Asile : la majorité fait le choix de la rétention

Publié par jfl-seronet le 24.02.2018
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Droit et socialmigrantdroit d'asile

Une proposition de loi adoptée le 15 février facilite le placement en rétention des personnes demandeuses d'asile dites "dublinées", afin de permettre à l'exécutif d'appliquer sa "politique d'éloignement". Ce texte a un peu fait débat dans la majorité présidentielle et fait l’objet de vives critiques dans la société civile. Les critiques se manifestent aussi concernant la Cour nationale du droit d’asile qui a connu récemment un mouvement de grève de ses agents et des avocat-e-s. Les critiques devraient être plus fortes encore lorsque sera présenté le projet de loi asile et immigration, un texte qui durcit les conditions pour les personnes étrangères. Le futur texte a été présenté en conseil des ministres le 21 février.

Une proposition de loi très opportune

Le Parlement a adopté définitivement jeudi 15 février dans la soirée, par un vote "conforme" de l'Assemblée nationale, une proposition de loi, souhaitée par le gouvernement et durcie au Sénat, pour faciliter le placement en rétention des personnes demandeuses d'asile dites "dublinées", indique l’AFP. Le texte a fait l’objet de critiques y compris au sein de la majorité LREM-Modem, qui a pourtant voté ce texte. Cette proposition vient de la droite (UDI-Agir-Indépendants). Elle vise à "sécuriser le placement en rétention" des personnes étrangères "Dublin", du nom du règlement européen qui confie le traitement d'une demande d'asile au premier pays où la personne a été enregistrée. Pour ses auteur-e-s, elle se justifierait comme une mesure d’"efficacité de la politique d'éloignement". Cette proposition a surtout pour ambition de contrecarrer une jurisprudence jugée comme trop favorable aux personnes étrangères.

En septembre 2017, la Cour de cassation considère que le placement de personnes "dublinées" en centres de rétention est illégal, du fait de l'absence, dans la loi, de critères établissant "le risque non négligeable" de fuite de la personne demandeuse d’asile pour justifier une rétention plutôt qu'une assignation à résidence. C’est un gros problème pour le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, qui a fait du transfert de ces personnes "dublinées" l'une des priorités de sa politique migratoire. Cela contrecarre ses plans. En effet, "sans placement en rétention, il ne peut y avoir d'efficacité de notre politique d’éloignement", expliquait-il alors. Le gouvernement estimait alors qu’il ne pouvait pas attendre de résoudre le problème avec son projet de loi asile et immigration (celui qui sera présenté en conseil des ministres le 21 février prochain). Du coup, petit miracle, une formation de l’opposition UDI-Agir-Indépendants décide de faire une proposition de loi… qui va résoudre le problème du ministère de l’Intérieur. C’est le fameux texte qui a été voté le 15 février.

Atermoiements, puis tout le monde rentre dans le rang

On ne peut pas parler de frondeurs et frondeuses… du moins, ce sont les premiers concernés qui le disent… mais le moins que l’on puisse dire c’est que la proposition de loin votée le 15 février n’avait pas que des ami-e-s. Ainsi, une trentaine de député-e-s de la majorité présidentielle (LREM), ont exprimé avant et pendant les débats des critiques vis-à-vis du texte sur le placement en rétention des personnes demandeuses d'asile "dublinées". Ces député-e-s, emmenés par Martine Wonner (LREM, Bas-Rhin) avaient d’ailleurs déposé trois amendements pour revenir en seconde lecture à la position initiale de l'Assemblée sur ce texte du groupe UDI-Agir-Indépendants. Comme ils l'avaient déjà fait en commission, ces député-e-s contestaient le durcissement opéré par le Sénat avec l'ajout de nouveaux critères à la longue liste définissant le risque de fuite, et la réduction de quinze à sept jours du délai de recours contre les transferts. Les velléités des député-e-s n’ont pas fait long feu. "Le débat, autant qu'on veut ; interpeller le gouvernement, oui, mais au final il faut une unité de vote", avait rappelé le président du groupe majoritaire, Richard Ferrand, selon des propos rapportés par l’AFP. A l’Assemblée nationale, lors des débats, le gouvernement a fait le forcing pour faire passer ce texte. "Dans le contexte de forte pression migratoire actuel, nous ne pouvons nous permettre de tels délais [attendre la nouvelle loi asile immigration dans quelques mois, nldr]", a plaidé, en séance, Jacqueline Gourault, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur,  soulignant que la France est devenue un "pays de rebond" pour les personnes déboutées du droit d’asile. Ce serait notamment le cas avec les personnes déboutées en Allemagne, avec "36 % des demandes d'asile émanant de personnes relevant du règlement Dublin en 2017 contre 11 % en 2016".

Une proposition de loi très critiquée

Dans un blog sur Mediapart, le 15 février, la Cimade a sonné la charge contre la proposition de loi. "La proposition de loi va permettre aux préfectures de multiplier l’enfermement en rétention des personnes qui déposent une demande d’asile en France avant même de déterminer si elles doivent aller dans un autre pays européen pour la faire examiner. Il s’agit du pays par lequel elles sont entrées dans l’Union européenne et où leurs empreintes ont été enregistrées ou celui dans lequel elles ont déposé une demande d’asile", dénonce la Cimade. Pour l’association, cette proposition de loi franchit "la ligne rouge" dans le sens où "elle permet, pour la première fois, d’enfermer des personnes avant même qu’une décision d’expulsion ait été prononcée, ce qui est contraire à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel". "Elle a également réduit le délai pour contester ces décisions de quinze à sept jours. Alors que plus de 35 000 personnes étrangères ont fait l’objet d’une procédure Dublin en 2017 en France, cette loi va conduire à remplir les centres de rétention administrative d’hommes, de femmes et d’enfants qui ne font que solliciter une protection", pointe la Cimade.

Une grève à la Cour nationale du droit d’asile

Par ailleurs, comme le rapporte l’AFP (12 février), plusieurs syndicats d’agents (Unsa, FO et CGT) et d’avocats avaient déposé un préavis de grève pour le 13 février afin de dénoncer le projet de loi sur l’asile et l’immigration qui sera présenté le 21 février en conseil des ministres. Intervenant à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), ils estiment que le projet qui va être présenté "poursuit et renforce une logique productiviste" et "porte durement atteinte tant aux droits des demandeurs d’asile qu’aux conditions de travail des 434 agents de la CNDA". Cette structure est chargée de juger les les recours formés par les personnes demandeuses d’asile déboutées par l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). De leur côté, les avocat-e-s avaient lancé un mouvement de grève des audiences pour dénoncer un texte "qui n’a pour objectif que de réduire les droits des réfugiés et, notamment, leurs droits à une défense digne". Comme le rappelle l’AFP, les avocats estiment : "Chacun sait que la diminution du délai pour déposer sa demande, la réduction du délai pour exercer son droit à recours, l’absence de caractère suspensif de la plupart des recours, la multiplication des décisions rendues par ordonnance et le recours à la visioconférence sont autant d’atteintes aux droits des justiciables les plus vulnérables et aux droits de la défense". La situation à la Cour nationale du droit d’asile a fait l’objet d’une récente lettre ouverte écrite par un-e rapporteur-e de cette institution. Adressée au ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, elle a été publiée le 15 février sur Médiapart.

 

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Portrait de zut

enfermer, enfermer ... c'est tout ce qu'ils savent faire !