Mobilisation pour ne pas mourir au soleil

Publié par Mathieu Brancourt le 17.04.2018
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Initiativeasile et immigration

Mardi 17 avril, une cinquantaine de militants et militantes de la lutte contre le sida et pour les droits LGBTI se sont rassemblés à l’est de Paris, devant le Musée de l’histoire de l’immigration afin de dénoncer la loi "Asile Immigration" du gouvernement macroniste. Dans le viseur, des mesures particulièrement dangereuses pour la santé des personnes étrangères malades et la remise en cause de principes fondamentaux d’accueil et de soin des personnes en danger.

Des militants-es de AIDES rassemblés à l’angle du Musée de l’histoire de l’immigration, porte dorée à Paris, essayent de positionner leurs banderoles pour qu’elles soient prises en photo sans problème. Mais sous les rayons du printemps finalement arrivé, difficile de trouver l’ombre. La douceur idyllique ne doit pas faire oublier la raison du rassemblement de ce mardi 17 avril. Car ce que viennent dénoncer les activistes n’est pas moins pénible au soleil : "Alors que cette année marque les vingt ans de la loi de protection des personnes malades face à l’expulsion et que le monde compte, chaque année, un million de morts du sida, le projet de loi Asile et immigration va considérablement remettre en cause ce droit acquis par les associations au plus fort de l’hécatombe". Morne anniversaire, dénoncé dans un communiqué commun par un collectif d’associations de lutte contre le sida et de défense des personnes LGBTI. Acceptess-T, AIDES, Sidaction, l’Ardhis ont donc voulu se saisir du symbole qu’est le musée parisien et de sa statue du nageur qui orne un de ses parterres, tristement d’actualité dans le contexte migratoire actuel, mais aussi dans celui que crée le projet législatif du gouvernement Philippe et du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb.

France, terre d’exil ?

L’allongement de la durée de rétention légale (la loi porterait la possibilité de rétention administrative de 45 à 90 jours avec la possibilité de la prolonger par période de quinze jours, jusqu’à trois fois, donc 135 jours au maximum), des délais de recours de demande d’asile raccourcis qui vont restreindre les possibilités pour les personnes de faire valoir leur état de santé, leur orientation sexuelle ou identité de genre comme motifs de séjour, avec des moyens constants ; ces dispositions inquiètent gravement les militants-es associatifs. Derrière les banderoles, ces derniers ne manquent pas de griefs. "L’accueil des étrangers en France, sans papiers ou non, LGBT ou non, est indigne et cette loi va rendre les choses encore pire. L’Etat français organise la précarité des personnes étrangères", déclare sans ambages Sandrine Fournier, directrice des programmes France à Sidaction. Elle cite les données de l’enquête ANRS-Parcours, qui mettent en exergue les violences, l’isolement et la précarité vécus et subis en France par des femmes qui fuyaient déjà des violences. "Ces terrains de vulnérabilité sont un terreau pour le VIH", assène-t-elle. Pour les réfugiés-es, la prétendue amélioration des procédures va fragiliser, de fait, leur capacité à faire valoir leur demande et accentuer les risques d’échec. Et là-dessus, Sandrine Fournier balaye d’un revers de main la communication de certains politiques : "Il n’y a pas d’ambivalences qui tiennent, les faits sont têtus : les mesures de cette future loi vont fragiliser les plus faibles, peu importe les discours tenus".

"Je suis là. Je me bats !"

Face à cela, la parole des personnes concernées et leur expériences directes de l’impact des politiques migratoires répressives à l’œuvre en France. Devant le parterre de militants-es, plusieurs personnes exilées prennent le mégaphone, devant les passants-es surpris. Patrice est réfugié ivoirien gay. Il a pu obtenir son asile en France après plusieurs années d’attente. Il raconte comment le fait d’être gay dans son pays était un risque pour sa vie et affirme : "Renvoyer des demandeurs d’asile LGBTI dans leur pays, c’est les renvoyer vers la mort. Cette loi est homophobe tout comme elle condamne les personnes vivant avec le VIH à la misère et la mort".

Vient le tour de Mimi, une femme trans migrante, qui explique également que le contexte répressif ne concerne pas seulement la migration, mais aussi le travail du sexe. La pénalisation du client, en vigueur depuis deux ans et fortement critiquée par les associations de santé pour ses impacts délétères sur la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe. "Cette mobilisation est importante pour les personnes concernées, et notamment les femmes trans qui ont recours au travail du sexe. La précarité qui les touche oblige à se déplacer dans des pays moins répressifs, mais qui éloigne du soin et peut créer des ruptures de traitements pour les personnes séropositives". Sans parler des menaces d’expulsions ou l’impact de la pénalisation sur le rapport de force entre les clients et les travailleuses du sexe, qui devant le moindre nombre, doivent travailler plus et accepter des prestations sans préservatif pour survivre. "La réforme fera de la France un pays assassin, les personnes renvoyées assassinées par la suite par le sida ou la précarité. Les personnes trans sont confrontées à la transphobie, le racisme, la xénophobie et la sérophobie. Alors nous sommes ici, nous restons, nous combattrons, et nous ne partirons jamais !", conclut Mimi sous les applaudissements, et les remarques désobligeantes de certains badauds. Au carrefour des discriminations, les personnes étrangères malades ou les minorités de genre et d’orientation sexuelles seraient donc les premières victimes du projet de loi. Alors, pour incarner ce funeste destin, les militants-es se lancent dans un die-in, sous la sirène du mégaphone. Recouverts d’un drap ensanglanté, elles et ils symbolisent sur les trottoirs parisiens ensoleillés les victimes potentielles que la loi fera si elle n’est pas modifiée durant les débats parlementaires. Cette fois, ce n’est pas la balle, mais l’arme qui est dans le camp du gouvernement.

Nouvelle manifestation à Paris près de l'Assemblée nationale le 16 avril
Plusieurs centaines de manifestants-es se sont rassemblés lundi 16 avril aux abords de l'Assemblée nationale pour dénoncer le controversé projet de loi sur l'immigration et l'asile, dont l'examen par les députés-es a débuté hier, a constaté l'AFP. Cette nouvelle manifestation suite à celle du dimanche 15 avril organisée à l’initiative du Baam. Rassemblés à proximité du Palais-Bourbon, les manifestants-es emmenés notamment par la Cimade ou la Ligue des droits de l'Homme (LDH) ont dénoncé une "loi liberticide". "Le tri entre les bons et les mauvais migrants est inadmissible. Plus vous donnez de droits aux migrants, plus vous leur rendez leur dignité", a déclaré à l'AFP Dominique Noguères, vice-présidente de la LDH. "Toutes les associations demandent le retrait du projet de loi", explique Léo Berthe, rapporteur à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), instance qui examine les recours formés par les demandeurs d'asile déboutés à l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Léo Berthe reconnaît que les "manifestations n'empêcheront pas l'adoption du texte à l'Assemblée, mais permettent d'envoyer un message de grande défiance contre la vision pernicieuse de ce projet de loi". "On voit mal comment le projet pourrait ne pas être voté", confirme Laurent Giovannoni, du Secours catholique. Déplorant l'absence de prise en compte des "dizaines de milliers de sans-papiers" dans le projet de loi, il réclame au contraire "la régularisation de milliers de familles déboutées, aujourd'hui sans droits, vivant dans une très grande précarité administrative et sociale".