Afrique de l’Ouest et Centrale : Etats d’urgence !

Publié par Morgane Ahmar le 13.12.2017
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ConférencesIcasa 2017

Les yeux étaient rivés la semaine dernière sur Abidjan, en Côte d’Ivoire, où se déroulait la Conférence internationale sur le sida et les IST en Afrique Icasa. L’occasion de rappeler les besoins criants de la région d’Afrique de l’Ouest et Centrale (AOC) en matière de riposte au VIH/sida.

Trente années après le début de l’épidémie, des avancées considérables ont été réalisées tant sur le plan des avancées scientifiques que politiques. Des traitements antirétroviraux efficaces ont été développés et plus de 15 millions de personnes en ont bénéficié, des organismes de solidarité multilatéraux tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida ont été créés, des innovations thérapeutiques telles que la Prep (prophylaxie pré-exposition) ont été développées, etc. Pourtant, l’accès à ces avancées a été à double vitesse et la région Afrique de l’Ouest et Centrale reste aujourd’hui largement en marge par rapport aux pays d’Afrique australe notamment. La région Afrique de l’Ouest et Centrale qui ne représente que 6 % de la population mondiale abrite pourtant 18 % des personnes vivant avec le VIH, recense 27 % des décès liés au sida, et 45 % des enfants nés séropositifs (données rapport Médecins sans Frontières 2016, Onusida, 2017). Aujourd’hui plus d’un décès sur quatre dans le monde lié au sida survient dans cette région.

Les causes de cette disproportion sont multiples. Les taux de prévalence dans la population générale plus faibles en Afrique de l’Ouest et Centrale que dans d’autres pays de la région aux débuts de l’épidémie ainsi que des épidémies davantage concentrées chez les populations clés tels que les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ou les travailleuses et travailleurs du sexe ont sans doute généré moins de volonté politique et de soutien financier de la communauté internationale. Les conséquences s’en ressentent aujourd’hui par un faible accès à l’innovation thérapeutique et par la trop lente mise en œuvre des recommandations de l’Organisation mondiale.

A titre d’exemple, sur 25 pays, seuls douze ont adopté la stratégie "tester-traiter" soit la mise sous traitement des personnes immédiatement après diagnostic recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2015. D’autre part, seuls treize des pays de la région autorisent les médecins à déléguer certaines tâches comme le dépistage ou le renouvellement des ordonnances à des agents de santé communautaires formés à cet effet, une stratégie fortement recommandée par l’OMS pour pallier le manque de ressources humaines médicales dans les pays et atteindre les populations les plus exposées au VIH.

Plus généralement, l’investissement sur le communautaire dans tous les volets de la prise en charge est encore trop faible dans cette région. Or l’implication des actrices et acteurs communautaires doit être au cœur des stratégies de prévention, de dépistage et de prise en charge du VIH, comme martelé par les organisations internationales telles que l’OMS et l’Onusida. C’est cette implication qui permettra de réduire la stigmatisation et la discrimination encore très fortes pour les personnes vivant avec le VIH et les populations clés ou encore de favoriser l’éducation thérapeutique et l’observance des personnes vivant avec le VIH. Le leadership communautaire est aussi crucial pour mener du plaidoyer, stimuler la demande et prodiguer des services qui répondent aux besoins réels des populations clés.

En 2016, Médecins Sans Frontières a mis la lumière sur l’urgence à agir en Afrique de l’Ouest et Centrale en publiant le rapport "Le Prix de l’Oubli". Aujourd’hui, l’Onusida et les pays de la région tentent de mettre en œuvre des "plans de rattrapage" pour que l’Afrique de l’Ouest et Centrale puisse combler son retard en intégrant les stratégies de dépistage, prévention et prise en charge recommandées par l’OMS aux stratégies nationales de lutte contre le sida. Pourtant le financement ne suit pas. Dans le même temps, les pays développés diminuent leurs contributions financières à la lutte contre le sida et le Fonds mondial, principal bailleur dans la région, réduit la part des activités communautaires dans les subventions des pays, seul moyen pourtant d’atteindre effectivement les populations les plus exposées au VIH.

Sans un fort engagement politique, l’épidémie en Afrique de l’Ouest et Centrale continuera de plus belle et risque de ressembler dans les prochaines décennies à ce que nous avons connu dans les années 1990 et 2000 en Afrique australe. Il en va de la responsabilité des bailleurs internationaux et des Etats d’Afrique de l’Ouest et Centrale de s’assurer que les investissements dans la région augmentent selon les recommandations de l’Onusida, que les stratégies recommandées par l’OMS notamment les interventions communautaires soient mises en place, et que leur accès aux populations clés soit garanti.