ARV en préventif : une idée qui avance à des rythmes différents des 2 côtés de l’Atlantique

Publié par Franck-seronet le 15.05.2012
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SexualitéTruvadaPrEP

Un comité d'experts américain a recommandé à l'Agence américaine des médicaments (FDA) la mise sur le marché de Truvada comme traitement préventif contre l’infection par le VIH. Cette nouvelle, importante, a suscité de nombreuses réactions. Deux rapports français, l’un du Conseil national du sida (CNS), l’autre du groupe d’experts chargé des recommandations sur le VIH (rapport Yeni), se sont penché sur la question et ont été rendus publics. Seronet fait le point.

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C’est un comité consultatif de vingt-deux experts qui a recommandé, jeudi 10 mai, à l'Agence américaine des médicaments (FDA) la mise sur le marché de Truvada (association du ténofovir et de l'emtricitabine du laboratoire Gilead) comme traitement préventif contre l’infection par le VIH avec une prise continue (chaque jour) pour des séronégatifs. Si cette proposition était retenue par les autorités américaines de santé (la décision serait prise avant le 15 juin), il s’agirait du premier traitement préventif anti-VIH sur le marché. Le comité a travaillé sur plusieurs questions : Faut-il autoriser le traitement préventif pour les gays séronégatifs ? Faut-il autoriser la vente de Truvada aux couples hétérosexuels dont l'un des partenaires est séropositif ? Faut-il autoriser la commercialisation aux "autres individus risquant d'être infectés en raison de leur activités sexuelles" ? C’est donc une extension de son usage qui est préconisée puisque Truvada est déjà largement prescrit pour les personnes vivant avec le VIH.

Cette recommandation d'autorisation reconnaît le rôle préventif de Truvada et son efficacité, mise en évidence dans des groupes différents (homosexuels, couples hétéros, couples séro-différents) avec des résultats différents. Cette annonce américaine soulève plusieurs questions et fait débat aux Etats-Unis comme en France. Le principal point de débat porte sur une possible déshinibition dans les comportements sexuels avec d’éventuelles prises de risque… surtout chez les gays. Cet argument a beaucoup été avancé par les associations américaines de lutte contre le sida dont beaucoup sont hostiles à cette mise sur le marché. Une déshinibition que n’indiquent pas les essais. Au contraire, ils montrent plutôt un bon maintien de l'utilisation du préservatif. Par ailleurs, d’autres avancent les chiffres des contaminations aux Etats-Unis pour expliquer ce choix de mettre à disposition ce traitement comme moyen de protection. "Nous avons besoin d'un tel traitement car aux Etats-Unis nous avons encore 50 000 nouveaux cas d'infection chaque année, surtout parmi les hommes homosexuels et nous n'avons pas eu beaucoup de succès ces dernières années pour réduire ce nombre", souligne ainsi le docteur Anthony Fauci, directeur de l'Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID), cité par l’AFP. Il estime que "tout médicament préventif est important", dès lors qu’il ne se substitue pas aux autres méthodes de prévention existantes.

Les questions, elles, ne manquent pas. La première porte sur le fait de savoir si cette annonce va trop vite. Oui pense le professeur Gilles Pialoux (Hôpital Tenon, Paris) interrogé par YAGG (11 mai) : "Les choses avancent un peu trop vite". Interrogé par "Libération" (11 mai), le directeur de l’Agence de recherche sur le sida et les hépatites, le professeur Jean-François Delfraissy ne se dit pas surpris par l’annonce. Elle était attendue. Il n’y voit pas d’accélération, mais note toutefois qu’il y a "un mois une autre réunion des experts britanniques sur cette question s’est achevée avec une position beaucoup plus mitigée sur le Truvada".

Ces décisions d'extension d'indication aux différentes populations sont liées aux populations étudiées dans les essais. C'est le cas notamment de l'autorisation concernant les partenaires séronégatifs au sein des couples hétérosexuels sérodifférents, population dans laquelle les résultats d'observance (et donc d'efficacité) étaient les meilleures (ce qui explique que le consensus d'accord entre les experts étaient maximal).

