1er décembre : des hommages et des revendications

Publié par jfl-seronet le 02.12.2019
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Initiative1er décembre 2019

La 31e édition de la Journée mondiale de lutte contre le sida a été l’occasion pour la ville de Paris de rendre hommage à Act Up-Paris et à Cleews Vellay, ancien président de l’association. Cette édition parisienne 2019 a eu son lot d’attaques contre Emmanuel Macron (Act Up-Paris), et surtout la mise en avant de revendications par les autres ONG pour que l’État fasse mieux et plus vite, notamment en ouvrant encore l’accès aux autotests et en poussant à une démédicalisation du dépistage.

Samedi 30 novembre, l’équipe municipale parisienne (la maire de Paris, Anne Hidalgo, en tête) a inauguré la promenade Cleews Vellay, en mémoire de l’ancien président d’Act Up-Paris, mort du sida, comme le mentionne la plaque commémorative. Une plaque a également été apposée au 44 rue René Boulanger dans le 10e arrondissement (adresse du premier local d’Act Up-Paris) en hommage à l’association, qui fête ses trente ans cette année. Sur son site, la mairie de Paris a expliqué que ce temps d’hommage (très suivi par des militants-es et personnalités de la lutte contre le sida) « permettra de se souvenir des plus de 10 000 Parisiens-nes morts-es du sida dans les années 1990 et de saluer le travail homérique de Cleews Vellay et des militants-es d’Act Up-Paris ». « Association des sans voix et des exclus-es, Act Up-Paris a changé la donne de la lutte contre le sida, maladie politique ». « En faisant émerger la parole à la première personne des séropositifs-ves, des homosexuels, des usagers-ères de drogues et de toutes les minorités dévastées par l’épidémie, en faisant surgir dans l’espace public des formes d’action radicales face à l’urgence de l’hécatombe, en développant une expertise puissante contre les pouvoirs institués, Act Up-Paris a marqué l’histoire de notre ville et légué aux générations suivantes un héritage politique essentiel », indique le service de presse de la municipalité. C’est Yves Grenu, ancien archiviste d’Act Up-Paris, qui est à l’origine du projet de nommer un lieu parisien en hommage à cette figure militante de la lutte contre le sida. Pour celles-ceux qui ne connaissaient pas Cleews Vellay, on vous recommande de lire le très bon portrait que Les Inrocks lui ont consacré.

La veille de l’hommage à Cleews Vellay (29 novembre), Libé annonçait la disparition de Ludovic Bouchet… qui fut l’un plus jeunes militants d’Act Up-Paris. Adolescent, vivant avec l’hémophilie, infecté par le VIH à la suite d’une transfusion sanguine, Ludovic Bouchet a milité aux côtés de sa mère Joëlle, durant des années. Il avait inspiré l’un des personnages du film 120 battements par minute, de Robin Campillo. Il est mort à l’âge de 44 ans. Il avait rejoint Act Up-Paris, il y a 27 ans, rapporte Libé.

Dimanche 1er décembre, un grand événement interassociatif était organisé place de la République à Paris par treize associations de lutte contre le sida (Arcat, Aides, Acceptess-T, Act Up-Paris, Actions Traitements, Aremedia, Basiliade, Île-de-France Prévention Santé Sida, Inter-LGBT, Les Petits Bonheurs, Séropotes, Sidaction et Sol en si) à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida. Au menu : il y avait des témoignages sur la vie avec le VIH, le Tasp, la Prep. On y a parlé prévention, mobilisation, discriminations. On y a échangé des informations, partagé des ateliers, etc. Cet événement s’est déroulé de 12h à 16h, pour enchaîner avec la traditionnelle marche du 1er décembre.

