Sommet francophone sur la RDR : vers la banqueroute ?

Publié par Christian Andréo le 16.05.2017
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L’Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ) organisait le 13 mai le premier sommet francophone sur la réduction des risques liés aux drogues à Montréal, avant l’ouverture officielle de la 25e Conférence internationale en réduction des risques (International harm reduction conference) du 14 au 17 mai 2017.

En partenariat avec la Fédération addiction (France), le Grea (Groupement romand d’études des addictions, Suisse), la Fedito Bruxelles et Modus Vivendi (Belgique), l’AIDQ a proposé une rencontre permettant aux intervenant-es, chercheur-e-s, personnes usagères, ainsi qu’aux associations et organisations des réseaux de la francophonie de partager la connaissance, les meilleures pratiques, les programmes, les outils, les stratégies, les enjeux et les défis liés à l’utilisation des substances psychoactives.

En ouverture, Marie Nougier de l’IDPC, dont AIDES est membre, ainsi que Cinzia Brentani de l’Harm Reduction International ont proposé "un regard critique sur la cohérence et l’évolution des politiques sanitaires, sociales, économiques et sur les droits de l’homme en lien avec la réduction des risques".

Cinzia Brentani a présenté les données du rapport de HRI sur la situation de la réduction des risques dans le monde, le dernier date de novembre 2016. C’est la seule publication indépendante et produite en stricte collaboration avec la société civile qui propose une évaluation globale de la réponse aux épidémies liées à la consommation des drogues dans le monde.

On relève donc que 90 pays ont au moins un programme d’échange de seringues (dont seulement huit en prison et la France n’en fait pas partie malgré les espoirs suscités par les mesures prévues dans la loi de Santé). Par ailleurs, 80 pays proposent des traitements de substitution (dont 43 le font dans les prisons, dont la France).

En revanche, seulement 15 pays ont une proposition en réduction des risques à large échelle, couvrant quasiment l’ensemble du pays et 26 pays en ce qui concerne l’accès à la substitution.

Bien entendu c’est largement insuffisant au regard de l’ampleur du phénomène : dans un récent rapport l’Onusida estime qu’il y a 11,7 millions d’usagers de drogues par voie injectable dans le monde et des pays comme la Russie ne proposent rien aux usagers voire organisent la persécution des usagers de drogues.

Autres données préoccupantes, il n’y a AUCUN nouveau pays ayant commencé à mettre en place des programmes d’échanges de seringues depuis 2014. La situation stagne et c’est mauvais signe. Si 17 pays ont augmenté les sites d’échange de seringues, dans 20 pays ils ont été réduits. Pendant ce temps, l’injection de stimulants augmente et le VIH et l’hépatite C explosent dans certains pays de l’Europe de l’Ouest, en Russie et en Asie.

Dans un second temps, Cinzia Brentani a présenté des données sur la crise du financement international de la réduction des risques. La première donnée est… qu’il y a peu de données, c’est la raison pour laquelle HRI a beaucoup travaillé dans les dernières années sur le développement d’une méthodologie pour l’estimation des financements nationaux pour la RDR. La dernière estimation date de 2010 et montre que seulement 160 millions de dollars ont été investis de la part de bailleurs de fonds internationaux dans les pays à moyens et bas revenus.

Il y a indéniablement une crise des financements internationaux et les causes en sont multiples : tout comme d’autres financement (au hasard les traitements contre le VIH), les fonds destinés aux pays à revenu intermédiaire ont été fléchés prioritairement vers les pays à revenu faible. Cela peut sembler cohérent s’il faut accepter l’idée que les ressources disponibles sont résolument limitées mais le problème c’est qu’environ 75 % des personnes usagères de drogues se trouvent dans les pays à revenu moyen. Par exemple, les anciens pays du bloc soviétique ont perdu leurs financements lorsqu’ils sont rentrés dans l’Union Européenne et celle-ci n’est pas venue compenser cette perte.

Il y a également un manque de volonté politique évident de la part de gouvernements qui ne font pas de la santé des personnes usagères de drogues une priorité de santé publique. Car dans certains pays à revenu élevé, on relève également un manque de stratégie de développement des programmes et donc des financements en dépit de l’augmentation des overdoses et des cas de VHC.

A cela s’ajoute une crise de leadership et de financement de la part de l’Onu (Ungass on drugs, HLM on HIV/aids). Et il serait important de rappeler que la crise du financement ne touche pas toutes les facettes des politiques de contrôle des drogues. En effet, 100 milliards de dollars sont utilisés chaque année dans le cadre de la réponse policière et pénale contre la drogue. C’est d’autant plus frustrant que la RDR montre partout où elle est déployée des résultats incontestables, notamment sur l’incidence du VIH. Pour appuyer son plaidoyer sur la nécessité d’augmenter les financements dédiés, HRI a modélisé l’impact potentiel de la RDR d’ici 2030 avec trois scénarios de financement différents.

On voit bien sur le graphique la différence dramatique si l’on continue avec l’état actuel des financements et les deux autres scénarios : à savoir un financement moyen et un financement à haute couverture, qui porterait à l’éradication du VIH parmi les usagers de drogues par voie injectable d’ici 2030.

Une fois de plus, on ne peut qu’éprouver colère et frustration car la solution est simple et ne nécessiterait même pas de trouver des financements supplémentaires ! Il suffirait, en effet, de consacrer une petite partie des financements globaux – énormes – destinés à la guerre à la drogue qui a démontré son inefficacité vers la réduction des risques ! Malheureusement, si l’on se souvient de la déception engendrée par la dernière réunion de l’Ungass dédiée à la politique des drogues, on peut penser que cela n’est pas pour demain… Face à cette situation, HRI lance une campagne pour demander aux gouvernements de réaffecter 10 % des financement actuels consacrés à la lutte contre la drogue vers la RDR avant 2020.

En France, nous avons aussi nos propres incohérences et rappelons à cette occasion que malgré les avancées récentes avec l’autorisation de l’accompagnement à l’injection et l’ouverture de salles de consommation à moindre risque, nous subissons encore à ce jour l’une des politiques les plus répressives en Europe de l’ouest.

Raison de plus pour nous mobiliser le 26 juin pour la Journée d’Action Mondiale de "Support don't punish" pour faire reculer la répression des usagères de drogues !