8 mars : la visibilité compte !

Publié par Fred Lebreton le 08.03.2022
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Interviewfemmes

Alors que le VIH/sida demeure la première cause de mortalité chez les femmes de 15 à 44 ans dans le monde, elles souffrent paradoxalement d’une invisibilisation frappante à bien des égards : en matière de prévention, dans les essais thérapeutiques et dans l’espace médiatique pour les femmes vivant avec le VIH. Seronet donne la parole à deux femmes concernées qui ont décidé d’être visibles.

On ne peut pas lutter contre ce qu’on ne voit pas !

Selon l’Onusida, en 2020, les femmes représentaient 52 % des personnes vivant avec le VIH dans le monde et chaque heure, environ 25 000 femmes et jeunes filles ont contracté le VIH. Cette vulnérabilité est notamment liée aux violences, à la précarité, aux injustices systémiques et à l’isolement que les femmes subissent. Des inégalités qui ont été encore amplifiées avec la crise sanitaire due à la Covid-19. En 2020, 30 % des nouvelles découvertes de séropositivité en France concernaient les femmes. Pourtant, elles sont très peu visibles dans l’espace médiatique.

Andréa Mestre est une militante franco-ivoirienne qui parle de sa séropositivité à visage découvert dans les médias et sur ses réseaux sociaux, notamment sur son compte Instagram suivi par plus 13 000 personnes. Pour la jeune femme de 29 ans, cette absence des femmes séropositives dans l’espace médiatique s’explique par plusieurs raisons : « Historiquement l’épidémie de VIH/sida a d’abord touché plus massivement les hommes gays et c’est cette communauté qui s’est mobilisée et qui a été la plus visible. Le VIH est toujours un tabou chez les hétéros, en particulier dans la communauté africaine. Il y a aussi une pression sociale et familiale parfois et la peur du jugement et du rejet. Une prise de parole publique à visage découvert, c’est parfois compliqué quand on a un mari et des enfants », explique Andréa. Pour la militante qui est également ambassadrice du Fonds national de lutte contre le sida en Côte d’Ivoire, témoigner à visage découvert dans les médias et sur les réseaux sociaux est une façon, pour elle, d’incarner cette lutte : « Je voulais montrer un visage féminin car j’ai constaté, que ce soit en France ou en Côte d’Ivoire, qu’il y avait très peu de femmes séropositives visibles. Je suis une jeune femme séropositive en couple sérodifférent avec des enfants séronégatifs en bonne santé. Je mène une vie normale et je suis heureuse. Il était important pour moi de montrer cette image positive qu’on voit peu concernant les personnes vivant avec le VIH. En étant visible, je cherche à déconstruire certaines représentations et lutter contre la sérophobie », explique Andréa. Et la jeune femme de conclure : « On ne peut pas lutter contre quelque chose qu’on ne voit pas ! ».

Plus sereine avec la Prep

Les femmes demeurent également les grandes oubliées des politiques publiques et des campagnes de prévention de la lutte contre le VIH/sida. À ce jour, en France, 97,5 % des personnes usagères de Prep sont des hommes, d’après les dernières données de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ce chiffre n'a quasiment pas bougé en cinq ans et il questionne. Pourquoi cet outil de protection très efficace ne se diffuse pratiquement pas chez les femmes ?

Ilaria fait partie de ces 2,5 % de femmes sous Prep en France. « Je suis une femme hétéro, célibataire, mère de deux enfants qui travaille et qui a aussi une vie sexuelle épanouie ». La jeune femme de 32 ans a connu la Prep à travers son travail dans la santé publique et notamment dans une association VIH : « J’y pensais depuis longtemps, mais le grand déclic a été le fait de pouvoir me faire prescrire la Prep par un médecin traitant. J’ai cherché sur Internet un médecin près de chez moi qui prescrivait la Prep en tapant ce mot clef dans un moteur de recherche et tout s’est très bien passé ».

Pour Ilaria, prendre la Prep est un moyen de participer à un effort collectif pour mettre fin à l’épidémie de VIH : « Je me sens actrice de ce combat » affirme-t-elle. Mais c’est aussi un outil de protection efficace pour la jeune femme : « Avant la Prep, je me faisais dépister très souvent du VIH avec cette angoisse à chaque fois du résultat. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus sereine ». Parfois comparée à la pilule contraceptive, la Prep représente pour certaines personnes un outil de libération sexuelle : « L’épanouissement sexuel est une question très importante pour moi et j’ai ressenti un grand changement avec la Prep. Je me sens rassurée dans ma sexualité, sans cette angoisse de contracter le VIH », déclare Ilaria. Que répond-elle aux personnes qui disent que la Prep ne protège pas des IST contrairement au préservatif ? « Pour moi, contracter une IST, ça n’est pas comparable avec le fait de contracter le VIH. On soigne assez facilement une IST alors que le VIH c’est une maladie chronique avec un traitement à vie. Par ailleurs, le fait de prendre la Prep n’empêche pas d’utiliser le préservatif », rappelle la jeune femme. « La Prep n’est pas connue chez les hétéros, même dans le milieu libertin. La plupart des hétéros que je connais ne se sentent pas concernés par le VIH. Il y a aussi des représentations à déconstruire sur le fait qu’une femme qui a plusieurs partenaires sexuels différents, c’est encore mal vu dans beaucoup de milieux. Quand je dis que je suis sous Prep, certains hommes pensent que je suis une « fille facile », déplore Ilaria. En témoignant au sujet de la Prep, la jeune femme espère rendre cet outil de prévention aussi banal et quotidien que le préservatif. « S’il y avait un comprimé de Prep dans chaque emballage de préservatif, je pense que ça aurait un réel impact sur l’épidémie de VIH », conclut-elle.