Cette année, Act Up-Paris, qui organise la marche, avait choisi de faire un sort à Emmanuel Macron. L’association avait choisi pour slogan de son affiche : « 2017-2022 : Macron promotion SIDA ». Pour ses trente ans, l’association a voulu mettre en avant ses combats (toujours d’actualité) « pour l'accès aux soins pour tous-tes, pour défendre avec force l'exceptionnalité du sida, pour lutter contre les discriminations, dans la défense des droits des minorités, des personnes LGBTQI, des travailleurs-ses du sexe, des personnes trans et intersexes, des personnes incarcérées et des usagers-ères de drogues ». « Dans notre histoire collective de luttes, comme dans nos histoires singulières face au VIH/sida, malgré cette possibilité de tomber, de mourir, de disparaître, nous avons été et restons systématiquement confrontés-es à la stigmatisation, au profond et récurrent mépris politique et social : de l'extrême-droite et de leurs porte-flingues médiatiques aux discriminations les plus violentes, assumées avec un sinistre cynisme par Emmanuel Macron et son monde », avance Act Up-Paris. « Les attaques anti-sociales, xénophobes, contre les quartiers populaires, contre les pauvres, contre les séropos et non contre les causes systémiques de la pauvreté, reflètent l'idéologie létale de la Macronie. Ces attaques frontales décomplexées et répétées à l'encontre des minorités, détruisent les êtres humains et leur imaginaire. Ce gouvernement et sa majorité parlementaire nous assaillent dans notre quotidien. Sans relâche », attaque l’association. Sont notamment ciblées les décisions en matière d’immigration, la politique concernant l'hôpital public, la restriction de l'accès soins et aux droits sociaux les plus élémentaires. « Non le sida n'est pas fini. Il ne le sera ni demain ni après demain ! », proclame Act Upt-Paris, qui met en cause le chef de l’État qu’elle considère comme le « promoteur du sida par un délitement éthique et une ignorance crasse des enjeux de santé publique, détruisant ainsi nos vies et nos espoirs collectifs. Sa responsabilité est historique en reniant toute responsabilité de la conscience ». L’association a évidemment des revendications comme « le maintien de l'accès à la complémentaire santé solidaire pour tout demandeur d'asile sans délais de carence », « l'intégration de l'Aide médicale de l’État (AME) au droit commun de la Sécurité sociale », « l'accès au matériel d'injection stérile en milieu carcéral », « l'accès universel au dépistage VIH/VHC/VHB/IST », la « démédicalisation et la déjudiciarisation des parcours de transition », « l'arrêt des mutilations intersexes », « l'abrogation de la loi de pénalisation des clients d'avril 2016 » et celle de « la loi de 1970 relative à l'usage de stupéfiants », etc.

De son côté, l’association Les Actupien-nes a distribué des préservatifs et des autotests de dépistage dans la rue. Dans un communiqué, elle a expliqué que les acteurs-rices de prévention ne peuvent distribuer gratuitement des autotests que dans le cadre d’associations agréées pour cela : celles qui ont l’agrément pour faire des Trod. Cette agrémentation est délivrée par les Agences régionales de santé. Dans son communiqué, l’association explique que « cette agrémentation spécifique » est « lourde à obtenir. C’est un frein à faire sauter ! » L’association cite d’ailleurs la récente note valant avis du CNS qui « vient de pointer la nécessité d’améliorer le dépistage du VIH en France et préconise de renforcer la diffusion des autotests, notamment en permettant aux associations d’en proposer ». S’appuyant sur les dernières données de Santé publique France, elle rappelle que « plus de 1 700 personnes (sur les 6 200 qui ont découvert leur séropositivité en 2018) étaient déjà à un stade avancé de l’infection ». C’est le signe que « se faire dépister, plusieurs fois, est crucial, en plus de se protéger ». Reste que de son point de vue : « tout est bloqué dans l’arrêté sur les autotests par le paragraphe liant distribution d’autotests et personnel associatif formé à l’utilisation des tests rapides d’orientation diagnostique de l’infection par les VIH 1 et 2 ». L’association demande donc que « les autotests [qui sont en vente libre en pharmacie, mais à un prix élevé : plus de 20 euros, ndlr] puissent être donnés par toute association de lutte contre le sida ou ayant une action dans le champ de la santé ». Elle réclame, également, que « la TVA sur les autotests soit définitivement à 5,5 % ».

Dans un contexte général, relativement satisfait des derniers résultats indiquant, au global, une baisse des nouvelles contaminations, le communiqué de presse du Conseil national du sida et des hépatites virales du 27 novembre a fait son effet. Dans une note valant avis, le Conseil estime qu’en « tout état de cause, les objectifs dits « 3 x 95 » (1) que la France s’était fixés d’ici à 2020 ne seront pas atteints »… et il le déplore. « Ces résultats sont d’autant moins acceptables que tous les outils permettant d’enrayer l’épidémie sont disponibles en France », indique le CNS, qui recommande qu’on fasse plus et mieux en matière de dépistage.

