, de son côté, Christian Andreo, directeur général délégué de AIDES. "En France, il faut arrêter la chasse aux usagers de drogues, aux personnes migrantes et réfugiées, aux travailleuses et travailleurs du sexe. Cela vaut aussi dans certains pays d’Afrique, où l’on chasse les gays, les toxicomanes. Et cela veut dire aussi de l’argent pour donner l’accès à tous les outils de prévention existants, comme les traitements, et aux soins dans de bonnes conditions. C’est ce qui se passe en France — même s’il y a encore des reculs majeurs — et on l’espère de plus en plus ailleurs". "Concernant la politique de Macron, on attend, on ne sait pas vraiment quelle est la ligne. Il y a l’objectif de 5,5 % sur le développement, certes, mais on voudrait aller jusqu’à 7 %. Mais c’est de l’argent pour quoi faire ? Nous sommes toujours sur des annonces, une politique dont on ignore les vrais contours. C’est donc avec une grande vigilance qu’on attend la suite des événements, après ce 1er décembre", explique-t-il.

L’ensemble des interventions en amont de la marche était évidemment raccord avec un grand nombre d’arguments égrainés dans l’appel à la manifestation.Dans ce texte-là, il est question de "corps empreints de colère", d’une mobilisation qui vise à mettre fin "aux situations injustes qui les contaminent" ; de "corps sortis du silence" qui manifestent "pour qu’ils guérissent au plus vite". Elle vient sans doute de là l’idée du slogan 2017. Ce texte a le poids de formules vindicatives et d’analyses sans concession : "Il faut dire que les autorités mises en place contre le sida laissent délibérément aux mains du sida nos minorités, qui grossissent alors ses rangs en premier lieu. Quant aux antirétroviraux, ils n’ont pas résolu les difficultés sociales, économiques et affectives des [personnes séropositives]. Certes, ils maintiennent les vies, font qu’une personne en succès thérapeutique ne transmet pas le virus, mais ils ne sont pas sans conséquences sur les corps, et le virus est toujours là, terrain de jeu de nombreuses pathologies supplémentaires. On a oublié qu’on ne guérit toujours pas du sida, au point qu’on n’ose même plus se poser la question".

L’appel entendait aussi faire un sort à "ceux qui parlent de la fin du sida, alors que les moyens alloués à la prévention sont absents, que l’accès aux soins et aux droits est inégal, que les discriminations sur lesquelles pousse le sida perdurent". En regard de cet appel qui n’est pas sans forcer le trait (mais c’est la loi du genre), nous avons eu droit aux habituelles communications des institutions qui sont toujours bien contentes d’elles.

Ainsi un communiqué de la région Ile-de-France rappelle que la région est "plus que jamais engagée dans la lutte contre le VIH-sida". Une preuve : elle a donné plus d’1,5 million d’euros à la lutte contre le sida en 2017. Bon, il faut dire que la région n’a pas trop le choix puisque l’Ile-de-France reste la région métropolitaine la plus touchée par le VIH/sida : elle concentre 42 % des personnes ayant découvert leur séropositivité et près d'un tiers des personnes vivant avec le VIH en France habite cette région.

Satisfaction et communication aussi à la Mairie de Paris, mais là, on se plonge (un peu) dans les archives et dans une vision macro de l’engagement. Ainsi, la mairie rappelle encore qu’elle a engagé plus de 27 millions d’euros dans la lutte contre le VIH/sida… mais depuis 2001 et sur son volet international. Cette année, la mairie de Paris a multiplié les apparitions sur le VIH avec sorties multiples de l’adjointe à la maire de Paris chargée de la santé, Anne Souyris, notamment à la "Fight aids Paris Week", participation de la maire de Paris, Anne Hidalgo, au même événement.

L’AP-HP n’est pas en reste. Dans un communiqué (fin novembre), elle rappelle qu’elle "prend en charge et suit environ 75 % des personnes vivant avec le VIH en Ile-de-France, à toutes les étapes de la maladie". "Ses hôpitaux sont aussi impliqués dans la prévention et le dépistage, dans leurs enceintes et hors les murs, et dans la recherche", se félicite-t-elle. "Un focus est même consacré à la Prep (prophylaxie pré-exposition). Près de 80 % des personnes ayant initié la Prep en Ile-de-France en 2016 l’ont fait à l’AP-HP", indique d’ailleurs leur communiqué.

