Accès à l’innovation médicale : l’Assurance maladie planche sur l’hépatite C

Publié par jfl-seronet le 29.09.2015
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Chaque année, l’Assurance maladie publie à l’intention du ministre chargé de la Sécurité sociale et du Parlement un rapport sur "l’évolution des charges et produits de l’Assurance maladie". Ce rapport comporte des propositions faites par l’Assurance maladie aux politiques, afin de leur permettre, ministère comme parlementaires, d’avoir des bases de travail précises en amont du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Comme à chaque fois, l’objectif affiché est d’"améliorer la qualité du système de santé et de maîtriser les dépenses". En 2015, le rapport charges et produits s’était intéressé au cancer du sein pour appuyer et illustrer ses propositions. L’édition 2016 du rapport charges et produits" a traité tout spécialement des nouveaux enjeux de l’accès aux innovations médicales coûteuses en prenant l’exemple des nouveaux traitements de l’hépatite C. Explications et données chiffrées.

Qu’on ne s’y trompe pas, même si on résume son intitulé aux notions de "charges" et "produits", le rapport annuel de l’Assurance maladie est bien plus qu’un document comptable. Il marque par la qualité de ses analyses et la façon, passionnante, qu’il a de poser les enjeux de l’accès aux soins. Dans son édition 2016, plusieurs pages sont consacrées aux nouveaux enjeux qui "émergent dans le secteur des produits de santé, avec l’arrivée d’innovations de rupture, pouvant concerner des populations plus ou moins importantes, et conduisant à des coûts de traitements extrêmement élevés".

Pour l’Assurance maladie, l’accès aux nouveaux traitements constitue "un enjeu de santé public évident" et cela d’autant qu’il a "vocation à s’inscrire dans le cadre de recommandations posées par les autorités sanitaires". Mais pourquoi cadrer l’accès aux nouveaux traitements ? Deux raisons principales. D’une part, des "raisons de prudence", concernant des médicaments dont la tolérance à long terme est encore mal connue, ce qui ne concerne pas les médicaments anti-VHC dont la prise se limite à quelques mois. Et d’autre part, un souci d’efficience compte tenu du coût des traitements. Il faut d’autant plus y réfléchir que selon, l’Assurance maladie, de nouveaux médicaments vont arriver sur le marché à des prix très élevés et que la "poursuite d’un large accès à l’innovation constituera un défi pour le système de santé dans les années à venir". Pour illustrer plus concrètement cette situation, le rapport 2016 n’a pas eu trop besoin de se creuser la tête, il a pris l’exemple édifiant des nouveaux traitements contre le VHC.

La révolution thérapeutique

Les traitements médicamenteux de l’hépatite C chronique ont connu une évolution considérable depuis 20 ans. Au début des années 90, on prescrivait une monothérapie qui permettait la guérison d’environ 6 % des personnes, puis on est passé à une bithérapie et à une trithérapie et une guérison "virologique" d’environ 50 % des personnes en 2012 avec le télaprévir (Incivo) et le bocéprévir (Victrelis). L’évolution thérapeutique majeure date de la fin 2013 avec l’arrivée du sofosbuvir (Sovaldi), le premier antiviral à action directe (AAD). Elle est suivie par celle du siméprévir (Olysio) et du daclastasvir (Daklinza) ou de la combinaison sofosbuvir + lédipasvir (Harvoni), puis celle de paritaprévir/ritonavir + ombitasvir (Viekirax) et du dasabuvir (Exviera). Avec ces nouveaux antiviraux à action directe, les taux de guérison virologique sont supérieurs à 90 %, le profil de tolérance est meilleur (nettement moins d’effets indésirables) et une durée de traitement souvent réduite par rapport aux anciens traitements. Comme le fait remarquer le rapport de l’Assurance maladie, la principale difficulté réside dans les prix très élevés sollicités par les fabricants, des prix "difficilement soutenables pour la collectivité compte tenu de la population à traiter".

En France, en s’appuyant sur des données anciennes et "entachées d’une forte marge d’incertitude", plus de 230 000 seraient porteuses chroniques et 140 000 diagnostiquées. Cela fait beaucoup de monde à traiter, donc des sommes pas finançables actuellement. Lorsque le Sovaldi est sorti en ATU (autorisation temporaire d’utilisation) son prix (hors taxe) était de 18 668 euros la boîte de 28 comprimés, soit 56 000 euros le traitement de douze semaines. Depuis, le prix (celui remboursé par la Sécurité sociale) a été revu à la baisse. Il est désormais de 41 000 euros pour douze semaines. Sovaldi ne s’utilise jamais seul. Il est souvent associé à Olysio ou Daklinza. A titre de comparaison, Viekirax coûte 39 113 euros pour douze semaines de traitement, Exviera : 3 402 euros, Harvoni : 46 000 euros, Daklinza : 25 499 euros et Olysio : 21 000 euros.

Une dispensation très encadrée

Cette équation assez inédite : un traitement très efficace, très cher, concernant un grand nombre de personnes, a conduit les autorités de santé à réfléchir aux stratégies de diffusion et aux conditions de prescription de ces nouveaux médicaments, en France comme à l’étranger. Dans son rapport, l’Assurance maladie avance que c’est d’abord pour des raisons d’optimisation de leur efficience et de vigilance vis-à-vis d’une nouvelle classe de médicaments qu’un encadrement particulier a été retenu en France. Les pouvoirs publics ont donc fait plancher l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Haute autorité de santé (HAS) sur des recommandations spécifiques. L’Etat a, à la suite, décidé des mesures suivantes :

