Asile-Immigration : l’opposition attaque l’AME... sans succès

Publié par jfl-seronet le 03.08.2018
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Politiqueasile et immigration

Les débats sur le projet de loi "Asile-Immigration" ont repris le 26 juillet à l’Assemblée nationale entre des sessions de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Benalla. Le gouvernement prévoyait que le texte soit adopté en seconde lecture à l’Assemblée nationale avant la pause estivale des travaux parlementaires, fin juillet. Lors de la deuxième séance de discussion sur le texte, les débats ont porté sur l’AME et sur les tarifications spécifiques en matière de transports concernant les personnes bénéficiaires de l’AME. Seronet fait le point… en attendant un nouveau passage du texte au Sénat.

La nouvelle lecture du projet de loi "Asile-Immigration", porté par Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, a donc débuté très tardivement le 25 juillet. L’avancée des travaux a été très tributaire des auditions de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla. Les présidents de groupes à l’Assemblée nationale avaient convenu que la priorité était donnée à ces travaux de la commission d’enquête et qu’on discuterait des lois quand on aurait le temps. Les discussions ont avancé le 26 juillet sur le projet de loi "Asile-Immigration". Jeudi 26 juillet, lors de la deuxième séance de la journée, deux articles ont été plus particulièrement traités.

AME : la proposition de suppression du Sénat retoquée

Au Sénat, la majorité (qui n’est pas gouvernementale) avait adopté un article (10 AA) qui instaurait la suppression de l’AME au profit d’une aide médicale d’urgence. Cet article 10 AA a été supprimé en commission des lois de l’Assemblée nationale puisque la majorité LREM ne veut pas supprimer l’AME et est en désaccord complet avec le Sénat sur ce point. Du coup, en séance, le 26 juillet, cinq amendements avaient été déposés pour remettre en cause cette décision et donc attaquer l’AME en rétablissant l’article du Sénat. Sans surprise, un des amendements avait été déposé par la députée d’extrême droite Marine le Pen (Rassemblement national, ex FN). En séance, la députée a rappelé que l’aide médicale d’État "représente [pour 2017, ndlr] un coût de un milliard d’euros. Cette somme est considérable au moment où le Gouvernement ne cesse de parler d’économies et d’envisager la diminution des aides sociales". "Nous proposons de supprimer l’aide médicale d’État, comme nous le réclamons depuis de nombreuses années. L’AME constitue indiscutablement un appel d’air pour les clandestins", a-t-elle développé comme d’habitude. L’idée de l’extrême-droite est donc de supprimer l’AME est de la remplacer par un "fonds "urgence vitale" afin de prendre en charge les soins nécessités par une urgence vitale". Du côté des Républicains, le député Alain Ramadier a défendu un amendement, dans la stricte lignée du Sénat, qui visait "à remplacer l’aide médicale d’État par un dispositif axé sur les urgences médicales et la lutte contre les épidémies. Il s’agit en effet de faire preuve d’humanité et de fraternité, mais aussi de fermeté et crédibilité". Même proposition dans un autre amendement défendu par le député (LR) Fabien Di Filippo qui a défendu sur un ton particulièrement virulent sa proposition. "Comment comprendre aujourd’hui que l’aide médicale d’État rembourse sans conditions à peu près tous les soins assurés aux individus en situation irrégulière, qui sont entrés illégalement sur le territoire ? Dans la liste des soins pris en charge figurent notamment les frais d’examens prénuptiaux. Nous sommes bien loin du principe de départ ! Ce dispositif, qui coûtait 75 millions d’euros la première année, représente aujourd’hui une dépense de 913 millions d’euros. Quand on demande des efforts aussi importants à nos concitoyens, notamment aux plus modestes, il faut être équitable et remettre de l’ordre. Aujourd’hui, l’AME n’est plus une aide médicale d’urgence ; il faudrait pourtant y revenir".

