Afravih : la conférence passe enfin au Sud

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ConférencesAfravih 2018

Samedi 7 avril, la 9e conférence Afravih s’est achevée à Bordeaux avec des sessions orales sur la prévention, l’organisation des soins, les droits humains, la transmission verticale (de la mère à l’enfant) du VIH et du VHB, et une partie nettement plus technique sur le monitorage biologique. La session plénière de clôture a mis en avant la lutte contre le VHB, les anticorps du VIH et leur exploitation vaccinale et surtout le déploiement de la Prep. Sinon, on connaît désormais la ville hôte de la Conférence Afravih 2020. Ce sera Dakar.

La session plénière de clôture a bien été dans l’esprit de la conférence : de la science fondamentale avec l’intervention du professeur Pascal Poignard (Université de Grenoble) sur les anticorps, de la prévention biomédicale avec la Prep et le défi mondial de la lutte contre le VHB. Cette session a, en effet, insisté sur les enjeux de la lutte contre le VHB avec l’intervention de la professeure Fatou Fall (Servair, Dakar). Message clair dans la droite ligne de l’Appel de Bordeaux. Cette édition 2018, présidée par le directeur de l'ANRS, le professeur François Dabis, et coprésidée par les professeur-e-s Coumba Toure Kane (centre national de référence sur le VIH et des infections sexuellement transmissible au Sénégal) et Philippe Morlat (CHU de Bordeaux, responsable du groupe d’expert-e-s sur le VIH), avait, en effet, décidé de faire une place toute particulière à la lutte contre les virus des hépatites B et C. Cela a notamment pris la forme d’un appel à la communauté internationale et aux politiques pour que les infections par le VHB et le VHC soient prévenues, gérées et éradiquées en particulier en Afrique subsaharienne. Cet appel, lancé vendredi 6 avril, sous l'autorité de la ministre de la Santé de la Côte d'Ivoire, Raymonde Goudou-Coffié, et du Pr Nicolas Méda, ministre de la santé du Burkina Faso, met bien évidemment en avant la lutte contre le VHB. Une maladie qui touche des millions de personnes dans le monde alors même qu’il existe un vaccin contre le VHB mais, il est vrai, comme rappelait Fatou Fall dans son intervention que seulement "quatre nourrissons sur dix reçoivent la vaccination contre le virus de l'hépatite B dès la naissance et seulement un sur dix en Afrique". Avec cet appel, les responsables de l'Afravih entendent faire comprendre que "les stratégies de dépistage et de prise en charge sont insuffisantes voire inexistantes". Un bilan sera fait de cette initiative en 2020 à l’occasion de la prochaine édition de la conférence.

Il y a deux ans, à Bruxelles, la 8e conférence Afravih avait lancé l’appel de Bruxelles sur l’accès universel à la Prep. "Malgré les preuves et recommandations disponibles, la Prep reste non-autorisée dans une grande majorité de pays notamment au Sud. Sans autorisation, la Prep est largement utilisée de manière informelle, en dehors de tout cadre, avec tous les risques engendrés par des prescriptions "sauvages". La PrEP est l’un des outils de prévention combinée les plus prometteurs pour les personnes hautement vulnérables au VIH pour lesquelles les moyens de prévention traditionnels n’ont pas fonctionné ou ne sont pas adaptés (…) A l’heure où tant de progrès thérapeutiques en matière de VIH ont été accomplis, à l’heure où pour la première fois une possible sortie de l’épidémie dans quelques décennies est réellement envisageable combinant prévention, diagnostic et traitements précoces de l'infection VIH, il en va de la responsabilité des acteurs de santé de mettre en œuvre tous les moyens à disposition, dont la Prep, pour parvenir à cet objectif d'un monde sans VIH, expliquaient alors les activistes (AIDES, Coalition PLUS…) qui avaient lancé, les premiers, cet appel. Cette année, c’était l’occasion de faire un bilan de cette initiative. La tâché a été confiée à Eve Plenel (Vers Paris sans sida) et au Docteur Jade Ghosn (université Paris Descartes).

Quels déploiements de la Prep ?

Aucun doute sur l’efficacité et sur l’intérêt global de donner accès à la Prep, a rappelé Jade Ghosn, et pourtant le nombre de prepeuses et prepeurs reste peu élevé, même aux Etats-unis, notamment chez les femmes. Il y avait 77 000 personnes sous Prep dans le monde en 2016… ce sont maintenant plus de 200 000 personnes qui sont concernées. Près de  153 000 seraient aux Etats-Unis…. C’est bien, mais on doit pouvoir faire mieux car, comme rappelle Jade Ghosn, dans ce pays, ce sont 1,2 million de personnes qui sont éligibles à la Prep.