Cela dit, la prophylaxie préexposition (Prep) dans le cadre d’un couple stable est moins intéressante que le traitement efficace de la personne séropositive de ce couple. Autrement dit dans ce cas-là, le TasP est bien plus performant que la Prep, et le traitement de la personne séropositive est recommandé aujourd’hui aux Etats-Unis quel que soit le niveau de CD4. Pourquoi recommander de traiter la personne séronégative dans ce cas ? Des situations particulières probablement, mais ne nous trompons pas d’objectif, il ne s’agit pas de vendre des médicaments à tout le monde. Mieux vaudrait donner les moyens à tous ceux qui auraient besoin de médicament, avec prise en charge financière et accompagnement à la bonne utilisation (le médicament n’est efficace en prévention qu’avec une très bonne observance) que de penser à satisfaire quelques "millionnaires paranoïaques".

Une autre interrogation porte sur les résultats et leur extrapolation. Truvada a montré son efficacité dans un essai clinique (2007-2009) mené dans six pays, dont le Brésil, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis. Il avait alors réduit, en schéma de prise continue et quotidienne, de 44 % le risque d’infection chez les homos qui utilisaient également des préservatifs. Une seconde étude clinique avait montré que Truvada diminuait le risque d’infection jusqu’à 75 % chez les couples hétérosexuels sérodifférents. Quand l’observance était très bonne, les chiffres montent beaucoup plus haut. Quand les médicaments étaient mal ou pas pris, certains essais ont même totalement échoué. Des chiffres qui ne sont pas extrapolables à d’autres groupes et d’autres conditions. C’est pour cela qu’a été lancé en France l’essai IPERGAY qui recrute actuellement. En France, nous sommes toujours dans une phase de recherches : il s’agit d’essayer d’avoir de meilleures réponses aux questions qu’on se pose encore. Enfin, sans être exhaustif, une autre question porte sur la nature économique de cette recommandation. Quelle prise en charge (coût du médicament, accompagnement à l’observance, counseling) d’un traitement avec Truvada qui, au prix du médicament seul pour une prise quotidienne varie actuellement de 12 000 à 14 000 dollars par an, soit entre 9300 et 11 000 euros ? D’ailleurs, Jean-François Delfraissy reconnaît dans "Libération" : "Si la prévention par médicament confirme son efficacité, c’est un énorme marché qui s’ouvre… Il y a des enjeux commerciaux importants". On peut aussi considérer, thèse validée par des économistes de la santé, que la prescription de médicaments antirétroviraux à titre préventif à des homos risquant fortement de contracter le virus du sida (ceux qui ont plus de cinq partenaires par an) serait économiquement rentable en réduisant la propagation de l'infection. Et donc son coût sur le long terme.

Cette réflexion ne concerne pas uniquement les Etats-Unis. Si l’essai IPERGAY est, au final, concluant, les autorités de santé françaises devront se poser la question du remboursement de Truvada… prescrit à titre préventif et définir ses conditions d’utilisation : pour qui et comment. Les experts du rapport Yeni ont remis au ministre de la santé leur avis le 22 février dernier. Il est visible à cette adresse. Si le rapport propose que la Prep puisse être prescrite aux gays qui le souhaitent en cas de "conduites présentant un risque élevé" ou aux hétérosexuels très exposés au risque, contrairement aux experts américains, il ne recommande pas l’utilisation de la Prep dans les couples séro-différents où le TasP reste préférable.


Une autre instance, le Conseil national du sida (CNS), saisi par le ministère de la Santé pour rendre également un avis, l’a rendu public suite aux décisions américaines. Pour freiner l’épidémie, le CNS compte "qu’aucune piste nouvelle ne soit négligée. Pour autant, le Conseil national du sida compte que des recherches soient menées (cf. l’essai Ipergay qui, démarrant à peine, ne livrera ses résultats que dans quelques années) avant qu’un encadrement de la Prep intervienne. L’essentiel est d’inclure la Prep en complément des autres outils de prévention (prévention combinée), et d’adapter le médicament (nom, packaging, offre de préservatifs adjointe, cadre de prescription et de suivi, etc.) pour en faire un véritable outil qui va bien au-delà d’une seule molécule chimique prescrite. C’est probablement tout l’enjeu : passer d’une molécule à un véritable outil, un kit adapté venant compléter, tel un puzzle, les besoins non couverts en prévention.

Commentaires

Portrait de bernardescudier

Bravo de poser les conditions d'un débat contradictoire.