Ton plus feutré, mais même attaque avec la députée Emmanuelle Ménard (Non inscrit, mais proche de l’extrême-droite) qui défendait son propre amendement. Elle ne demandait pas la suppression mais le rétablissement du droit de timbre déjà mis en place sous Nicolas Sarkozy et supprimé sous François Hollande. L’idée est simple : le recours à l’AME doit être associé à l’acquittement d’un droit annuel, dont le montant est fixé par décret. De son côté, la députée (LR) Valérie Beauvais a proposé, elle aussi, via son amendement, qu’un "décret fixe le montant d’un droit dont devront s’acquitter les bénéficiaires de l’AME". "Dans un contexte de contraintes budgétaires importantes et d’efforts qui, selon votre majorité, doivent être partagés par toutes et tous, il est difficilement acceptable que certains médicaments ou actes médicaux soient bien moins remboursés quand, dans le même temps, d’autres personnes ont un accès illimité et sans frais aux soins. Vous admettrez que cette situation ne peut plus durer alors que les assurés sociaux s’acquittent d’une participation forfaitaire d’un euro pour les consultations ou les actes réalisés par un médecin", a-t-elle défendu.

Rapporteure pour le projet de loi "Asile-Immigration", la députée (LREM) Elise Falgeles a expliqué : "Nous ne supprimerons pas l’aide médicale d’État (…) Nous ne la transformerons pas non plus en aide médicale d’urgence, pour trois raisons. Une raison d’humanité, tout d’abord : toute personne présente sur le territoire français a le droit de se faire soigner. Ce sont les valeurs de la France. Une raison de santé publique, ensuite : si elles ne sont pas prises en charge, si elles ne sont pas soignées correctement, certaines personnes peuvent développer des maladies et propager des épidémies. À ce moment-là, tout le monde devra être soigné. Pour une raison de santé publique, donc, nous n’avons aucun intérêt à laisser se propager ces maladies et ces épidémies. Une raison financière, enfin. [S’adressant aux député-e-s de la droite et de l’extrême-droite, ndlr] Vous ne cessez de dire que ces étrangers coûteraient énormément d’argent à l’État parce qu’ils abuseraient de notre système de santé. Cependant, les personnes qui se présentent aux urgences se font soigner – les médecins ne demandent pas à l’État l’autorisation de les soigner, et c’est bien normal. Nous risquerions donc un engorgement des services d’urgence, une désorganisation absolue de ces services, ce qui coûterait encore plus cher que ce que vous dénoncez. Finalement, l’aide médicale d’État est le dispositif le plus humain et le plus juste, tant pour la santé publique que pour les finances publiques. Avis défavorable" à tous les amendements défendus. Pour le gouvernement, le ministre de l’Intérieur a indiqué qu’il était du "même avis" que la rapporteure. Après vote, les différents amendements de rétablissement ne sont pas adoptés, pas plus que ceux qui voulaient la mise en place du paiement d’une taxe pour bénéficier de l’AME.

AME et tarification spéciale pour les transports en IDF : un avenir incertain

Au Sénat, la majorité (qui n’est pas présidentielle) a fait adopter un article (10 AB). Cet article visait à mettre en place une nouvelle rédaction de l’article L. 1113-1 du code des transports. Était ajoutée cette phrase : "Le bénéfice de cette réduction tarifaire est subordonné à la régularité du séjour en France". Cet article était la réponse à la demande pressante de la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse qui veut supprimer la tarification sociale pour les personnes bénéficiaires de l’AME. En commission des lois à l’Assemblée nationale, ledit article a été supprimé car la majorité présidentielle considère qu’il s’agit d’un cavalier législatif : une mesure hors sujet par rapport à l’objet du texte et que si on peut discuter de cette éventualité il faudrait le faire dans un autre texte. Il n’en demeure pas moins que les députés-es de la droite et de l’extrême –droite ont déposé plusieurs amendements visant au rétablissement de l’article adopté au Sénat.

