Afravih : les "Schtroumpfs" dynamisent l'ouverture

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ConférencesAfravih 2016

Premier jour à la conférence Afravih qui se déroule jusqu'au 23 avril à Bruxelles. Au menu, une longue cérémonie d'ouverture qui suivait deux symposiums touffus : l'un de l'Onusida sur les pays francophones qui s'engagent et innovent pour atteindre le cible 90-90-90 ; l'autre de l'Afravih sur la synergie des acteurs institutionnels, associatifs et communautaires, élément clef de l'efficience. Morceaux choisis.

Une cérémonie d'ouverture de conférence internationale sur le sida, c'est un peu comme les Césars, c'est toujours un peu long (trop même) avec des prestations plus ou moins attendues et de vraies surprises. Celle de la huitième conférence Afravih n'a pas dérogé à la règle. Côté très bonnes surprises, il y a eu la présentation de Martine Peeters qui a dressé en quelques minutes une histoire (la vraie) de l'apparition du VIH. La chercheure de l'IRD à Montpellier a rappelé que l'épicentre de l'épidémie se situe en Afrique centrale à Kinshasa en 1960. Dans une présentation dense et claire, Martine Peeters a retracé l'histoire de la transmission du virus du singe au singe, puis du singe à l'homme. Elle a, présentant les analyses d'horloge moléculaire sur lesquelles elle et son équipe ont travaillé indiqué, que l'apparition du VIH1 datait des années 20 et celle du VH2 des années 40. Sa présentation a aussi permis de comprendre que la pandémie de VIH que nous connaissons aujourd'hui est le résultat des mutations d'un virus ayant permis de passer de l'animal à l'homme et de changements sociaux accompagnés d'un développement des moyens de transports et donc d'une plus grande circulation des hommes. Pour faire court, le virus du singe, un SIV (une forme animale du VIH) est passé à l'homme, l'homme s'est déplacé des forêts vers les zones urbaines, notamment pour y commercer, en l'occurrence à Kinshasa, où sont arrivés, en différentes occasions, des étrangers appartenant à des forces militaires onusiennes et des enseignants en coopération, dans ce cas des Haïtiens. Certains de ces Haïtiens sont retournés dans leur pays contaminés sans le savoir. Le virus est alors arrivé en Haïti. Le tourisme sexuel, pratiqué par certains touristes américains, a fait le reste, permettant au VIH d'arriver aux Etats-Unis. Ce qui était fascinant dans cette présentation, c'est l'évidence de l'explication d'un phénomène, d'autant que les progrès scientifiques permettent vraiment d'établir l'histoire et de balayer les thèses révisionnistes sur l'apparition du VIH. Mais cette présentation avait aussi des allures d'appel à la vigilance. Car cet enchaînement pourrait de nouveau survenir. Ainsi il existe 45 espèces de primates en Afrique, chaque espèce est atteinte d'une forme différente de SIV, un virus qui pourrait un jour muter voire passer chez l'homme puisque certaines pratiques, pouvant occasionner le passage à l'homme, se poursuivent comme le dépeçage des singes, notamment dans les zones proches des exploitation minières et forestières.

Très bonne surprise aussi avec l'intervention du docteur Isabelle Andrieux-Meyer, médecin en Suisse et pour Médecins sans frontières (MSF). Son intervention portait sur l'accès au traitements contre le VHC dans le monde. Evoquant, une tragédie globale à propos du VHC, elle a comparé la révolution thérapeutique que constitue l'arrivée des antiviraux à action directe (AAD) à celle de la pénicilline en son temps. Reste que cette révolution scientifique et thérapeutique trouve péniblement sa traduction dans la vie des personnes vivant avec le VHC. La cause est connue : des prix beaucoup trop chers. Des millions de personnes sont infectées par le VHC dans le monde, 60 % des personnes usagères de drogues sont atteintes, et des dizaines de milliers en décèdent. Dans une présentation truffée de chiffres et d'infos (on y reviendra quand on pourra lire la présentation à tête reposée), on notera juste que devant les prix de plus en plus faramineux exigés par les labos (au gramme, certains médicaments anti-VHC ont la même valeur que le diamant), il y a de plus en plus de stratégies de contournement : buyers clubs, accords entre ONG et des fabricants de génériques...

