AIDES : Guyane, on avance !

Publié par jfl-seronet le 08.01.2012
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Militants de AIDES à Saint-Laurent-du-Maroni, Trevor, Rudolphe, Rinia et Anne expliquent quelle est la situation en Guyane, les atouts de ce territoire et les obstacles, nombreux, qui pénalisent les personnes vivant avec le VIH et les hépatites. Ils expliquent aussi ce que AIDES mène comme actions en Guyane.
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Comment caractériser en quelques chiffres l’épidémie de VIH/sida et celle d’hépatites virales en Guyane ?
Les personnes domiciliées dans les départements français d’Amérique représentent près de 10% de l’ensemble des découvertes de séropositivité en France sur la période 2007/2008 dont 4% pour la Guyane. Le taux de prévalence [nombre de cas dans une population à un instant T, ndlr] du VIH y est le plus élevé de France. Le nombre de personnes suivies dans les trois hôpitaux de la Guyane croit régulièrement. Aujourd’hui, il est supérieur à 1 500 personnes. En 2008, sur le fleuve Maroni, 39 personnes séropositives au VIH étaient connues des centres de santé, dont une grande majorité est perdue de vue. C’est-à-dire qu’elle n’est plus en lien avec le système de soins. Dans les centres de santé, 60% des personnes sont perdus de vue. La transmission du VIH est principalement hétérosexuelle. Il y a peu de cas par usage de drogues. Il y a une forte proportion de personnes étrangères, notamment des femmes, et les diagnostiques sont tardifs. En Guyane, près de 80% des personnes infectées par le VIH sont de nationalité étrangère. La population immigrée (30% est près de deux fois plus élevée en Guyane qu’en Ile-de-France). On peut ajouter que la séropositivité pose des problèmes de confidentialité et suscite de fortes discriminations notamment dans les très petites communautés, cela étant les situations sont très variées et des évolutions existent comme celle qu’on connaît le long du fleuve Maroni.

Qu’en est-il pour les femmes et les populations vulnérables ?
Un chiffre frappe : la prévalence des femmes accouchées à Saint-Laurent-du-Maroni est de 1,3%, ce qui correspond à une situation d’épidémie généralisée.  Au début des années 1990, la prévalence chez les femmes enceintes sur le fleuve Maroni était nulle, elle est passée de 0 à plus de 1% en 10 ans. Chaque année, 70 à 80 femmes infectées par le VIH accouchent en Guyane. L’épidémie touche aussi les populations vulnérables. Des données du COREVIH (Coordination régionale de lutte contre le VIH) de Guyane indique que la prévalence serait de 6,7% chez les personnes en détention, de 6,8% chez les personnes qui consultent des centres spécialisés dans les addictions, de 6,9% chez les travailleurs et travailleuses du sexe, entre 3 et 4% chez les femmes enceintes du Guyana (pays frontalier de la Guyane) et d’Haïti (0,6% chez les femmes enceintes françaises). La mise en place du projet Interreg IV, financé par l’Union européenne nous permet d’aller rencontrer les groupes les plus vulnérables au VIH. Ce projet prévoit en effet dans sa première phase, une enquête auprès des consommateurs de crack, des hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes, et des personnes migrantes afin de mieux connaître leurs pratiques et attitudes face au VIH, et leurs besoins, notamment en terme de prévention et d’accès aux soins.

Quelles sont les évolutions de l’épidémie VIH en Guyane ?
Selon les données estimées de l’Institut national de Veille sanitaire, il y a eu plus de 250 nouvelles infections en 2008. En termes d’évolution : 7% d’augmentation de la file active signifie un doublement en 10 ans. L’incidence du sida [nombre de nouveaux cas observés pendant une période dans une population donnée, ndlr] en 2007 était 17 fois supérieure à celle de métropole. Parmi les personnes de la file active (celles qui sont suivies médicalement), 30% sont au stade sida. Les déclarations VIH montraient que 20% des infections VIH diagnostiquées dataient de moins de 6 mois (40% en métropole). Parmi les personnes que nous accueillons, peu sont concernées par les hépatites. Les chiffres ne nous disent pas tout : de nombreuses personnes connaissent les hépatites, mais ne vont pas voir le médecin. D’autres personnes ne connaissent pas les hépatites et ne se dépistent pas. Il est difficile de répondre sur la situation du fleuve Maroni et les communes isolées quand on connaît le nombre de personnes perdues de vue. Plusieurs témoignages de membres du personnel médical des dispensaires de Grand Santi et Javouhey indiquent que ces derniers restent préoccupés par le nombre de plus en plus important de personnes touchées par l’hépatite B.