Justement sur la Prep… on en sait un peu plus sur le nombre de personnes qui la prennent. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a publié un point d’information sur l’"utilisation de la prophylaxie pré-exposition (Prep) au VIH par Truvada ou génériques entre janvier 2016 et juillet 2017".

Enfin de nouveaux chiffres… Ce sont donc 5 352 personnes qui ont initié une Prep par Truvada (ou génériques) entre janvier 2016 et juillet 2017 : 3 536 personnes pendant la période de RTU et 1 816 depuis la mise en place de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Ce nombre est en augmentation régulière, mais modérée, depuis fin 2016 avec entre 300 et 400 nouveaux utilisateurs par mois. Ce sont à 97,5 % des hommes, âgés en moyenne de 38 ans. Près de 49 % résident en Ile-de-France, 10,5 % dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et 9,9 % dans la région Provence Alpes Côte d’Azur. Par ailleurs : 92,2 % des prescriptions ont été réalisées à l’hôpital.

Pour tout dire, ce chiffre est très bas, trop ! Dans son tout dernier rapport (2017) "VIH/hépatites : la face cachée des discriminations", AIDES consacre un chapitre à l’accès à la Prep en France. "Un accès encore insuffisant pour endiguer l’épidémie", note l’association. "Près de deux ans après son introduction en France, la Prep – ou traitement préventif – peine à se diffuser auprès de l’ensemble des populations les plus vulnérables aux infections par le VIH. La précarité économique et sociale, ainsi que les différences de structuration communautaire des différents groupes concernés, engendrent des inégalités dans l’accès à l’information. En outre, la Prep reste sujette à des représentations moralisantes qui entravent son acceptabilité. Des obstacles demeurent également en termes d’accessibilité. Enfin, un certain nombre de contraintes qui pèsent sur la bonne observance du traitement sont susceptibles de venir décourager son suivi", explique l’association, qui détaille tous ces éléments dans son rapport.

Dans leur appel à la manifestation, Act Up-Paris et les associations signataires (1) demandent de ne pas oublier les personnes vivant avec le VIH car "la fin du sida passera nécessairement par leur guérison". Et les signataires de réclamer que "tout soit mis en œuvre au plus vite pour la guérison des [personnes vivant avec le VIH]". "L’Etat ne favorise pas et ne soutient pas la recherche à un juste niveau, que cela soit pour les financements, la formation des chercheurs et chercheuses et la capacité à les attirer ou à les retenir en France. Dans une logique de réduction des finances publiques, les budgets de recherche médicale ont subi des coupes de financement ces dernières années. Par chance, le budget de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales n’a pas subi d’amputation importante, à défaut d’augmenter".

Dans le collimateur des associations, on trouve aussi l’industrie pharmaceutique qui est "trop favorisée". "Elle presse jusqu’aux dernières gouttes les mannes financières d’un système de brevets et de rachats d’innovations, issues de la recherche publique ou privée, garantissant des marges financières astronomiques, au détriment de l’accès aux traitements de près de 40 % des [personnes vivant avec le VIH] du globe (…) Les Etats se rendent complices de l’industrie pharmaceutique en n’agissant pas sur les prix des médicaments, notamment par leur non recours aux licences d’office, et en laissant l’industrie pharmaceutique attaquer d’autres Etats qui agissent pour un meilleur accès aux traitements".

