Assassinat d’Eric Lembembe : les explications du pouvoir passent mal

Publié par jfl-seronet le 25.07.2013
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L’assassinat du directeur exécutif de la Fondation camerounaise pour la lutte contre le sida : CAMFAIDS, Eric Ohene Lembembe, militant des droits des personnes LGBT a suscité de très nombreuses réactions… A tel point que le gouvernement s’est finalement décidé à sortir de son silence… mais personne ne le croit.

L’ONUSIDA dénonce

Par communiqué de presse (17 juillet), l’ONUSIDA a condamné l’assassinat d’Eric Ohene Lembembe, directeur exécutif de la Fondation camerounaise pour la lutte contre le sida : CAMFAIDS. Dans son texte, l’organisme onusien rappelle qu’Eric Lemembe était  "un ardent défenseur des droits des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, transgenres et intersexes". L’ONUSIDA "demande au gouvernement camerounais de faire toute la lumière sur le décès de [l’activiste]". L’organisme se dit "gravement préoccupé par les nombreux rapports faisant état de violences et de menaces de mort à l’encontre des personnes LGBTI au Cameroun et demande instamment au gouvernement d’envoyer un message clair soulignant que la violence, les actes homophobes et discriminatoires ne seront pas tolérés."

Paroles et paroles… du gouvernement

Dans une déclaration (20 juillet) à la télévision d'Etat, le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a assuré que "le gouvernement saura prendre ses responsabilités (...) afin que toute la lumière soit faite" sur le meurtre d'Eric Lembembe. Cette sortie "officielle" arrive après que les avocates de la victime ont dénoncé une enquête bâclée et la répression des personnes LGBT par les autorités. Dans un communiqué conjoint publié samedi 20 juillet, onze associations de défense des droits de l'Homme ont, elles, demandé au président camerounais Paul Biya "de prendre des mesures fortes pour arrêter une vague de haine et protéger une minorité persécutée de citoyens". "Il n'y a aucun complot d'Etat, ni même aucun complot social au Cameroun, qui serait dirigé vers les homosexuels", a-t-il poursuivi, ajoutant : "de nombreux homosexuels notoirement connus vivent et circulent en toute liberté au Cameroun sans que soient organisées des battues ou des expéditions punitives contre eux".

Encore un  procès !

Mais oui, bien sûr. On pourrait se croire rassurés et puis voilà que tombe une nouvelle. Un tribunal de Yaoundé a reporté, le 19 juillet, l'annonce de son verdict sur la "culpabilité" de deux hommes et d'un mineur accusés d'homosexualité, un délit au Cameroun passible de cinq ans de prison, dans un climat de peur au sein de la communauté homosexuelle après le meurtre d'un militant des droits des gays. Le tribunal devait annoncer si les accusés étaient déclarés ou non coupables. "Le délibéré a été prorogé au mardi 23 juillet", a déclaré à l'AFP un des avocats de la défense, Michel N’togué. "Cela veut sans doute dire que le tribunal n'était pas encore prêt", a-t-il ajouté. Les deux adultes poursuivis sont en détention préventive à la prison centrale de Yaoundé depuis août 2011. Le mineur, un temps détenu, a ensuite été remis en liberté. Leurs avocats ont demandé la relaxe de leurs clients. "Je vous prie d'ordonner la relaxe immédiate de nos clients pour qu'ils puissent retrouver la liberté et leur honneur", a plaidé Maître Alice N’kom, célèbre pour son engagement en faveur de la défense des homosexuels au Cameroun où les pratiques homosexuelles sont sévèrement réprimées par les tribunaux. Il y a chaque année des condamnations et elles sont de plus en plus nombreuses.

"Nous avons tous peur"

Ce nouveau procès se déroule dans un climat délétère, quelques jours après le meurtre d’Eric Lembembe, rappelle l’AFP. De nombreuses ONG dénoncent régulièrement les arrestations et emprisonnements de personnes LGBT au Cameroun, de même que les nombreuses pressions et menaces à l'égard des défenseurs de leurs droits. Résumant les sentiments qui animent la communauté gay, un militant, s'exprimant sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité, témoigne auprès de l’AFP : "Nous avons tous peur pour nos vies parce que la menace est partout. Si des gens en arrivent à supprimer la vie à un individu (comme Eric), nous ne sommes pas à l'abri". De son côté, le porte-parole du gouvernement s’efforce, avec difficulté, d’être rassurant : "Une autopsie a d'ores et déjà été ordonnée et des réquisitions adressées aux opérateurs de téléphonie mobile en ce qui concerne les communications téléphoniques du défunt". Mais les onze associations ne voient pas les choses ainsi. "Ce crime intervient dans un cadre général d'homophobie marqué par le silence complice des autorités devant de nombreux incidents ciblant les individus et organisations défendant les droits des minorités sexuelles", estiment-elles dans leur communiqué. "Les autorités religieuses, l'Eglise catholique camerounaise en particulier, prennent position sur l'homosexualité de manière à inciter à la violence", accuse le texte.

Les associations ne sont pas dupes

"Sans trop de surprises, l’intervention [du porte-parole et ministre de la Communication, ndlr] était un moyen pour le gouvernement de faire belle figure, et de surtout répondre aux multiples appels internationaux qui demandent à ce que lumière soit faite. Sa stratégie a consisté à donner des impressions", explique Serge Douomong Yotta, directeur exécutif de l’association Affirmative Action. "L’impression que tout est mis en place pour que justice soit faite et que les coupables de cette monstruosité soient punis ; l’impression que les homosexuels au Cameroun vivent heureux et qu’il n’existe aucune conspiration étatique ou sociale envers eux, l’impression que les médias étrangers se liguent contre le gouvernement, bref l’impression qu’on en fait un peu trop pour si peu", indique-t-il. "Pourtant, la réalité tout le monde la connaît et ce n’est pas anodin que [le ministre] n’ait permis à aucun journaliste de poser des questions à la fin de la conférence de presse. Assurément, lui aurait-on rappelé qu’il semble peu informé pour un ministre de la communication quand on sait qu’il ne passe pas un seul jour sans que les médias camerounais abordent les questions de l’homosexualité", explique Serge Douomong Yotta. Et le militant d’enfoncer le clou : "En effet, la réalité est que l’enquête semble avoir été bâclée ; la réalité est que la communauté LGBT du Cameroun se sent ciblée, observée, tyrannisée et impuissante face à cette violence quotidienne qui a conduit à la mort horrifiante d’un de ses plus grand leaders et activistes ; la réalité est que la communauté internationale et les médias étrangers veulent faire la lumière sur cette ombre que le gouvernement s’obstine à couver et qui a commencé à éclore."