2022 : une autre politique des drogues (1/5)

Publié par Rédacteur-seronet le 28.03.2022
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PolitiquedroguesPrésidentielle 2022

À l’occasion des élections présidentielle et législatives 2022, AIDES mène campagne sur ses revendications concernant la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales et le soutien aux personnes qui vivent avec ou qui y sont plus particulièrement exposées. En amont des votes, Seronet y revient dans une série d’articles. Aujourd’hui, pourquoi il faut changer la politique des drogues.

On doit se rendre à l’évidence, aujourd’hui les enjeux d’accès aux soins, à la prévention et à la santé des personnes consommatrices de drogues sont absents du débat public autour de l’élection présidentielle. Focalisés-es sur la lutte incessante contre la drogue, les différents-es candidats-es négligent un « sujet crucial de santé publique », dénonce AIDES. C’est certain que le quinquennat d’Emmanuel Macron a nettement privilégié une politique du « tout répressif » que de nombreux-ses acteurs-rices de la réduction des risques considèrent comme « dangereuse » et « inefficace ». Cette politique n’est pas nouvelle ; elle sévit depuis plusieurs décennies. De fait, depuis plus d’un demi-siècle, la France s’inscrit dans une approche répressive en matière de politiques des drogues au lieu de développer une offre d’accès aux soins, à la prévention et à la santé adaptée aux besoins des personnes. La loi de 1970 (loi relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses) pénalise lourdement les consommateurs-rices de produits psychoactifs et l’État persiste à les considérer comme des délinquants-es.

L’amende forfaitaire délictuelle

Ainsi, en 2020, une amende forfaitaire délictuelle (AFD) qui sanctionne de 200 euros tout usage de stupéfiant a ainsi été mise en place sur tout le territoire national. Le Conseil des ministres du 15 septembre 2021 avait dressé un bilan temporaire de la mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants. Le gouvernement expliquait alors que « l'AFD prévue pour l'usage de cannabis, mais aussi en matière d'usage de cocaïne et de MDMA/ecstasy, [était] d'ores et déjà déployée sur tout le territoire national, conformément aux directives de politique pénale générale du garde des sceaux, ministre de la justice, du 31 août 2020. Près de 100 000 AFD pour usage de stupéfiants (99 108 du 1er septembre 2020 au 9 septembre 2021) [avaient] été traitées par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI), soit une moyenne quotidienne de 267 AFD. À ce jour, l'essentiel des verbalisations concerne le cannabis (97,8 % des verbalisations). En un temps court, l'AFD pour usage de stupéfiants représente un volume similaire en rythme annuel à l'AFD pour défaut d'assurance mise en œuvre depuis 2018 tout comme celle pour défaut de permis. À ce stade, le taux de contestation des AFD pour usage de stupéfiants par les contrevenants- reste très faible (1,7 % au 9 septembre 2021) ce qui témoigne de la bonne acceptation sociale de la sanction de ce délit. Enfin, entre 1er septembre 2020 et le 9 septembre 2021, 27 360 AFD ont été totalement payées sur 83 485 AFD envoyées, soit un taux cumulé de 34%. Ce taux paraît tout à fait satisfaisant compte tenu de la proportion élevée de 39% de plis non distribués ».

Le maintien du tout répressif

Cette obstination à maintenir une politique du « tout répressif » est un gaspillage d’argent public qui s’avère dangereux en termes de santé individuelle et de santé publique, en plus d’être inefficace dans la lutte contre les trafics. En Europe, la France reste l’une des principales zones de transit de drogue, et demeure le troisième pays consommateur de cocaïne. Alors que les consommateurs-rices de drogues restent fortement exposés-es au risque de contracter le VIH ou une hépatite, la loi de 1970 les stigmatise et freine lourdement leur accès aux dispositifs de prévention, d’accompagnement et de soutien. Pour AIDES, il est clair « qu’isoler les consommateurs-rices, c’est les rendre plus vulnérables aux épidémies ».

En finir avec les politiques répressives

Un demi-siècle après la promulgation de la loi relative « aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses », dite loi de 1970, la France maintient une politique des drogues axée sur la répres­sion. « Cette approche est nocive. Alors que l’efficacité de cette loi n’a jamais été évaluée par les pouvoirs publics, la France perdure dans cette démarche », explique AIDES. La décriminalisation ou la régulation des drogues bénéficierait à la RDR, comme c’est le cas dans plus de 25 pays, sans que cela ait entraîné une augmen­tation de la consommation ou de la délinquance. Selon le livre blanc interassociatif sur la réforme de la justice pénale (2018), la lutte contre les infractions à la loi de 1970 représentait 77 % du budget dédié à la politique des drogues, contre 22 % pour la prévention des addictions. La stigmatisation des consommateurs-rices de produits psychoactifs qu’elle engendre renforce les inégalités et ne permet pas le déploiement de la RDR (réduction des risques). En dépit des avancées qu’a permis la RDR, les consom­mateurs-rices restent plus exposés-es au risque infec­tieux, et plus particulièrement au virus de l’hépatite C, que la population générale. Ces politiques répressives les tiennent éloignés-es des soins et de la santé et rallongent la période entre les contaminations et l’accès aux traitements. Il y a urgence à réformer le cadre légal relatif à la consommation de produits psychoactifs.

Revendications pour 2022

  • L’abrogation de la loi de 1970 qui pénalise les consommateurs-rices ;
  • L’encadrement de l’usage de produits psychoactifs dans un objectif de santé publique et en respectant le choix des personnes au lieu de le réprimer ;
  • L’abrogation de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de drogues et l’interdiction du fichage des consommateurs-rices de produits psychoactifs ;
  • Le développement sur tout le territoire, y compris en milieu carcéral, de lieux de consommation et de dispositifs adaptés aux besoins des consommateurs-rices, qu’il s’agisse de consommation de drogues en contexte sexuel (chemsex) ou de consommation de crack ;
  • Un accès effectif à tous les outils de RDR. Cela suppose des évolutions réglementaires, notamment pour des produits de substitution comme l’héroïne médicalisée, les programmes d’accompagnement à l’injection et l’analyse de produits ;
  • La mise en place d’une politique proactive d’accès aux antidotes de surdose d’opioïdes (naloxone), sous toutes leurs formes, intramusculaire et spray nasal.