A la lecture des rapports officiels, des reportages… on a le sentiment que la Guyane est à part. Qu’est-ce qui fait, en positif comme en négatif, de la Guyane un département à part ?
L’éloignement géographique, plus de 8 000 kilomètres qui nous séparent de la métropole. Nous sommes vite oubliés. C’est un territoire très vaste avec une population importante, mais concentrée sur le littoral et des communes isolées dans les terres et le long du fleuve Maroni. Du fait de cet isolement, il y a un manque d’accès à l’information (pas de chaines de télévision, peu de médias, trop peu de moyens de communication). Dans les communes isolées, la langue est différente, il y a une réelle barrière. Nous connaissons une concentration de difficultés rencontrées par d’autres territoires de la zone Caraïbes comme à Saint-Martin avec des populations très vulnérables : les travailleuses du sexe, les migrants, les consommateurs de produits, etc. A cela s’ajoutent des conditions économiques et sociales peu favorables. Nous avons moins de structures qui accompagnent, informent et soutiennent les personnes. Les personnes n’ont pas de logement et ne trouvent pas d’emploi. Elles n’ont, parfois, pas de ressources pour s’alimenter. Nous constatons de réels dysfonctionnements des administrations et des institutions (manques d’initiatives, inertie des services, discrimination, etc,). Nous vivons dans une zone de forte migration, nous ne parlons pas d’étrangers, mais de personnes qui sont mobiles entre différents pays et qui ont des lieux de vie des deux cotés d’une même frontière. Nous avons des frontières avec le Surinam à l’Ouest et le Brésil. Nous sommes proches du Guyana et de tous les autres pays de la zone Caraïbes (Haïti, République Dominicaine, etc.). Le point positif, c’est que les personnes se mobilisent, il y a une certaine solidarité entre elles. Nous travaillons bien avec les partenaires et la population reconnaît notre travail et nous soutient.

Récemment, un rapport d’information du Sénat pointait l’insuffisance de l’offre de soins "alors même que les besoins vont croissant (déficit du nombre de professionnels, spécialités non couvertes, lits d’hôpitaux insuffisants…)". Quel bilan dressez-vous en matière d’offres de soins VIH/sida et hépatites ?
Effectivement, il manque beaucoup de médecins généralistes par rapport au nombre d’habitants. Tous les services ne sont pas sur le territoire. Certaines personnes sont obligées de partir en Martinique ou en métropole pour pouvoir se faire soigner. Cela coûte cher et les personnes se retrouvent loin de leur famille. Il n’y a pas assez de spécialistes non plus. Un exemple : pour se rendre chez l’ophtalmologiste, nous devons nous rendre sur Cayenne à trois heures de route et les rendez-vous sont très difficiles à obtenir. Il faudrait former les gens ici, et leur donner envie de rester par la suite. A Saint-Laurent-du-Maroni, les structures de soins ne sont pas assez nombreuses et trop petites pour hospitaliser tout le monde. Il manque des lits, les services sont surchargés, la médecine, la maternité, les urgences... En cas d’épidémies de grippe ou de tuberculose… tout se complique et les risques de contamination augmentent lorsque les gens sortent trop vite de l’hôpital. Sur le fleuve, ce sont des dispensaires, les équipes et les médecins ne restent pas longtemps et il n’y a pas toujours toutes les prestations. Un exemple : l’accès aux moyens de prévention (préservatifs féminins et masculins, gels lubrifiants) mais aussi les traitements post exposition (TPE) reste aléatoire en fonction du lieu où on habite sur le fleuve. Certaines communes sont très isolées des autres centres de santé ou de l’hôpital. Il est difficile de se rentre à des rendez-vous car il n’y a pas de facilité de transports. Les personnes arrivent souvent en situation d’urgence à l’hôpital. Les personnes utilisent les pirogues de fret pour se déplacer et n’ont pas toujours de la famille pour les héberger en ville. Le transport et les déplacements en Guyane sont un réel problème.

