Arnaud Marty-Lavauzelle, « tenir, tenir, jusqu'à demain ! »

Publié par jfl-seronet le 12.02.2022
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InitiativeArnaud Marty-Lavauzelle

Le 12 février 2007, il y a 15 ans, disparaissait Arnaud Marty-Lavauzelle, militant historique de la lutte contre le sida, tout particulièrement à AIDES, qu’il présida entre 1991 et 1998. Il expliquait souvent qu'on ne pouvait « lutter efficacement contre le sida et la stigmatisation qui frappait et frappe toujours les séropositifs et les malades sans leur donner un visage, reconnaître leur existence et leur place dans la société ». Ce fut son combat qu’il incarna corps et âme. Retour sur un parcours majeur.

Le titre de l’article de Libération (1) ne mentionne pas son nom : « Le sida a vaincu son infatigable combattant ». Comme s’il ne pouvait s’agir que de lui ; comme une évidence qui se nomme Arnaud Marty-Lavauzelle. À la fin de l’article qui lui rend hommage, le journaliste Éric Favereau a indiqué que « vendredi 16 février à 10h30 une bénédiction aura lieu en l’église Notre Dame-des Blancs-Manteaux, à Paris ». Nous sommes en 2007. « Arnaud Marty-Lavauzelle est mort du sida dans la nuit du lundi 12 au mardi 13 février, chambre 9, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris ». Il a 61 ans. Cette information, le journaliste de Libé l’a placée en écho à une citation de l’ancien président de AIDES : « Même dans la pire des catastrophes, il y a toujours quelque chose à faire ». Cette fois, à la suite de cette disparition, une catastrophe pour beaucoup, il s’agira de se souvenir d’une des « personnalités les plus flamboyantes de l’histoire du sida en France. Mais aussi les plus efficaces, les plus combattantes », comme l’écrit alors celui qui, en octobre 1995, avait dressé le portrait du « président de la plus importante association de lutte contre le sida » : AIDES. Dans le contexte de l’époque, nous étions avant l’arrivée des trithérapies, Libé parlait d’Arnaud comme « l’homme qui tutoie la mort ».

Lorsqu’on regarde les nombreux articles biographiques qui lui sont consacrés, on découvre vite qu’Arnaud Marty-Lavauzelle n’a pas démarré son engagement dans la lutte contre le sida avec la présidence de AIDES. Il est né en 1946. Il suit des études de médecine. En 1969, jeune interne, il se rend au Biafra, un état sécessionniste au sud du Nigeria, en proie à une guerre civile qui dégénère en une crise humanitaire majeure. Ce dramatique épisode est connu pour avoir été un tournant majeur de l’évolution de la doctrine de l’aide humanitaire. Cet engagement, Arnaud le mène aux côtés de Bernard Kouchner, lui aussi médecin.

On trouvera dans cet engagement du début des réminiscences à une partie de son engagement dans la lutte contre le sida pour les pays du Sud, une vision globale et mondiale de la lutte contre le sida. Il soutient sa thèse de médecine en 1973. Dans les années 70 et 80, il est praticien hospitalier et thérapeute familial. Il s’intèresse plus spécifiquement aux liens entre la psychiatrie et les maladies somatiques. Il mène des recherches sur le suicide et sa place dans la dynamique familiale, notamment dans les familles de personnes consommatrices de drogues.

Comme nombre de militants-es, il vient à la lutte contre le sida en voyant l’épidémie toucher et emporter plusieurs de ses proches et en découvrant sa séropositivité. En 1987, il décide de devenir volontaire à AIDES, créée en 1984. Il y met en place, entre autres, un groupe de soutien pour les personnes en deuil. En 1991, Daniel Defert, président et fondateur de l'association, lui demande de prendre sa succession à la présidence. À la tête de AIDES, il affirme publiquement qu’il est le premier président de l’association, homosexuel et séropositif. Il assurera la présidence d’octobre 1991 à juillet 1998, menant une grande partie de son mandat durant les années les plus dures de l’épidémie avant l’arrivée salutaire et salvatrice des trithérapies. Parallèlement à cette fonction, assumée bénévolement, il poursuit sa carrière de médecin.

Celles et ceux qui ont eu la chance de le rencontrer évoquent souvent une personnalité chaleureuse, entière, créative, généreuse, d’une grande intelligence, avec un sens profond de l’engagement et une fidélité dans ses combats. Dans le message qu’écrit AIDES lors de sa disparition, l’association souligne qu’Arnaud « était un militant de la première heure. Il a débuté son long combat contre le sida en même temps que son combat contre son sida ». Façon d’expliquer que son combat était à la fois collectif et intime. Son parcours montre un engagement altruiste, fort, nourri par un combat personnel chevillé à l’âme. Durant sa présidence, l'association va se développer… ce qu’il ne considère pas comme une victoire. « Ce n’est pas une bonne nouvelle que AIDES ait grandi. Cela veut dire que l’épidémie, elle aussi, a grandi », explique-t-il en octobre 1995, dans un portrait que lui consacre Libération (2). À cette époque, l’association compte quelque 32 comités locaux, près de 3 500 volontaires et une présence dans une centaine de villes en France.

