Aids 2022 : suivez les activistes !

Publié par Rédacteur-seronet le 08.08.2022
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ConférencesAids 2022

Mardi 2 août, Aids 2022, la conférence mondiale sur le VIH, organisée par l’IAS à Montréal, s’est achevée avec une cérémonie de clôture sans surprises ni grande annonce. Quel bilan peut-on tirer de cette conférence ? A-t-elle répondu aux enjeux et attentes posés en ouverture ?

Pas d’annonce sur le Fonds mondial

Après cinq journées intenses de symposiums, plénières et satellites, la session de clôture vient résumer les enjeux et mettre un terme à la conférence Aids 2022. Une heure et demie avant la cérémonie, les rapporteurs-ses de l’IAS s’enchaînent pour analyser et apporter un regard critique aux thématiques et sujets principaux des cinq derniers jours. La cérémonie est modérée par Birgit Poniatowski, directrice exécutive de l’IAS et est démarrée par Jean-Pierre Routy, co-président local. Ce dernier entame le ballet des remerciements et rappelle l’importance du slogan qui « a résonné dans ces salles », celui du U = U. Alors qu’il cède sa place au ministre de la Santé canadien, Jean-Yves Duclos, les activistes canadiens-nes prennent possession de la scène en brandissant des pancartes « La promesse non tenue du Canada ». L’activiste au micro invective le ministre et la salle : « La réponse canadienne au VIH est bloquée dans le passé. Aidez-nous à avancer ».

Une fois l’action terminée, le ministre Duclos remercie la participation active de la communauté, « notre communauté » et l’existence d’objectifs communs. Ses propos se veulent rassurants et abordent un « réengagement », des promesses de remobilisation et de foi en la science. Toutefois, aucun nouvel engagement concret. Le ministre liste ce qui a été annoncé par ses collègues durant la conférence, mais botte en touche sur l’engagement du Canada à la prochaine conférence de reconstitution du Fonds mondial qui aura lieu en septembre aux États-Unis : « Nous reviendrons vers vous très bientôt ». Bien qu’il insiste sur le fait qu’une épidémie ne doive pas en dissimuler une autre, difficile de ne pas ressentir une certaine volonté d’instrumentalisation des communautés quand il répète : « Nous avons parcouru ensemble beaucoup de chemin. L’élimination du VIH est à notre portée, il ne faut pas baisser les bras ». En tout cas, les bras tenant des pancartes devant la scène ne faiblissent pas.

Mercy Shibemba, activiste pour les enfants et jeunes vivant avec le VIH, et contributrice au site d’infos Aidsmap, lui succède. Dans un début de discours fort, elle souligne l’impact continu du colonialisme, qui se ressent encore dans « les systèmes, les structures et les institutions dans lesquels on s’engage ». Après une minute de silence chargée en revendications, elle affirme qu’on ne peut pas continuer le « business as usual » (faire comme d’habitude) : « On doit parler de privilège et le privilège est présent dans cette salle ». Après son discours, des activistes travailleurs-ses du sexe prennent le micro dans la salle et scande « sex work is work » (« Le travail du sexe est un travail »). Leur porte-parole exige la décriminalisation complète du travail du sexe, mais aussi de l’usage de drogues, de l’homosexualité et de la non-divulgation de son statut sérologique. Elle recadre les applaudissements : « N’applaudissez pas si vous ne faites pas partie de notre camp. On ne veut plus venir à des conférences internationales où des politiciens viennent sur scène sans prendre des actions concrètes pour assurer la sécurité et le bien être des personnes vulnérables ». Sex work is work, profiting of our lives is not ». Limpide.

IAS 2023 à Melbourne

C’est au tour d’Adeeba Kamarulzaman, présidente de l’IAS, de monter sur scène. Après des remerciements, notamment aux activistes qui « maintiennent la flamme allumée », et un poème traditionnel malaisien (« Si vous avez des aiguilles brisées, ne les gardez pas dans une boîte. Si vous avez des erreurs, ne les gardez pas dans votre cœur »), elle annonce qu’il s’agit de sa dernière prise de parole en tant que présidente et qu’elle cède sa place à l’infectiologue et chercheuse australienne Sharon Lewin.