Quels jugements sur la politique actuelle de la France en matière de VIH ? Celui des signataires est net. "Les politiques menées par le nouveau gouvernement continuent d’alimenter l’épidémie : orientations austéritaires et répressives, sous-financement des hôpitaux, coupes budgétaires de la solidarité internationale et de l’aide aux personnes migrantes, effacement du ministère de la Santé face au ministère de l’Intérieur (2), mépris des conventions internationales en matière de migrations et de droits, absence remarquée du président, contrairement à l’usage de ses prédécesseurs, à la conférence de recherche sur le VIH/sida de l’International Aids Society de juillet dernier à Paris", dénoncent les signataires. Certains de ces points font aussi la trame d’une excellente tribune "Sida : l'horizon "zéro transmission" sera politique ou ne sera pas", de François Berdougo et Gabriel Girard (3), publiée dans "Libération" (30 novembre). "Dans de nombreux pays du monde, l’épidémie est concentrée dans des communautés spécifiques. En France, c’est le cas des hommes gais et bisexuels ou des personnes originaires d’Afrique sub-saharienne. Ces populations représentaient, en 2015, les deux tiers des nouveaux diagnostics. Preuve que les inégalités socio-économiques, le racisme ou l’homophobie demeurent des facteurs de la diffusion du virus", constatent les auteurs. "Mieux répondre à ces constats nécessite de changer les conditions légales et sociales des minorités. L’égalité des droits en est une des facettes, mais il y a souvent de grands écarts entre l’égalité formelle et l’égalité réelle. Sans politiques volontaristes d’éducation et de sensibilisation, les discriminations et les violences continueront à marquer le vécu de trop nombreux individus". Et les deux militants d’affirmer : "Mettre fin au sida nécessite une volonté politique durable. Autrement dit, l’engagement ponctuel ou le soutien du bout des lèvres ne sont plus des options acceptables (…) La fin de l’épidémie ne saurait se réduire à des considérations médicales ou pharmaceutiques : une telle ambition nécessite de mettre les droits humains au cœur des décisions politiques".

Du côté international, comme à l’habitude, c’est à une succession de chiffres, de rapports, d’avis, mais aussi de reportages qu’a donné lieu la Journée du 1erdécembre. Dans son traditionnel message à la presse, le patron de l’Onusida, Michel Sidibé a disserté sur le thème de cette année : le "droit à la santé". "Le droit à la santé fait partie des droits fondamentaux des droits de l’homme : chacun a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale (…) Le monde n’atteindra pas les objectifs de développement durable, et notamment l’objectif de mettre fin à l’épidémie de sida d’ici 2030, si les personnes ne parviennent pas à obtenir le droit à la santé", a-t-il indiqué. En axant son propos sur le fait que le "droit à la santé est corrélé à un large éventail d’autres droits". Dans cette déclaration, on voit toute la difficulté qu’il y a à trouver le bon point d’équilibre dans une journée unique où l’on doit, tout à la fois, se souvenir des personnes disparues des suites du sida, rappeler sa solidarité avec tous ceux et celles qui vivent avec le VIH ou qui sont affectés par le VIH et manifester son engagement dans la lutte contre l’épidémie. "Malgré tous nos succès, le sida n’est pas encore terminé. Mais en s’assurant que chacun, partout, puisse obtenir le droit à la santé, il peut l’être", veut croire Michel Sidibé.

(1) : Acceptess-T, Actions Traitements, AIDES, Arcat, Au-delà du genre, le Baam, Bi’Cause, le Centre LGBT de Normandie, le Centre LGBT Paris Ile de France, le Centre LGBTI Équinoxe à Nancy, le CGLBT Rennes, Collectif Archives LGBTQI, Collectif Education contre les LGBTIphobies, Collectif Intersexes et Allié-e-s, Élus Locaux Contre le Sida, FièrEs, l’InterLGBT, Gay’T Normande, le Kiosque Infos Sida et Toxicomanie, le Mag Jeunes LGBT, Nosig - Centre LGBTI+ de Nantes, NRJKIR Paris 8, Orage, Les Ours de Paris, le Planning Familial, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence - Couvent de Paname, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence - Couvent de Paris, Santé Info Solidarité (SIS)-Animation, Sid’Accueil Normandie, Sidaction, Sol En Si, Solidarité Sida, SOS-Hépatites, Stop Homophobie, le Strass, le Witch Bloc Paname, Gay Games Paris 2018, la Fédération LGBT, Solidaires Etudiant-e-s, etc.
(2) : passage de l’évaluation en matière de droit au séjour pour raisons de santé des agences régionales de santé (sous tutelle du ministère de la santé) à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (sous tutelle du ministère de l’Intérieur).
(3) : Gabriel Girard et François Berdougo sont les co-auteurs de "La fin du sida est-elle possible ?", paru le 22 novembre aux Editions Textuel.