Prendre en compte le genre dans la recherche

Alors que les femmes représentent 52 % des personnes vivant avec le VIH dans le monde, elles ne constituent que 19 % des participants-es dans les essais cliniques. Cette sous-représentation entrave la mise en œuvre de stratégies thérapeutiques adaptées aux principales intéressées et à leurs spécificités. Lors de la plénière de clôture de la conférence Croi le mois dernier, Chloe Orkin, une médecin britannique et professeure spécialisée dans le VIH, a présenté un plaidoyer pour une recherche clinique plus inclusive. « Il faut challenger l’idée du corps masculin de 70 kilos comme étant la norme ». Elle a insisté également sur l’importance de ne pas reproduire certaines erreurs dues à des représentations : « On a mis la pression sur les femmes pauvres et les femmes noires pour qu’elles utilisent la contraception à longue durée d’action. Il ne faut pas reproduire ça avec les ARV à longue durée d’action ». Et de conclure : « Il faut protéger les femmes à travers la recherche et non DE la recherche ».

Lors d’un point presse organisé par l’ANRS | MIE, le 3 mars dernier, Nathalie Bajos, directrice de recherche à l’Inserm, a souligné que cette sous-représentation des femmes dans les essais cliniques n’était pas spécifique au VIH. « On retrouve ça dans tous les domaines scientifiques. Des études montrent que lorsque les femmes sont en position de responsable scientifique, les choses se passent un peu différemment, il y a un effet de genre au niveau des chercheurs. Et puis, il y a cette idée dominante du masculin neutre, on ne se pose pas la question des spécificités de genre. Parfois, l’argument des cycles hormonaux est avancé, mais il n’est pas toujours pertinent », explique Nathalie Bajos. Et la sociologue de conclure : « Les rapports de genre structurent aussi la production de la connaissance scientifique ». À ce même point presse, le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS | MIE, a fait un parallèle avec la Covid-19 : « Un certain nombre de chercheurs se posent les mêmes questions sur l’inclusion des femmes dans les essais Covid. Il y a eu moins de femmes incluses », constate le professeur. Quid du manque de données sur les femmes enceintes qui sont souvent exclues des essais sur les traitements et les vaccins VIH ? « Compte tenu de la grossesse, ce sont des personnes plus exposées à des risques. Par ailleurs, un certain nombre de laboratoires pharmaceutiques pensent à l’impact que ces traitements pourraient avoir sur l’enfant. Parfois, il y a des questions de sécurité », explique le Pr Yazdan Yazdanpanah. « L’Agence veut changer les choses à la fois en soutenant les projets portés par les femmes et aussi en prenant en compte le genre dans la recherche clinique que ce soit en France ou avec nos partenaires du Sud », conclut-il.

Plus de femmes vivant avec le VIH visibles, plus de femmes séronégatives sous Prep et plus de femmes tout court dans les essais cliniques. Ce sont des enjeux importants de santé publique. Des enjeux qui seront suivis de près par la société civile et les acteurs-rices de la lutte contre le VIH/sida.

VIH : où sont les femmes ?!
À l’occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, AIDES se mobilise avec une campagne intitulée : « VIH : où sont les femmes ?! ». Dans un communiqué, l'’association présente ses revendications pour les femmes et réclame :
- l’abrogation des politiques publiques répressives à l’égard des femmes déjà marginalisées (migrantes, trans, travailleuses du sexe, usagères de produits psychoactifs…) ; des politiques qui amplifient leur vulnérabilité face au VIH/sida ;
- une valorisation de l’approche communautaire dans le domaine de la santé en proposant une offre de dépistage et de soins PAR et POUR les femmes ;
- une inclusion systématique des femmes dans leur diversité et leurs particularités au cœur des recherches scientifiques portant sur les traitements thérapeutiques et préventifs ;
- la création par les instances gouvernementales de campagnes nationales de sensibilisation et de prévention ciblant spécifiquement les femmes, notamment autour de la Prep.
La campagne « VIH : où sont les femmes ?! » se décline sous la forme d’un visuel et d’une capsule vidéo dans laquelle interviennent Camille Spire, présidente de AIDES, Agnès Daniel, présidente de la région Auvergne Rhône-Alpes et Catherine Aumond, présidente de la région Centre-Val de Loire.