AME : Valérie Pécresse désavouée au tribunal

Publié par Mathieu Brancourt le 31.01.2018
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Droit et socialAMEaide médicale d'étatxénophobie

Ce 25 janvier, le tribunal administratif de Paris a invalidé la décision du Conseil régional Ile-de-France qui, en février 2016, avait décidé de supprimer la tarification spéciale [50 % de prise en charge] pour les personnes détentrices de l’Aide médicale d’Etat (AME), privant quelque 110 000 personnes d’une mobilité régionale. Un recours avait été porté par des associations de personnes migrantes et un conseiller régional d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), qui dénonçaient une déviation de la loi SRU (1). Le tribunal reconnait une erreur de droit et sa décision prend effet immédiatement. Retour sur ce feuilleton judiciaire.

Retour vers le futur. Deux ans après la fin de la tarification spéciale pour les personnes en situation irrégulière et détentrices de l’aide médicale d’Etat (AME), le Tribunal administratif de Paris vient de remettre en service cette réduction légale de 50 % du prix mensuel du titre de transport "Solidarité Transport", qui permet de se déplacer à moindre coût, partout en Ile-de-France, pour les personnes les plus précaires. Le tribunal a annulé une délibération du STIF (Syndicat des transports d’Ile-de-France, aujourd’hui Île-de-France Mobilités) du 17 février 2016 qui exclut du bénéfice de cette réduction les personnes étrangères en situation irrégulière bénéficiant de l’AME. C’est Pierre Serne, conseiller régional écologiste et représentant de la région au Stif, qui a relayé, parmi les premiers, cette décision. "C’est une véritable victoire et une preuve que le droit prime, qu’on ne peut pas lui faire dire n’importe quoi. Il n’y a pas d’application restrictive possible de la loi [SRU]", explique l’élu à Seronet. Dans sa décision, le tribunal administratif a, lui, estimé que "la délibération est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle méconnait les dispositions de l’article L. 1113-1 du code des transports. Ces dispositions ne subordonnent, en effet, le bénéfice de la réduction tarifaire qu’à une seule condition de ressources, et non à une condition de régularité du séjour en France", indique le tribunal administratif dans son communiqué du 25 janvier 2018. Pierre Serne est dépositaire d’un recours juridique contre le Stif retenu par le juge, ainsi que celui déposé par un collectif d’associations de défense des droits des personnes étrangères [seuls le Gisti et le Fasti ont été reconnu comme ayant intérêt à agir, nldr]. D’un point de vue juridique, du fait de leurs statuts, elles étaient légitimes à porter cette affaire en justice. La décision s’applique immédiatement pour près de 117 000 bénéficiaires en Ile-de-France. Selon Me Tewfik Bouzenoune, avocat de Pierre Serne, interrogé par l’AFP, "cette décision dépasse largement l’Ile-de-France, puisqu’elle vise toutes les autorités organisatrices des transports en France qui ont exclu les personnes étrangères en situation irrégulière du bénéfice de la tarification sociale".

Un combat de droites

Mal fondée juridiquement, la justice a logiquement invalidé la délibération du Stif, qui part d’une volonté politique de la nouvelle majorité de droite, arrivée en décembre 2015, de mettre fin à cette disposition légale datant de 2001. C’est d’ailleurs l’une des premières décisions prises par le nouvel exécitif à son arrivée à la tête de la région "La présidente de région Valérie Pécresse conteste la tarification sociale depuis 2014 au niveau du Stif", explique Pierre Serne. "Elle en a fait un argument politique pour sa campagne aux élections régionales avec l’idée d’une forme de "prime à la délinquance" [la mesure concerne des personnes en situation irrégulière]. Jusqu’ici cet argumentaire était celui de l’extrême droite, et le dispositif faisait plutôt consensus au sein du Conseil régional. Elue, Valérie Pécresse a fait supprimer dès son premier conseil les 25 % supplémentaires de réduction, décidés, en plus de la base légale, par la région Ile-de-France, il y a plusieurs années. Peu de temps après, elle a fait voter la fin de la tarification spéciale et a déclenché le vote au niveau du Stif", explique encore Pierre Serne. Moins de trois mois après son élection, Valérie Pécresse avait réussi à supprimer cette mesure sociale.

Estimant la disposition non conforme à la loi SRU, Pierre Serne contacte le préfet et le gouvernement (le deuxième gouvernement Valls), pour une action en illégalité dans les deux mois. Rien ne sera fait. D’où le recours fait d’une part par l’élu d’opposition et celui fait par les associations devant le tribunal en avril ; c’est ce dernier qui aboutit près de deux ans après. La réaction de Valérie Pécresse ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué (25 janvier), la présidente (LR) de la région demande à ce que la loi soit "clarifiée" et lance un appel au gouvernement LREM. "Je demande au gouvernement de mettre ses actes en conformité avec ses paroles en supprimant cette prime à l'illégalité !", reprenant son terme de campagne. Elle annonce qu’Ile-de-France Mobilités fera appel et demandera à ce que ce dernier soit suspensif [depuis 2014, dans le contentieux administratif en matière sociale, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort (art. R. 811-1 1° du code de justice administrative), il n'y a plus d'appel. Le seul recours possible est un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat], arguant d’un coût annuel de 43 millions d’euros. Un coût dont l’exécutif prétend qu’il serait en augmentation avec l’arrivée de personnes réfugiées issues des conflits géopolitiques au Moyen-Orient et en Afrique.

Application

A gauche, les réactions sont bien différentes et des formations politiques ont salué cette décision. Anne Souyris et Christophe Najdovski, adjoints à la Maire de Paris, "se réjouissent" de cette décision, face à une "mesure injuste, discriminante et [qui] réduisait, de fait, l’accès aux soins pour les bénéficiaires de l’AME [en restreignant leur capacité à se déplacer, notamment vers les hôpitaux]. Son annulation était une revendication forte des associations d’aide aux personnes en situation irrégulière et des associations de malades, en particulier de lutte contre le VIH. En effet, bénéficier de l’AME et se déplacer à moindre coût permet une meilleure prise en charge médicale, ainsi qu’un bon accès à la prévention, et favorise l’intégration", déclarent-il dans un communiqué officiel de la Ville de Paris.

Pour Céline Malaisé, présidente du groupe Front de gauche au Conseil Ile-de-France : "Il faut se féliciter de cette décision, qui met fin à une mesure très injuste et xénophobe de Valérie Pécresse. Cette dernière doit maintenant prendre toutes les dispositions pour rétablir cette aide tarifaire au plus vite". Pour cela, Pierre Serne compte bien interpeller le Stif pour communiquer rapidement sur ce droit de nouveau ouvert, et qui serait sous-utilisé selon ses dires. "Les élus de gauche et moi-même allons voir comment promouvoir ce retour à la normale, voire même étudier la demande d’un dédommagement pour les personnes au niveau du Conseil régional". "Les organisations requérantes sont désormais attentives aux nouvelles décisions qui devront être prises dans le respect de cette solution et permettront aux étrangers les plus précaires de la région de ne plus être discriminés dans leurs conditions de déplacement pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires. Plus généralement, elles invitent les autorités organisatrices de transports urbains de l’ensemble du pays à respecter ces obligations qui sont aussi les leurs", expliquent les signataires (2). Après la bataille du droit, la bataille de son application commence.

(1) : Loi du 13 septembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
(2) : CGT 75, CGT 78, Dom’Asile, Fasti, Gisti, La Cimade Ile-de-France, Union syndicale Solidaires, Coordination 93 de lutte pour les sans-papiers, Secours catholique Caritas, etc.