Cette dernière en profite pour rappeler qu’elle attend avec impatience le jour où une femme qui cède sa place à une autre femme en tant que présidente de structures comme l’IAS ne sera plus quelque chose d’exceptionnel. Elle rappelle le prochain rendez-vous : la 12e conférence scientifique IAS se déroulera du 23 au 26 juillet 2023 à Brisbane en Australie. Adeeba Kamarulzaman promet que, cette fois, tout le monde y sera bienvenu (malgré le cout exorbitant des billets d’avion pour l’Australie pour la plupart des pays du Sud…). Enfin, après plus d’une heure de discours, le groupe de pop rIVerse vient interpréter une de leurs chansons en incarnant et prenant la défense des personnes séropositives, queer, grosses, afro-descendantes et indigènes. C’est d’ailleurs les mêmes représentants-es indigènes qu’à l’ouverture qui leur succèdent et closent définitivement la conférence avec une cérémonie traditionnelle.

Cette cérémonie de clôture est un peu à l’image de cette conférence : sans surprise. Pas d’annonce marquante, pas de grande star internationale, pas ou peu de leaders politiques d’envergure (Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, invité à la cérémonie de clôture, n’a pas fait le déplacement), pas d’engouement médiatique (une salle de presse à moitié vide pendant toute la durée de la conférence). Quelques moments forts certes, mais en discutant avec des activistes habitués-es des conférences IAS depuis des années, le ressenti général est que le « cru » 2022 manquait de saveur. Même le balai des actions militantes semblait parfois convenu. Preuve en est, ce message affiché sur les écrans à chaque irruption des activistes sur scène : « Merci pour votre plaidoyer, nous vous remercions de regagner vos sièges afin de laisser la session se poursuivre ». Agacée par ce message répété chaque jour, Florence Thune, directrice de Sidaction présente à la conférence, a réagi sur Twitter : « S’il vous plait n’utilisez pas ce message… Les activistes n’ont pas à regagner leurs sièges. Ils quittent la scène quand ils considèrent que leur message a été complétement délivré et entendu ». Une réaction qui fait du bien.

Quelle place pour la lutte contre le VIH en 2022 demandait l’IAS en ouverture ? Concernée par le manque d’intérêt et le rythme lent des progrès effectués dans la réponse au VIH, l’IAS appelait le monde à se remobiliser et adhérer au slogan « suivez la science (Follow the science). Mais tout au long de cette conférence ce sont les personnes concernées et les activistes qui ont marqué les esprits. Que ce soit l’intervention en plénière d’ouverture pour dénoncer les refus de visas ; la présentation très applaudie de Doris Peltier, activiste autochtone ; le zap des activistes pendant la session sur le Monkeypox ou encore le master class en santé communautaire de Rena Janamnuaysook, une activiste trans thaïlandaise. Ce sont ces moments qui reviennent dans les discussions en quittant le centre des congrès de Montréal. Autre moment fort lors du dernier jour : Éric, ancien usager de drogue co-infecté par le VIH et l'hépatite C, prend la parole pour remercier son médecin, Marina Klein (présente sur scène) de lui avoir « sauvé la vie ». Des sanglots dans la voix, l’activiste émeut toute la salle. Un moment qui humanise ce genre de plénière un peu froide. Et si finalement le slogan de la prochaine grande conférence en 2024 était « Suivez les activistes » (follow the activists) ?

Fred Lebreton, Cynthia Lacoux, Célia Bancillon, Alicia Maria, Paul Rey et Léo Deniau

 

Traitements VIH à longue durée d’action
Les traitements injectables à longue durée d’action contre le VIH commencent à prendre de l’ampleur dans certains pays, notamment aux Etats-Unis et Canada et en Europe. Ces traitements, des bithérapies administrées par voie intramusculaire tous les mois ou tous les deux mois au lieu d’une pilule avalée par jour pour la majorité des autres traitements, constituent une avancée thérapeutique dans le sens où ils permettent de diversifier l’offre de soin. Cette diversification maximise les chances de s’adapter aux spécificités de chaque personne, conduisant à une meilleure observance donc à la diminution des échecs thérapeutiques et des développements de résistances. Les traitements de longue durée suscitent un engouement certain : « Nous avons mené une étude auprès de 800 personnes vivant avec le VIH. Parmi elles, plus de neuf répondants-es sur dix ont indiqué qu’ils-elles préfèreraient la solution injectable longue durée, à leur prise orale quotidienne », indique Pedro Cahn, de la Fondation Huesped en Argentine. Pourtant, les freins à la généralisation de ces traitements sont nombreux, tant au niveau individuel — se rendre à l’hôpital ou auprès d’un-e infirmier-ère pour l’injection notamment — qu’au niveau des systèmes de santé, qui n’ont souvent pas la capacité à prendre en charge ces augmentation de file active.De nombreuses alternatives aux injections sont à l’étude pour des traitements VIH et Prep à longue durée d’action (deux mois ou plus entre chaque « prise »), avec des résultats prometteurs. Pedro Cahn en fait la revue : implants, patchs, anneaux vaginaux, et plus encore. Avec parfois des durées d’action allant jusqu’à douze mois ! Cela étant, la question de l’acceptabilité et de la plus-value de chacune de ces solutions doit être posée aux personnes concernées elles-eux-mêmes. Est-il nécessaire de développer toutes ces nouvelles solutions, qui comportent des coûts de recherche et développement très élevés, si ces « innovations » ne répondent pas à un besoin initialement identifié et qualifié auprès des populations concernées ?

