Afravih 2022 : « Entendez-nous ! »

Publié par Fred Lebreton le 07.04.2022
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ConférencesAfravih 2022

La conférence Afravih 2022 se déroule du 6 au 9 avril 2022, au Parc Chanot à Marseille. Cette 11e édition s’est ouverte, avec émotion et militantisme, lors d’une cérémonie d’ouverture qui a montré à quel point les enfants et adolescents-es restaient victimes du VIH et de l’absence de traitements sur le continent africain. Message fort, silence de plomb. Seronet y était.

« Entendez-nous ! Entendez-nous ! Entendez-nous ! Fatou, Amanda, Emmanuel, Fanta, Habib, Keny, Adjovi, Tatiana, Dieu-Donné, Patrick »… Les militants-es du réseau Grandir Ensemble (VIH pédiatrique Afrique) ont investi la scène et prononcent les prénoms d’enfants et jeunes décédés-es des suites du sida. C’est le moment fort de la cérémonie d’ouverture de l’Afravih 2022, la plus grande conférence internationale francophone sur le VIH, les hépatites et la santé sexuelle. Nous sommes le mercredi 6 avril 2022 au palais des congrès du parc Chanot à Marseille. Après une édition 100 % virtuelle en novembre 2020 en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, la conférence revient pour une onzième édition en format présentiel dans la cité phocéenne. Grandir Ensemble est un réseau qui regroupe dix-huit organisations dans onze pays d’Afrique. Son but, lutter pour la fin de l’épidémie de VIH chez les enfants, les adolescents-es et les jeunes en Afrique de l'Ouest, du Centre et Djibouti.

Un message fort, un silence de plomb

Un peu plus tôt, les militants-es de Grandir Ensemble ont organisé un die-in dans le couloir qui mène à l’auditorium où allait avoir lieu la cérémonie d’ouverture. Tous-tes vêtus-es du même tee-shirt jaune, ils-elles se sont allongés-es au sol. Sur les tee-shirts est inscrit le message suivant : « Un enfant meurt toutes les 5 minutes du sida » dans le monde. Rodrigue Koffi, coordonnateur de Grandir Ensemble et juriste, explique le sens de cette action : « Les statistiques montrent que l’Afrique de l’Ouest et du Centre regroupe 90 % des enfants et adolescents vivant avec le VIH. Avec ce die-in, nous voulons rappeler au monde francophone que ce ne sont pas que des statistiques ; ce sont des êtres humains. Les enfants et adolescents séropositifs sont noyés dans la réponse globale car il n’y a pas d’indicateur spécifique pour ces populations au niveau des grands partenaires comme le plan américain Pepfar et le Fonds mondial. Ils sont invisibilisés dans la réponse globale », déplore le militant. En marchant vers l’auditorium, les participants-es observent ces corps au sol. Puis de chaque côté du couloir qui mène à la salle d’autres militants-es se sont positionnés-es debout et forment une sorte de haie d’honneur. Ils-elles portent des pancartes avec des messages forts : « Un enfant meurt toutes les 5 minutes, 864 morts pendant la conférence », « 120 000 décès d’enfants en 2020 » ou encore « Nous sommes les survivants ». L’effet est saisissant. Le chemin pour se rendre à l’auditorium se fait dans un silence de plomb, comme l’impression de participer à une marche funèbre. D’après l’Onusida, 800 000 enfants vivant avec le VIH n’ont pas accès à un traitement en Afrique de l’Ouest et centrale.

La science sans frontières : pas pour demain

Le reste de la cérémonie est plus institutionnelle. Christine Katlama, présidente de l’Afravih, prononce les traditionnels mots de bienvenue et insiste sur la nécessité de renforcer nos capacités à faire face aux différentes pandémies alors que la Covid-19 a fragilisé la lutte contre le VIH. « Nous devons être prêts (…). Le savoir est la clé, celle de la liberté », explique l’infectiologue qui a créé l’Afravih en 2009. Bruno Spire, président de la conférence Afravih 2022 enchaine sur un vibrant hommage à la communauté VIH de Marseille. Le chercheur rappelle que les militants-es de cité phocéenne ont été pionniers-ères dans la réduction des risqués liée à l’usage de drogue. Le militant déplore aussi les galères administratives pour faire venir les acteurs-rices de la lutte contre le VIH de certains pays du Sud à Marseille : « La science sans frontières, ça n’est malheureusement pas pour demain ».

Le sida : une maladie politique

L’interlocutrice suivante Michèle Rubirola est la première adjointe au Maire de Marseille. L’élue annonce le lancement de « Vers Marseille sans sida et sans hépatites » et rappelle à quel point « l’incroyable mobilisation des personnes touchées », a bouleversé les rapports entre patients-es et soignants-es avec les principes de Denver en 1983. « À l’époque, je débutais ma carrière de médecin » se souvient Michèle Rubirola qui affirme que, 40 ans plus tard, : « Le sida reste une maladie politique » Et l’élue de rappeler que les nouveaux diagnostics de VIH ne baissent plus à Marseille en grande partie à cause des inégalités sociales qui éloignent les personnes les plus fragiles du soin et de la prévention. Marisol Touraine, présidente de Unitaid est revenue sur l’impact de la Covid-19 sur les personnes les plus vulnérables : « Les malades sont devenus plus malades et les pauvres plus pauvres ». L’ancienne ministre de la santé sous François Hollande a tenu à faire passer trois messages : amplifier le travail de prévention, renforcer les partenariats entre structures médicales et associations communautaires et encourager les pays riches à s’engager davantage dans la réponse mondiale aux épidémies. Les financements justement étaient au centre du discours de Françoise Vanni, directrice des relations extérieures du Fonds mondial de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. « Il faut redoubler d’efforts pour nous remettre sur la trajectoire des objectifs de 2030 », a expliqué la directrice, qui a précisé que le Fonds mondial avait sauvé 44 millions de vies en 20 ans et qu’il fallait au moins 18 millions de dollars pour la prochaine période 2021-2023. Enfin, Hakima Himmich, présidente de Coalition PLUS a insisté sur l’importance de l’accès aux traitements pour tous-tes : « Malgré les confinements, malgré les bombes, personne ne doit manquer traitement ARV » a affirmé l’infectiologue en faisant référence à la guerre en Ukraine. La militante a également insisté sur l’importance de la santé communautaire et a présente le livre « Rien pour nous, sans nous ».