Dans un communiqué (29 novembre), AIDES a rebondi sur l’analyse du CNS. L’association note que le Conseil « salue les efforts fournis par les associations dans la promotion du dépistage et pointe les freins encore existants ». AIDES dit partager globalement ce constat et rappelle « une nouvelle fois aux autorités de santé publique qu’elles ne font pas tout ce qu’il faut pour donner accès à chacun et chacune au dépistage. Outil pourtant (…) reconnu comme pouvant mettre fin à l’épidémie ! » L’ONG critique aussi la qualité des données épidémiologiques, parlant de « données périmées ». « La démarche communautaire chère à AIDES nécessite, pour être optimale, l’accès à des données épidémiologiques précises et aussi actuelles que possible, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui car les dernières données dont nous disposons datent de 2018 ! », critique l’association. «  Comment cibler efficacement l’épidémie quand on ne sait pas en temps réel où elle se situe ? » « Cette situation est absurde : quel serait l’intérêt d’envoyer des pompiers sur le lieu d’un incendie qui a eu lieu un an plus tôt ? ! Ce manque de données à jour est un frein très clair dans l’élaboration et la mise en place de nos actions de dépistage », dénonce l’association. AIDES demande « un accès plus fréquent à des données épidémiologiques actualisées : c’est l’unique moyen de nous adresser aux bonnes personnes au bon moment, de devancer l’épidémie et à terme, d’y mettre fin ». Dans son communiqué (29 novembre), l’association a aussi défendu la « démédicalisation de l’offre ». Elle considère que c’est « une nécessité pour accroître l’accès au dépistage ». « Permettre aux militants-es de AIDES qui ne sont pas des professionnels-les de santé de proposer les outils de dépistage semble tomber sous le sens. Pourtant, acquérir l’autorisation de proposer des Trod (tests rapides) VIH et VHC a demandé un long travail de plaidoyer. Pire ! Aujourd’hui, nos militants-es qui ne sont pas habilités-ées pour le Trod ne peuvent légalement pas distribuer d’autotests, alors que le principe même de ceux-ci est de pouvoir être non seulement achetés sans ordonnance, mais surtout utilisés sans compétence médicale particulière » constate l’association. « Outre cette aberration, l’utilisation des Trod VHB (hépatite B) et l’envoi de kits d’auto-dépistages (qui permettent aux personnes de faire eux-mêmes des auto prélèvements pour dépister de potentielles IST) font aussi l’objet de discussions interminables pour nous permettre, peut-être, de les proposer aux personnes dans les mois à venir. Un temps précieux durant lequel nous laissons des personnes séropositives ou porteuses d’une IST de côté, avec la possibilité que ceux-ci transmettent sans le savoir leur(s) infection(s) », dénonce l’association. Et AIDES d’expliquer : « Nous le martelons, nous avons TOUS les outils de prévention et de dépistage nécessaires pour stopper l’épidémie. Encore faudrait-il pouvoir donner accès à ces outils ».

Comme on le voit, le frémissement dans les chiffres est diversement apprécié. « Nous assistons aux premières baisses des chiffres des découvertes d’infection à VIH chez les hétérosexuels-les et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) nés-es en France. Il faut cependant noter que les nouveaux diagnostics ont augmenté de 38 % entre 2013 et 2018 chez les HSH nés à l’étranger (2). Un chiffre qui traduit les freins à l’accès à la prévention et aux soins de ces populations particulièrement touchées par l’épidémie », ont ainsi rappelé les associations (3) à l’initiative de l’événement « VIH/sida : Prêts-es à y mettre fin ? », proposé le 1er décembre, place de la République. Les associations ont évidemment saisi le coche des futures élections municipales de mars 2020 « pour formuler un certain nombre de revendications, adressées aux candidats-es en lice pour la mairie de Paris, afin qu’ils-elles s’engagent à faire de la lutte contre l'épidémie un axe majeur de leur programme ». « Nous, associations de lutte contre le sida, sommes convaincues que ces exigences sont le seul moyen d’atteindre l’objectif de zéro contamination à partir de 2030, et de faire ainsi de Paris une ville sans sida ».

(1) : 95% de personnes diagnostiquées parmi les personnes infectées ; 95% de personnes sous traitement antirétroviral parmi les personnes diagnostiquées ; 95% de personnes en succès thérapeutique (charge virale indétectable : <50 copies/ml).
(2) : BEH, Santé Publique France, 26 novembre 2018.
(3) : Acceptess-T, Act Up-Paris, Actions Traitements, Afrique Arc- En-Ciel, Afrique Avenir, Aides, Arcat, Ardhis, Aremedia, Basiliade, Crips Île-de-France, David & Jonathan, Dessine-Moi Un Mouton, Inter-LGBT, Le Kiosque Infos Sida, Les Petits Bonheurs, Les Séropotes, Sidaction, Sol En Si, Solidarité Sida.