Lorsque cette stratégie est combinée avec d’autres stratégies et promotionnée comme à San Francisco, on voit un impact flagrant sur le nombre de contaminations. L’accès à la Prep reste encore trop limité en Europe, même en France et au Royaume-Uni. Une étude observationnelle sur le suivi des prepeurs s’est lancée en Suisse en février dernier afin de mieux connaitre les déterminants de l’adhésion et du maintien dans la Prep. En France, il y aurait 6 000 prepeurs, qui sont à 97 % des hommes et ont 38 ans en moyenne. Il n’y a toujours pas de chiffres officiels des autorités françaises concernant les mises sous Prep. Mais selon Jade Ghosn, on estime les initiations en Ile-de-France entre 2 600 (selon les chiffres de l’assurance maladie et 3 400 - selon les données des Corevih), une différence qui n’a pas d’explication. Mais, une chose est sûre, c’est la tendance au décollage de la Prep. Reste que les derniers chiffres datent de mars 2017. On serait autour de 4 500 initiations à Paris au 31 décembre 2017 selon Eve Plenel. En Afrique, on voit que l’acceptabilité de la Prep pour les communautés les plus touchées est forte et une étude ANRS Princesse qui va aller proposer un accès à la Prep grâce à des bus communautaires mobiles est lancée. Mais ici encore, ce qui manque au niveau global, c’est la volonté politique et les moyens financiers pour un accès universel pour toutes les personnes qui ont besoin de cet outil.

Repenser l’accès à la Prep avec l’exemple de Paris

Repenser à l’aune du modèle de Paris et de l’engagement pour la délivrance de la Prep aux communautés les plus exposées. La Prep ne doit pas être qu’un outil mais une libération sexuelle selon Eve Plenel. Mais il y a des freins à l’intégration de la médecine générale, à l’information des populations exposées et potentiellement éligibles. On peut montrer que le suivi Prep permet une médecine préventive globale et de santé pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, avec un soutien des pouvoirs publics. Mais il y aura toujours des polémiques et des dilemmes : faut-il viser toutes les populations ou se concentrer sur les gays ? Dans les pays à faible endémie, la Prep n’est coût/efficace que chez les gays, selon une étude. Il faudra aussi lutter contre les discours stigmatisants et favoriser une légitimation sociale de la Prep. De façon à ce que les personnes utilisatrices ne soient pas dépréciées par le regard social, ce qui semble fréquent aujourd’hui. Non, la Prep n’est pas juste une pilule mais une révolution sexuelle et il faut promouvoir un discours positif et bienveillant sur toutes les sexualités des personnes. Il faut initier d’autres indicateurs que le nombre d’initiations de Prep et que les tensions entre études et décollage réel ne viennent pas se percuter. Il reste deux ans (2020 !) pour passer à l’échelle en France et réussir le défi d’une efficacité de l’outil et impacter les contaminations chez les populations clés, conclut Eve Plenel.

Dakar, ville hôte de la conférence Afravih de 2020

Enfin ! La prochaine conférence Afravih va se dérouler dans un pays du sud… Ce sera le Sénégal avec Dakar. C’est la professeure Christine Katlama, présidente de l’Afravih, qui en a fait l’annonce samedi 7 avril. Les craintes existaient que le choix se porte encore sur une ville du Nord… après Bruxelles, puis Bordeaux. C’est particulièrement important que cette conférence se déroule dans un pays d’Afrique de l’Ouest, région particulièrement concernée par l’épidémie comme on l’a encore vu à Bordeaux. C’est symboliquement et politiquement fort. D’autant que nous serons alors en 2020 et que l’on est  censé connaître à cette date une première étape vers la fin de l’épidémie.

A la tribune, Florence Thune, directrice de Sidaction, a fait adroitement remarquer à Christine Katlama que ce serait bien que la société civile soit plus impliquée dans la préparation de la prochaine édition de cette conférence. "Bien sûr, évidemment. Cette maison est la vôtre", a-t-elle répondu… sans l’air d’y croire. A Bordeaux, il aura fallu négocier ferme pour que la société civile ait voix au chapitre sur la scène officielle lors de la cérémonie d’ouverture avec l’intervention sur la démédicalisation. De même, lors du lancement de l’appel de Bordeaux contre les hépatites, le panel officiel des oratrices et orateurs ne comprenait aucun-e représentant-e de la société civile alors même que le texte de l’appel souligne l’importance d’impliquer toutes les communautés et les personnes concernées. Bien sur le papier, rien sur la tribune. Un "oubli" qu’a souligné, très efficacement, Aliou Sylla (Coalition PLUS) en montant sur scène pour mieux mettre en évidence ce manque. Pas besoin d’être grand clerc pour voir que cet événement créé par des médecins pour des médecins peine encore à faire la place à tous les acteurs. Le professeur Gilles Brücker, secrétaire général de l’Afravih, a beau expliqué que l’Afravih est une grande famille, que l’on a besoin de tout le monde… encore faudrait-il le prouver vraiment et ne pas donner le sentiment que la société civile, c’est le cousin de province dont on regrette qu’il partage le déjeuner du dimanche au motif qu’il met les pieds dans le plat.