Arnaud Marty-Lavauzelle était un militant hors normes et aussi un stratége dans la lutte contre le sida. Il a eu un rôle crucial dans la promotion de la réduction des risques auprès des personnes usagères de drogues. L’association Asud rappelait lors de son décès : « Arnaud Marty-Lavauzelle nous a quittés. Cette phrase est lourde de sens quand on pense au lien qui unissait Asud et le président de AIDES de 1993. Il n’est pas exagéré de dire que sans l’engagement d’Arnaud en faveur d’Asud en particulier, et des usagers de drogues en général, la politique de réduction des risques n’aurait pas occupé cette place privilégiée qui est toujours la sienne au sein de AIDES ».

Il s’est beaucoup battu pour l’accès aux soins et aux traitements pour tous-tes en France, mais aussi dans les pays du Sud, en témoigne, entre autres, son intervention en 1998 à une assemblée de l’Organisation mondiale de la Santé sur le sida, pour convaincre les représentants-es de différents pays de rendre accessibles les traitements pour les pays du Sud. Son combat, il le mène aussi contre les discriminations, et pour de nouveaux droits, dont la reconnaissance sociale des homosexuels-les. On peut se faire une idée de sa combativité dans cette archive de l’Ina qui montre un échange vif entre un élu (RPR) Jérôme Chartier contre le contrat d’union sociale (l’ancêtre du mariage pour tous-tes) et le président de AIDES.

Arnaud Marty-Lavauzelle a œuvré sur tous les fronts, participant à la mise en place d’Ensemble contre le sida, qui deviendra Sidaction. Après la fin de sa présidence de AIDES, il poursuit son engagement, notamment au niveau international (Onusida, notamment) et participera à la création du Fonds mondial contre le sida. Il est nommé chevalier de la légion d’honneur en 1998, distinction qui lui est remise par le metteur en scène et réalisateur Patrice Chéreau. Il est, également nommé par Bertrand Delanoë, conseiller à la mairie de Paris pour les questions de coopération internationale.

En mai 1997, Arnaud accorde une interview au journal L’Humanité (3) deux jours avant la tenue de La Marche pour la vie, un événement de AIDES pour mobiliser contre le sida et interpeller la classe politique alors que des élections législatives se profilent ; elles ont été provoquées par la fameuse dissolution de l’Assemblée nationale, décidée par Jacques Chirac. Interrogé sur le sens de cette marche, le président de AIDES explique des choses qui, curieusement, résonnent aujourd’hui encore, 25 ans plus tard. « La marche n'est pas un défilé politique, mais ses effets seront politiques. Car ceux qui marchent croient à des choses importantes, comme un avenir républicain. Ils haïssent les intégrismes et les rejets. Ils sont opposés à toutes les formulations fascistes de M. Le Pen. Quelle que soit l'issue des élections, AIDES demande quelles responsabilités effectives prendront les élus dans la lutte contre le sida. Est-ce qu'ils ont compris que l'épidémie continue malheureusement à se développer avec perfidie ? »

Dans un magnifique texte d’hommage : « Se souvenir d'Arnaud Marty-Lavauzelle », Gwen Fauchois, ancienne vice-présidente d’Act Up Paris, rappelait sa singularité et sa force. « Penser à Arnaud et c'est aussitôt son sourire et sa chaleur qui me reviennent. C’est un souvenir charnel, une sensation physique. Arnaud rayonnait, dégageait par sa seule présence une solidité et une détermination rassurantes. Évidemment, sa stature n’y était pas pour rien. Ce côté grand ours bienveillant et serein avait un aspect enveloppant et celles et ceux qui ont cru qu’ils avaient trouvé un partenaire accommodant, se sont vite heurtés à son exigence tranquille. Trompés par l’aisance avec laquelle il portait les attributs d’une classe au pouvoir, ils sous-estimaient l’acuité de sa colère et la fermeté de ses engagements. Arnaud avait compris très vite l’intérêt stratégique pour nos luttes qu’il y avait à jouer avec les codes, les présupposés, les interprétations trop rapides et faciles de nos interlocuteurs (…) Il savait, quand il le jugeait nécessaire, laisser Act Up monter en première ligne, placer la barre le plus haut possible et faire passer ensuite la demande formulée par AIDES comme raisonnable et fruit de compromis, pour arracher bien plus que ce que le gouvernement avait initialement compté accorder ». Et Gwen de conclure au terme d’un texte puissant et beau : « C’est tout le paradoxe de la généalogie de nos luttes. Il ne doit pas y avoir d’ombre du commandeur sur nos mouvements. Dont la dimension collective est l’une de nos principales directions. Elle a pourtant des figures. Arnaud Marty-Lavauzelle était l’une d’entre elles ».

(1) : « Le sida a vaincu son infatigable combattant », par Éric Favereau, Libération, 14 février 2007.
(2) : Arnaud Marty-Lavauzelle, portrait, par Éric Favereau, Libération, 13 octobre 1995.
(3) : « Arnaud Marty-Lavauzelle : nous sommes à la moitié du chemin du combat contre le sida », L’Humanité, jeudi 22 mai  1997.