 

Tu pana te cuida
Depuis 2018, la crise économique et politique qui s’enlise au Venezuela a poussé plus de six millions de personnes à quitter leur territoire. Parmi elles, 1,8 million sont actuellement en Colombie, dont 14 000 vivant avec le VIH, mais seulement 3 500 sont suivies et prises en charge officiellement. Face à cette situation, Red Somos, membre de Coalition PLUS et de la plateforme Amériques-Caraïbes (PFAC) a mis en place le projet Tu pana te cuida (Ton ami prend soin de toi). Le titre n’a pas été choisi au hasard, puisque « pana » signifie « ami », et renvoie ainsi à la volonté d’apporter une réponse communautaire et inclusive aux personnes qui en ont le plus besoin. Les raisons qui amènent les Vénézueliens-nes à migrer sont nombreuses, tout comme les barrières rencontrées une fois sur place. Les barrières légales sont présentes, le système de santé est différent, l’état de santé général est affaibli et les délais d’attente pour une prise en charge ou une dispensation d’ARV peuvent être longs. Sans oublier, bien sûr, les discriminations et la xénophobie en vigueur. Avec une stratégie d’aller-vers et un système d’aide entre pairs-es, spécifiquement déployé pour les personnes LGBTQI+, les PVVIH et les migrants-es vénézuéliens-nes, Red Somos a pu proposer 13 733 Trod entre 2018 et 2022, 1100 panier-repas durant la crise Covid, permettre à 635 PVVIH d’obtenir un traitement ARV, faire du counseling auprès de 2 246 personnes et offrir des services de protection et d’aide juridique à 160 migrants-es. Durant Aids 2022, l’atelier thématique proposé par la PFAC a montré comment ce projet communautaire s’est inscrit dans une logique déployée sur l’ensemble des pays membres : répondre aux urgences et pérenniser ce qui est fait. En particulier durant la période de Covid, les organisations ont dû innover, inventer et repenser ce qu’elles faisaient pour répondre aux besoins criants des populations clés. L’informel étant de rigueur en Amérique Latine, une majorité des publics reçus, souvent déjà précaires, se sont vus submergés par la difficulté. Cependant, les réponses communautaires mises en place ont trouvé écho auprès des bénéficiaires, et ont pu être maintenues par la suite. Les riches discussions entre les membres (Kimirina, Red Somos, COIN, Huesped, IDH…) ont montré que le communautaire, par sa force et son ancrage territorial pouvait être un réel palliatif aux systèmes en place, notamment en période de crise, mais qu’il avait aussi un intérêt profond à être maintenu et développé.

 

Décoloniser la santé globale
Dans cette session, les intervenantes sont revenues sur l’importance de décoloniser la santé publique dans la lutte contre le VIH. On commence la session par un exemple décrit par Carmen Del Pilar Montalvo, (IIHACommunity, Peru) qui explique qu’il y a de nombreuses infections au VIH parmi les Indigènes au Pérou, à cause des discriminations, des abus sexuels, de la prévention non adaptée à la population, et de la dévaluation des ressources et connaissances des Indigènes. « Le racisme, les stigmatisations et les violences sont aussi des pandémies », rappelle-t-elle.Morolake Odetoyinbo (Positive Action for Treatment Access, États-Unis) continue cette session en disant qu’il n’y a pas de solutions one fit all (taille unique), car toutes les cultures sont différentes. La santé publique actuelle est occidentale, et c’est du colonialisme. Concernant les femmes vivant avec le VIH, Morolake explique que nous sommes toutes différents, même si nous faisons, toutes, face au même défi, et qu’il est important que chaque communauté décide et définisse son propre programme. « Nous avons accès au traitement VIH, mais on a besoin de l’accès à l’éducation, au travail, aux droits, à la liberté sexuelle, à la dignité en tant que femmes ». Ndiilo Nthengwe, (Voices for Choices and Rights Coalition (VCRC), Namibie), raconte que sa mère a créé une association pour les mères vivant avec le VIH, pour qu’elles puissant accéder au lait infantile, en les incluant dans sa démarche. C’est comme ça que Ndiilo plaide désormais pour des démarches intersectionnelles, en incluant les communautés concernées. « Nous devons être prêts-es à être menés-es par des personnes qui ont moins de ressources que nous » déclare-t-elle. En conclusion, le panel se met d’accord sur le fait qu’il faut s’organiser ensemble (associations de femmes, de LGBT+, Indigènes, etc.) pour mettre fin au colonialisme en santé globale et trouver une démarche féministe et intersectionnelle.