C'est un autre registre qu'a emprunté la présentation de Jeanne Gapiya qui dirige l'ANSS (Association nationale de soutien aux séropositifs et malades du sida) au Burundi. Un registre plus chargé d'émotion car il lui incombait d'expliquer l'impact d'une crise politique sur la prise en charge du VIH dans son pays. Le Burundi a connu de longues périodes mouvementées, c'est toujours le cas aujourd'hui à la suite d'élections présidentielles particulièrement controversées. Jeanne Gapiya a retracé les différentes crises que le pays a connues et donc, par effet de ricochet, l'association qu'elle préside. Elle a évoqué les conséquences des crises politiques sur la vie des personnes bénéficiaires, mais aussi sur celle des acteurs (pairs, médecins, etc.). Aujourd'hui, dans un contexte qui se normalise lentement, les services proposés par les différentes antennes de l'ANSS se rapprochent de la normale... mais tout n'a pas repris au même niveau d'activité qu'avant. Reste un motif de satisfaction et de fierté : l'association n'a jamais cessé son activité pour ne pas pénaliser ses bénéficiaires. De la fierté, Jeanne Gapiya aimerait, comme d'autres, en éprouver d'avoir contribué à rendre la PrEP accessible pour tous et partout.

C'était, en effet, le point fort de son intervention. L'administratrice de Coalition PLUS, dont l'ANSS est membre, a souhaité que l'appel de Bruxelles (on y reviendra) pour la PrEP permette de lever les barrières qui font obstacle actuellement à la mise en place de la PrEP partout et pour tous. "Tout le monde doit avoir aujourd'hui accès aux mêmes outils de prévention. Nous voulons la PrEP partout et maintenant", a t-elle lancé depuis la tribune avant d'être rejointe par des militants de Coalition PLUS et de ses associations membres, vêtus de bleu, façon invasion de Schtroumpfs, arborant un tee shirt avec le slogan "PrEparons un monde sans sida". Durant quelques minutes, ils ont rappelé les enjeux de la PrEP. "Nous avons demandé la parole parce que nous avons besoin de faire de la PrEP une réalité dans nos pays. La PrEP est une urgence" a expliqué Aliou Sylla, porte-parole de Coalition PLUS sur ce sujet et directeur de la plateforme Afrique de l'ouest de la coalition. Et le médecin et militant, d'expliquer : "Nous sommes tous concernés. Nous comptons sur vous. PrEParons un monde sans sida ». De PrEP, il en a aussi été question dans la première intervention de la cérémonie d'ouverture : celle du professeur Christine Katlama.

Déroulant, de nombreuses idées, la présidente de l'Afravih a expliqué que la lutte contre le VIH peut être un modèle pour une santé de demain, autrement dit que le VIH peut (et doit) être le sillon de la santé universelle ; qu'il fallait inlassablement informer, éduquer, batailler contre les idées reçues afin d'en contrer les effets délétères. Pour Christine Katlama, il convient de changer la perception des traitements par les personnes, de changer l'image de la séropositivité, de renforcer la cascade de soins, d'adapter les systèmes de santé au Sud comme au Nord aux nouveaux enjeux. Volontariste sur le fond comme sur la forme, Christine Katlama a défendu, concernant la PrEP, une position pragmatique et logique. Cela conduit à ne pas faire de faux procès à la PrEP, à la défendre comme un outil de prévention à part entière, dans une offre de prévention qui serait diversifiée. "Nous avons une pilule protectrice, pourquoi la bouder alors que des personnes ou des groupes en ont besoin ?", a t-elle interrogé, confirmant dans la foulée que l'Afravih soutenait l'appel de Bruxelles qui demande et engage la mise en place de la PrEP, partout et pour tous.