Témoignages, rapports, reportages évoquent un accès complexe aux droits et des difficultés administratives particulièrement fortes. Quelles solutions, AIDES, ses partenaires, ont-ils mis en place pour réduire ces difficultés qui constituent un véritable obstacle en matière d’accès aux soins ?
Il y a toujours une situation urgente, toujours une situation difficile, toujours une situation compliquée. Ce qui provoque du stress pour la personne et du stress parfois, pour nous, militants. Nous nous battons avec les personnes concernées pour vivre mieux avec la maladie et se maintenir en bonne santé. Nous avons plusieurs actions où les personnes se ressourcent et trouvent de la force pour se battre : les week-ends Santé en forêt, l’accueil, la mobilisation, etc. L’accueil et l’accompagnement social prennent beaucoup de notre temps et de notre énergie. Il nous arrive régulièrement d’accompagner physiquement les personnes dans les administrations pour que les démarches aboutissent, pour limiter la discrimination et le "favoritisme" et servir de médiateur. Vu le manque d’aides légales et extra légales pour les plus démunis, nous soutenons les personnes financièrement pour qu’elles puissent manger et accéder à leur titre de séjour. Ce n’est pas dans les missions de AIDES, mais face à de telles difficultés cela modifie beaucoup notre travail. Nous réfléchissons à d’autres projets pour trouver des alternatives au manque de ressources. Les personnes concernées se mobilisent pour trouver plus de force pour trouver du travail et avoir une meilleure qualité de vie. Les situations changent doucement ou régressent, la qualité de vie des personnes ne s’améliore pas toujours. Nous sommes régulièrement confrontés aux barrières des administrations et devons trouver des stratégies pour contourner ces barrières… Entre ce que la loi dit et l’interprétation que les administrations, ici, s’en font. La défense des revendications est transversale à toutes nos actions. C’est un travail que nous menons avec les partenaires localement et par notre présence dans les instances de représentation de la lutte contre de VIH.

Beaucoup de personnes découvrent tardivement leur séropositivité… C’est  particulièrement vrai pour Saint-Laurent du Maroni. Quelles actions menez-vous sur ce point ?
Nous avons des actions de prévention de réduction des risques avec les populations vulnérables dans les quartiers, auprès des travailleuses du sexe, par exemple. Nous proposons dans le cadre des ateliers Santé sexuelle la possibilité de se faire dépister par les tests rapides d’orientation diagnostique. Nous allons à la rencontre des populations sur les communes isolées du fleuve et participons à des actions de prévention avec les personnes mobilisées sur place… L’information, la lutte contre les idées reçues, les échanges individuels et collectifs participent à rendre l’image du VIH moins négative et donner envie à la population de connaître son statut sérologique.

Des origines multiples, des langues différentes, des parcours variés… AIDES rencontre des personnes diverses. Comment l’association en tient-elle compte ? Les besoins qu’elles expriment ont-ils des points communs ou sont-ils différentes d’un groupe à un autre, d’une communauté à une autre ?
Les militants à AIDES sont, eux-mêmes, d’origines multiples, de langues différentes et de parcours de vie très variés, à l’image des personnes que nous rencontrons. Ce qui fait notre force et notre richesse et ce qui gomme les différences qui pourraient y avoir entre les  groupes ou communautés. Nous ne touchons pas toutes les communautés, certaines restent très difficiles à mobiliser et d’autres sont peu visibles à cause de la forte discrimination qu’elles subissent. On pourrait citer, par exemple, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Il existe des points communs dans ces communautés… par exemple, la violence dont sont souvent victimes les femmes, les difficultés d’accès aux droits et aux soins des personnes migrantes. Ce qui frappe, c’est que la discrimination est le point commun à toutes les communautés.


Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

AIDES Territoire d’Action Guyane - 36 rue du Colonel Chandon - 97320 Saint Laurent du Maroni
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