Accès aux médicaments : où est l’Etat ?

Publié par Franck-seronet le 30.09.2014
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Thérapeutiqueaccès aux traitementsaccès aux soinsépidémie

Prix très élevés des médicaments innovants contre l’hépatite C, traitements efficaces de la syphilis abandonnés, prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP) oubliée dans les tiroirs : nous avons bien des moyens de lutter contre des épidémies actives (hépatite C, Syphilis, VIH). Ils sont là, à portée d’utilisation. Mais l’Etat, tergiverse, temporise, semble aux abonnés absents et, finalement, il ne fait pas jouer les leviers que la loi a mis entre ses mains. Qui en fait les frais ? Les malades et les personnes les plus exposées aux risques de ces maladies.

Les prix demandés par les laboratoires pharmaceutiques pour les nouveaux traitements plus efficaces et mieux tolérés contre le virus de l’hépatite C créent une situation exceptionnelle et inédite. Ce n’est pas encore la panique au sommet de l’Etat, mais cela tangue sérieusement. Car aux tarifs actuels des labos, les projections chiffrées de mises sous traitement de toutes les personnes qui en auraient besoin et les mises sous traitement effectives pour les situations les plus urgentes font très vite chauffer les calculettes, respectivement en milliards d’euros à dépenser et en millions d’euros déjà engagés. Pourtant, la loi prévoit que les pouvoirs publics peuvent toujours, au terme de négociations insatisfaisantes du point de vue de l’intérêt général, fixer unilatéralement le prix d’un médicament. Ils peuvent même au besoin appliquer à un médicament le régime de la licence d’office (ou licence obligatoire) pour le rendre accessible en cas de nécessité. C’est ce que demandent aujourd’hui les associations réunies en collectif alors que se profile un prix tel que, même revu à la baisse, il ne permettrait pas de soigner selon les recommandations d’experts 2014 du rapport Dhumeaux et, à terme, de pouvoir espérer l’élimination du VHC.

Dans le cas de la syphilis, le médicament existe, c’est l’Extencilline. Il ne coûte pas cher, est très efficace et plutôt bien toléré. Trop beau pour durer ? Le laboratoire fabricant, suite à la fermeture d’une usine d’un de ses-sous traitants pressé de délocaliser hors d’Europe, décide d’arrêter purement et simplement la fabrication. Probablement trop cher de fabriquer soi-même, en construisant une unité de production. Le médicament n’est plus assez rentable, alors on l’arrête. Tout le monde est mis devant le fait accompli : autorités de santé comprises. La sanction prévue en cas de non fourniture effective d’un médicament bénéficiant d’une AMM (autorisation de mise sur le marché) est… le retrait de cette AMM au bout de 3 ans. Le moyen de pression ne sert à rien quand, justement, le fabricant veut abandonner son médicament. Les agences d’Etat, comme celle de sécurité du médicament (ANSM) doivent alors courir après qui voudra bien fournir un traitement le moins mauvais possible pour les malades. Dans ce cas, le plan B pour pallier l’arrêt de l’Extencilline : c’est un traitement plus cher, plus compliqué (il faut deux injections), moins bien toléré… Comme il n’a pas l’AMM en France, il n’est délivré que dans les pharmacies hospitalières. Son accès est ainsi plus compliqué voire dissuasif.

Beau résultat : un évident frein à l’accès aux soins face à une épidémie en plein boom depuis le début des années 2000. Pourquoi l’Etat ne conditionne-t-il pas l’octroi des AMM à une véritable obligation de production, assortie d’une panoplie efficace de moyens permettant de faire appliquer ce droit bien légitime d’être soigné au mieux des thérapeutiques existantes ? C’est pourtant prévu par les textes, mais inopérant dans les faits. Aujourd’hui, c’est l’Agence nationale de sécurité du médicament qui doit trouver des solutions de rechange alors que le laboratoire fautif s’en lave les mains. On pourrait également citer le cas des ruptures de fournitures de médicaments essentiels dans les pharmacies de ville (y compris des traitements anti-VIH), un sujet qui a mobilisé et mobilise encore les associations du TRT-5. Des solutions ont été préconisées, on attend encore leur mise en œuvre. Certes, sur ce point la future loi de santé pourrait enfin renforcer l’arsenal de lutte contre les pénuries… mais pas avant 2015 au mieux.

On dit sans cesse aux malades qu’il faut être observants de sa prescription médicale et de ses traitements. Le système de soin ne peut-il l’être lui-même d’abord et n’est-ce pas à l’Etat de faire observer les règles ? Et quelle injonction paradoxale dans le message "Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais".

Il n’y a pas que sur la question des ruptures que les pouvoirs publics se font attendre. AIDES a demandé, depuis plus de 18 mois, l’ouverture d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour la prise de Truvada dans une stratégie de PrEP. Cette demande est à l’examen à l’ANSM, depuis des mois… et pas de nouvelles. Pourtant depuis des mois, il s’en est passé des événements ailleurs sur la question de la PrEP. Le plus important, les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la PrEP. Des recommandations qui viennent "conforter le plaidoyer de l’association pour la mise à disposition immédiate des antirétroviraux à titre préventif pour les groupes les plus exposés au VIH. C'est un pas de plus vers la généralisation de la prévention combinée, à savoir l'utilisation complémentaire du dépistage, du préservatif et des traitements préventifs et thérapeutiques pour endiguer l'épidémie".

Face à une épidémie particulièrement active en France parmi les homosexuels, AIDES a rappelé que "ce nouvel outil permettrait d'éviter de nombreuses contaminations" ; un message qu’a aussi porté l’association Warning. AIDES a récemment demandé "une nouvelle fois à la ministre de la Santé à sortir de l’immobilisme", jugeant urgent de donner aux homosexuels l'accès à ce traitement préventif, via une recommandation temporaire d'utilisation (RTU). Le Truvada a une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement des personnes vivant avec le VIH, mais n’est pas autorisé actuellement pour un usage préventif chez des personnes séronégatives, au contraire des Etats-Unis qui l'autorisent. La RTU bénéficierait aux personnes les plus exposées et n’ayant pas accès aux essais cliniques. Eh bien … pas de réponse.

L’Etat doit reprendre les responsabilités qui sont les siennes, utiliser la loi, la renforcer si besoin, décider lorsqu’on lui demande pour jouer son rôle essentiel de régulateur des intérêts particuliers au service de tous, et d’abord des plus vulnérables.