Le premier a dégainé est le député d’extrême-droite Ludovic Pajot (Non inscrit). Critiquant les décisions de justice défavorables à la présidente de la région Île-de-France sur le mode : "Puisque la justice semble avoir pour premier objectif non pas la défense de la France et des Français, mais celle des étrangers". Et Ludovic Pajot de développer : "Il est (…) scandaleux de valider le fait que les Français doivent payer intégralement leur carte dans les transports parisiens, tandis que les clandestins, ces gens qui ne respectent pas la plus élémentaire de nos lois, bénéficient d’une réduction –, nous proposons, à travers cet amendement, que la loi interdise littéralement une telle pratique et que la justice ne puisse plus s’opposer aux décisions de bon sens et, surtout, de justice sociale prises par les collectivités territoriales. Les clandestins entrés illégalement sur notre sol n’ont aucune raison de bénéficier de la solidarité nationale". Même demande, venant, cette fois, de la députée (Modem, donc majorité présidentielle) Nathalie Elimas. La députée a expliqué que son "amendement vise donc à subordonner la tarification sociale pour les transports à la régularité du séjour en France. Il est ainsi proposé d’exclure les personnes séjournant irrégulièrement en France de cette tarification sociale". Du côté des Républicains, le député Alain Ramadier a fait la même demande, suivi par son collègue Jean-Louis Thiériot. "Permettez à l’ancien vice-président d’Île-de-France Mobilités, qui a quitté ses fonctions voilà quelques jours pour rejoindre cet hémicycle, de vous dire, avec la plus grande mesure, à quel point cet amendement est essentiel. Il répond en effet à des considérations d’équité, de sagesse budgétaire et d’ordre public économique", a-t-il expliqué. Evidemment, la considération "d’ordre public économique" n’a pas semblé d’emblée claire. On a eu le fin mot de l’histoire en séance. Le député faisait allusion au fait que "des personnes en situation irrégulière qui utilisent les transports financés par cette réduction tarifaire s’en servent, pour une bonne part, pour aller travailler et accomplir un travail clandestin". Imparable.

La députée Emmanuelle Ménard (Non inscrit) avait aussi un amendement. Elle a cherché à coincer le gouvernement en avançant l’argument suivant : "L’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile punit de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende toute personne "qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France". Or, prétend la députée, "dans sa forme actuelle (…) l’article L. 1113-1 du code de transports permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier de la même réduction des tarifs de transport que les Français ou les étrangers en situation régulière (…) La rédaction actuelle de l’article place donc l’État français dans une situation délictuelle d’aide à la circulation d’étrangers en situation irrégulière. Cette exonération constitue en outre une forme de prime à la clandestinité, financée par l’argent des Français". Voilà, voilà.

Interrogée sur ces amendements, la rapporteure Elise Fajgeles a estimé que ses collègues mettaient "beaucoup de choses dans [leurs] amendements – ici, la lutte contre l’immigration illégale". "En réalité, il s’agit d’une stricte question de mobilité : la tarification des transports a sa place dans le code des transports et je vous propose donc d’avoir ce débat, qui mérite certes que nous le tenions, lors de l’examen de la loi sur la mobilité, qui aura lieu à la rentrée", a indiqué la députée LREM. Côté gouvernement, on est du même avis. "Il ne faut pas confondre l’ensemble des codes car on finit par ne plus s’y retrouver. Il est ici question du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – Ceseda –, tandis que l’amendement que proposez porte sur le code des transports. Nous verrons ce problème – qui existe – lorsque nous débattrons de la loi sur les mobilités", a ainsi expliqué Gérard Collomb. Du point de vue du gouvernement, il y a donc un "problème" avec cette tarification sociale. Et il semble tout à fait possible que la système actuel puisse être changé… dans le sens que souhaite Valérie Pécresse.

En attendant, les amendements de l’opposition ont tous été retoqués. Nombre de votants : 79. Nombre de suffrages exprimés : 79. Majorité absolue : 40. Pour l’adoption : 11. Contre : 68.

Les députés ont adopté définitivement le projet de loi asile et immigration, mercredi 1er août, par 100 voix pour et 25 contre. Ce vote clôture l’épopée d’un texte fortement contesté au sein de la majorité, sur lequel de nombreux députés La République en marche (LRM) avaient exprimé leurs réserves. Mercredi, alors que de nombreux élus étaient déjà partis en vacances, ils ont finalement été huit élus LRM à s’abstenir sur ce projet de loi, contre quatorze lors du vote en première lecture à l’Assemblée.