Cette première journée de conférence francophone fait émerger deux thèmes forts et évocateurs d’un changement profond dans la lutte contre le sida actuelle et de demain. Le premier point concerne un nouveau rapport qui s’instaure dans la répartition des tâches entre acteurs médicaux et non médicaux, voire même acteurs communautaires. En effet, un double mouvement semble infléchir ce nouveau rapport à "qui fait quoi" ou "qui peut et doit faire quoi". Tout d’abord des expériences comme celle de la démédicalisation du dépistage en France, sous l’impulsion de la recherche Com’test initiée par AIDES et l’ANRS, montrent l’émergence d’une demande des acteurs communautaire de prendre part dans l’offre de santé et notamment avec l’atout de la proximité qu’ils ont avec les publics clés (expérience qui fait école comme l’illustre les demandes vives des acteurs associatifs belges ou l’expérimentation menée en Haïti) ; ensuite la nécessité de décentraliser la prise en charge afin de mieux couvrir les besoins des personnes séropositives par exemple en terme de suivi thérapeutique, ce qui passe par la délégation de tâche de "suivi" comme la délivrance d’antirétroviraux, le renouvellement de prescription ou encore le suivi biologique, là ou géographiquement les équipes médicales ne peuvent pas répondre à tous les besoins. Notons que cette évolution suit celle de la simplification des thérapeutiques, du développement des outils diagnostiques et la montée en compétences des différents acteurs.

Le second point concerne quant à lui un nouveau rapport qui s’instaure dans la conduite des projets de recherche avec de nouveaux types de partenariats entre chercheurs et acteurs associatifs. Des exemples concrets de partenariats ont été présentés comme ceux qui concernent le dépistage (Checkpoint Paris/ANRS-Cube), la prévention de la transmission mère enfant (Solthis/Inserm), ou encore le développement de la PrEP (AIDES / ANRS-Ipergay). Ces différents projets de recherche sont parfois à l’initiative des chercheurs, d’une association gérant un programme de santé ou d’une communauté. Les objectifs sont aussi divers : parfois la volonté d’impacter l’épidémie par l’expérimentation d’une approche innovante, parfois l’évaluation d’un dispositif visant à démontrer son intérêt et développer de nouveaux financements ou encore la production de données visant à assurer un plaidoyer pour faire évoluer une politique de santé. Une chose est sûre, ces partenariats en recherche visent à produire des données selon des méthodes rigoureuses au service de la connaissance, mais aussi et surtout de l’action. Véronique Doré de l’ANRS a très bien illustré ce propos en décrivant l’impact de l’essai PrEP français (Ipergay) sur le changement de politique, en témoigne l’annonce de la ministre française de la Santé avec l’établissement d’une recommandation temporaire d’utilisation de ce nouveau traitement en prévention du VIH dès le 1er janvier 2016, comme l’annonce de la maire de Paris, Anne Hidalgo, pour un "Paris sans sida" où la PrEP serait au cœur de la réponse. Rappelons que l’association AIDES était responsable du recrutement des participants, du soutien et de l’accompagnement de ces derniers afin de les soutenir dans leur observance au traitement.

Deux thèmes où les liens entre les communautés et les chercheurs/médecins semblent se renforcer pour créer les innovations et les réussites dans la lutte contre le sida de demain. Seul bémol, le comité d’organisation et comité scientifique de la conférence restent eux en marge de cette tendance avec une surreprésentation de docteurs et professeurs, pour ne pas dire l’absence criante des communautés. La participation des communautés à la gouvernance sera-t-elle le troisième thème de demain ?

Ah sinon, cette première journée a permis d'appendre quelques infos. Stéphane de Wit, médecin infectiologue et président de la 8e conférence Afravih, nous a donné des chiffres sur la conférence. Plus de 1 170 résumés ont été soumis aux organisateurs, 488 ont été retenus. 114 font l'objet d'une présentation orale et 374 ont été présentés comme poster. Si on regarde les résumés par catégories : 61 concernent les stratégies thérapeutiques dont quelques unes sur l'allègement, 78 les populations clefs, mais seulement 9 la santé sexuelle et les IST, 9 les discriminations et stigmatisation, etc. Il y a un peu plus de 1 100 participants à la conférence, venant de trente-cinq pays. On a aussi appris que Ruth Dreyfuss, ancienne présidente de la Confédération Helvétique, va remettre avant l'été un rapport sur le prix du médicament et l'accessibilité aux traitements et à l'innovation médicale.

Et la phrase du jour, on la doit à Stéphane Lopez de l'Organisation internationale de la francophonie : "La solidarité est la tendresse des peuples".