● de limiter la prescription aux spécialistes en hépato-gastro-entérologie, médecine interne et infectiologie, et à leur exercice en établissement de santé ;
● de conditionner l’initiation d’un traitement par un NAAD [nouvel antiviral à action directe, ndlr] à l’avis donné suite à une réunion de concertation disciplinaire réalisée dans un service expert de lutte contre les hépatites virales ;
● de préciser les indications thérapeutiques remboursables par l’Assurance maladie : Sovaldi est pris en charge pour les patients adultes atteints d’hépatite C, en association avec d’autres médicaments, ayant un stade de fibrose hépatique F2 sévère, F3 ou F4 ; et quel que soit le stade de fibrose hépatique pour les patients co-infectés par le VIH, atteints de cryoglobulinémie mixte (II et III) systémique et symptomatique, ou de lymphome B ;
● de limiter son inscription sur la liste à l’usage des collectivités et de rétrocession, et non sur la liste "ville", qui n’est donc pas disponible dans les pharmacies d’officine. La délivrance de Sovaldi, pour les patients non hospitalisés, est limitée aux pharmacies à usage intérieur (PUI) autorisées à rétrocéder.

Le rapport charges et produits avance que l’accès est plus limité dans d’autres pays. La plupart des pays ont, de fait, encadré plus restrictivement encore qu’en France ou limité plus strictement la prise en charge de ces médicaments. En France, les critères retenus sont :

● Stade fibrose F2 sévère, F3, F4 ;
● co-infection VHC/VIH ;
● VHC + cryoglobulinémie mixte (II et III) ;
● VHC + lymphome B.

Au Royaume-Uni, les AAD sont réservés aux "personnes à fort risque de mortalité" et à celles en attente d’une greffe de foie. En Espagne, aux personnes au stade 4 de fibrose, aux personnes en attente d’une greffe de foie ou à celles greffées avec récidive du VHC. Aux Pays-Bas, le traitement est réservé aux personnes aux stades F3 et F4 de fibrose, aux personnes en attente de greffe et aux personnes greffées avec récidive du VHC. En Allemagne, en revanche, il n’y a pas d’encadrement.

Une exception française

Le Rapport de l’Assurance maladie indique que la France, grâce à des dispositifs spécifiques comme les autorisations temporaires d’utilisation (ATU), a connu un "accès précoce" et une "diffusion plus rapide" des nouveaux traitements contre le VHC. Le sofosbuvir a été mis à disposition dès novembre 2012 dans le cadre d’ATU nominatives, et dès septembre 2013 dans ATU de cohorte, dont l’indication a été élargie en décembre 2013. Lorsque l’ATU a pris fin en janvier 2014 avec l’autorisation de mise sur le marché (AMM) accordée par la Commission européenne, le dispositif post-ATU a pris le relai jusqu’en novembre 2014, lorsque les négociations entre le laboratoire et le comité économique des produits de santé (CEPS qui fixe le prix de remboursement par l’Assurance maladie) ont abouti à la fixation d’un prix et à l’inscription au remboursement dans les conditions normales d’utilisation. Et le rapport charges et produits d’expliquer : "En pratique, la conjugaison de ces dispositifs d’accès précoce et d’un encadrement moins strict s’est (…) traduite par une diffusion beaucoup plus rapide et plus large en France que dans les pays qui nous environnent".

Les données d’IMS Health

En 2014, d’après les données d’IMS Health (1), la France arriverait largement en tête en termes de volumes avec près d’un million de comprimés vendus, soit 154 unités standards pour 10 000 habitants. En Allemagne, où le médicament est arrivé sur le marché à peu près à la même date, on compte moins de 90 comprimés pour 10 000 habitants. Les niveaux sont encore plus bas pour l’Espagne, le Royaume Uni, les Pays-Bas, la Finlande ou encore l’Italie. "Il faudrait bien sûr mettre ces volumes de prescription en regard des taux de prévalence de l’hépatite C dans les différents pays, note le Rapport Charges et Produits, mais ceux-ci ne sont connus qu’avec de grandes marges d’incertitude ; on sait néanmoins que les pays du Sud (Italie et Espagne) sont plus touchés que les pays du Nord de l’Europe (avec un gradient de l’ordre de 0,3 % à 3 % de la population, la France se situant en-dessous de 1 %). Selon les données d’IMS Health, l’Italie est un des pays d’Europe qui délivre le moins d’AAD, alors que les besoins seraient bien plus importants. En France, environ 11 600 personnes ont été traitées en 2014 par l’un des nouveaux antiviraux à actions directes (NAAD). Au prix des traitement sur cette période (c’est-à-dire essentiellement en phase post-ATU), le surcoût des NAAD peut être estimé à 1, 15 milliard d’euros, tandis que le quasi abandon des anciens traitements représente 100 millions d’euros d’économies, note le rapport.

Une nouvelle donne au Nord

"Onde de choc" ! C’est ainsi que le rapport de l’Assurance maladie qualifie l’arrivée des nouveaux traitements de l’hépatite C. "Pour la première fois, la question de l’accès à l’innovation médicamenteuse s’est posée non pas pour des pays en développement ou émergents, mais pour les pays les plus riches. Cette situation inédite a alimenté des débats sur la légitimité des niveaux de prix demandés par les industriels, sur les marges de manœuvre des gouvernements, sur les possibilités d’agir à un échelon européen", note le Rapport. Ce dernier estime que "ces questions vont continuer à se poser dans les années qui viennent, compte tenu des évolutions que l’on peut entrevoir sur les prises en charge thérapeutiques et sur les conditions d’accès au marché des produits de santé". Ce rapport de l’Assurance maladie expose donc des avantages comparatifs pour le traitement du VHC en France, la question du prix des médicaments et de l’accès aux soins reste cependant prégnante pour les associations de malades et de santé.

(1) : Présente dans 135 pays, IMS Health est une entreprise américaine proposant des études et du conseil pour les industries du médicament et les acteurs de la santé.