 

Lutter contre les LGBTQIA+phobies grâce à la conscience critique
Peut-on faire évoluer les discours et les mentalités face aux stigmates et aux LGBTQIA+phobies ? Inspiré par la théorie de la conscience critique élaborée par Paulo Freire dans les années 1970, Rogerio M. Pinto a tenté de répondre à cette question. À travers une étude menée auprès d’un groupe de 26 hommes racisés, ayant été détenus par le passé et consommant des produits psychoactifs, il a réalisé treize sessions de « dialogue critique ». Cette étude et cette méthode sont directement issues de la pédagogie des opprimés proposée par Freire. Dans cette logique, les opprimés doivent prendre conscience de leur propre oppression, et comprendre comment les dominants-es les oppriment, pour ce sortir de ce cercle vicieux, mais surtout ne pas le reproduire. En présentant aux participants des images représentants différents type de relations, hétérosexuelles et homosexuelles, et également des images renvoyant aux normes de genre, il les a invités à se questionner sur la construction des oppressions. Ces ateliers ont pour objectif de mettre en place un système de réflexion critique chez les participants. Cette dernière est un mécanisme psychosocial qui se déroule en plusieurs étapes. Face aux images, les personnes vont dans un premier temps décrire et expliquer ce qu’elles voient. Durant cette phase, des propos homophobes et sexistes peuvent surgir. Ensuite, ils vont présenter leurs interprétations, c’est le moment durant lequel ils vont commencer à considérer qu’en plus des préjugés et propos discriminatoires émis, d’autres éléments sont à prendre en considération dans la compréhension et l’interprétation des images exposées. Enfin, arrive la phase d’implication. C’est à ce moment-là que les participants vont commencer à questionner les oppressions vécues par les personnes LGBTQIA+ à l’aune des oppressions qu’ils vivent eux-mêmes. Cette réflexion critique, additionnée à l’action, donc aux changements de pratiques, est ce que les chercheurs-ses dénomment la conscience critique. Ce mécanisme serait donc un moyen de faire prendre conscience aux personnes du caractère oppressif de leur propre comportement, bien qu’eux-mêmes soient aussi victimes d’oppressions. Cette méthode pourrait être appliquée à toutes formes de discriminations, et constituer une porte d’entrée vers la réduction des stigmates dont sont victimes les minorités.

 

Projet de loi anti-LGBTQI+ au Ghana
Le Parlement ghanéen étudie actuellement un projet de loi visant à interdire « les activités LGBTQ+ », ainsi que « la promotion, la propagation, le plaidoyer, le soutien ou le financement » de ces dernières. Paul Ayamah, chargé de projets à la commission sida du Ghana, a présenté les conclusions d’une enquête qualitative démontrant les conséquences néfastes de cette loi pour les droits humains et la lutte contre le VIH/sida. Les focus-groupes et entretiens menés auprès de pairs-es éducateurs-rices, d’experts-es et d’acteurs-rices de la lutte contre le VIH/sida ont mis en évidence un pic de violence et de stigmatisation à l’encontre des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) depuis l’introduction du projet de loi. Ce dernier — dont l’adoption est jugée très probable par les répondants-es de l’enquête — sapera le travail des structures engagées contre l’épidémie, supprimera leur financement et poussera les PVVIH à la clandestinité. D’après ses opposants-es, elle établira à l’encontre des minorités sexuelles un système de discriminations et de violences soutenues par l’État. Cette réalité représente un obstacle important à la lutte contre le VIH/sida. En effet, l'Onusida identifiait déjà les inégalités comme l'un des principaux freins à la possibilité de nombreux pays d’atteindre les objectifs 90-90-90, d'ici 2020. Or, les lois et politiques discriminatoires favorisent ces inégalités, ce qui entrave la réalisation des objectifs de santé, notamment en matière de VIH. En 2020, la prévalence du VIH au Ghana était de 1,68 % parmi la population générale, mais de 18 % parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, dont le nombre est estimé à 55 000. Cette même année, 63,20 % des PVVIH connaissaient leur statut, 95,46 % étaient sous traitement antirétroviral et 72,97 % avaient une charge virale indétectable. Pour empêcher cette loi d’entraver l’objectif 95-95-95, d’ici 2025 et la fin du sida, d’ici 2030, des amendements devraient être proposés pour atténuer son impact en cas d’adoption.