Rien pour nous, sans nous : le livre
À l’occasion de l’Afravih, Coalition PLUS a présenté son livre « Rien pour nous, sans nous : 40 ans de mobilisation communautaire contre le sida ». L’ouvrage est le fruit d’une réflexion et d’une analyse de 40 ans de lutte contre le sida dans le monde. Il s’intéresse particulièrement aux apports de la mobilisation communautaire. « Nous voulons essayer de clarifier ces aspects pour le milieu associatif où le concept reste encore flou et pour les décideurs-ses du système de santé publique qui n’en ont pas nécessairement une vision claire », explique la Dre Hélène Rossert, l’autrice du livre. Ce livre se veut aussi comme un hommage aux militants-tes de la lutte contre le sida. Les sept chapitres du livre sont relativement indépendants dans leur construction et peuvent se lire dans le désordre en fonction des intérêts de chacun-e.


Marseille lance « Vers Marseille sans sida et sans hépatites »
Du 6 au 9 avril 2022, au parc Chanot, Marseille accueille l’édition 2022 de l’Afravih, la plus grande conférence internationale francophone sur le VIH/sida, les hépatites virales, les IST et la santé sexuelle. Généralement, la ville-hôte en profite pour faire une annonce dans le champ du VIH. Cela n’a pas manqué… puisque la Ville de Marseille a officiellement lancé (7 avril), lors d’un événement au Palais du Pharo, l’association « Vers Marseille sans sida et sans hépatites », créée à l’initiative et sous l’impulsion de Michèle Rubirola, première adjointe à la ville de Marseille, explique le site d’infos Destimed. Une assemblée générale constitutive s’est déroulée le 28 mars dernier. L’association « a pour objectif de lutter contre les épidémies de VIH et des hépatites virales », mais « aussi de collecter des fonds publics et privés afin de financer les actions proposées par le conseil d’administration de l’association et faciliter l’accès au dépistage, aux soins, aux traitements et aux droits ». Outre cette initiative, Marseille a souhaité renforcer son engagement dans la lutte contre le sida et les hépatites virales en signant, à son tour (7 avril), la Déclaration de Paris, créée en 2014, qui mobilise des municipalités du monde entier dans lalutte contre le sida. Pourquoi un tel engagement ? La Ville s’en explique dans un communiqué. « Le but ? Définir des stratégies coordonnées de lutte contre les épidémies de VIH et des hépatites (…) Au-delà, faire reculer le sida à Marseille c’est aussi s’attaquer à l’ennemi invisible omniprésent des personnes précaires : la discrimination ». Pour l’exécutif marseillais, les villes sont des « moteurs dans la lutte contre le sida et les maladies sexuellement transmissibles ». Toutes les villes signataires de la Déclaration de Paris (en France, on compte : Bordeaux, Lyon, Lille, Paris, Strasbourg et Nice) s’engagent à coordonner leur politique de santé publique, les initiatives associatives et le travail scientifique pour enrayer l’épidémie qui a déjà tué plus de 36 millions de personnes dans le monde depuis son apparition, explique-t-on. « Marseille a été pionnière dans la lutte contre le sida et les hépatites virales », affirme d’ailleurs le communiqué sans qu’il explique en quoi. « Il s’agit aujourd’hui de donner un nouveau souffle à cette lutte en fédérant l’ensemble des acteurs : associations, élus, soignants, institutions et personnels médico-sociaux afin de réduire drastiquement le nombre de contaminations, de décès et de discriminations liés au VIH et aux hépatites », explique désormais la Ville. Comme dans d’autres grandes métropoles, la situation du VIH à Marseille inquiète : le nombre d’infections stagne et il est en augmentation dans certains groupes de population, notamment les personnes nées à l’étranger. Plusieurs facteurs sont en cause : précarité sociale et économique, difficultés persistantes d’accès aux soins et aux droits pour certaines populations, enclavement de certains quartiers, etc.
Parmi ses objectifs, « Vers Marseille sans sida et sans hépatites » soutient « toute action permettant d’atteindre le cap des « 95 - 95 - 95 » tel que défini dans la Déclaration de Paris ; soit 95 % de personnes vivant avec le VIH dépistées, 95 % des personnes dépistées mises sous traitement ARV et 95 % des personnes traitées par ARV ayant une charge virale indétectable. Et la Ville de Marseille de conclure : « On l’a compris, le sida s’immisce là où les entraves à l’accès aux soins et aux droits subsistent ou sont entretenues. Offrir un accueil inconditionnel aux services essentiels de santé, désenclaver quartiers et communautés, proposer des tests rapides et des outils de prévention au plus près des besoins des personnes… Ce n’est que grâce à cette approche globale et à une mobilisation échelonnée sur tous les fronts dans la lutte contre le sida et les hépatites que nous pourrons faire que Marseille incarne cette ville plus juste ».