Assurance : « le système pousse les séropositifs-ves à mentir »

Publié par Rédacteur-seronet le 16.10.2020
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Interviewassurance

Alors que le VIH est devenu une infection chronique bien contrôlée chez les personnes dépistées et traitées en France, le secteur des assurances ne semble pas avancer aussi vite que les progrès thérapeutiques. La convention Aeras est un premier pas très insuffisant et pendant ce temps de nombreuses personnes vivant avec le VIH continuent de subir des surprimes ou des refus. C’est le cas de Cédric, steward et séropositif depuis 2014, qui a décidé de témoigner pour « éveiller les consciences » à ce sujet.

Avant de faire votre demande pour adhérer à une prévoyance, aviez-vous eu connaissance de situations de refus en raison du statut sérologique VIH ?

Cédric : Je savais que ce genre de refus était arrivé dans le passé, mais, personnellement, je n’avais jamais été confronté à ça. J’avais décidé d’être transparent car mon dossier médical était bon. Ma charge virale est devenue indétectable un mois après mon infection, mes CD4 sont excellents et je n’ai jamais eu d’arrêt maladie lié à mon VIH. On m’a demandé de fournir tout mon historique d’analyses médicales liées au VIH depuis mon diagnostic, mais, en réalité, leur décision était prise à l’avance puisque mes bons résultats n’ont pas du tout été pris en compte.

Quelle a été votre réaction en découvrant le courrier de refus ?

J’étais choqué de voir qu’en 2020, une assurance pouvait écrire noir sur blanc « refus en raison du VIH ». Je me suis senti sale sur le coup, puis en colère non seulement pour le VIH, mais aussi pour le VHC que j’ai contracté dans le passé, mais qui a été traité et guéri. Ce double refus m’a tellement perturbé que j’ai appelé mon infectiologue pour lui demander si j’étais bien guéri du VHC et elle m’a confirmé que oui.

Quels recours avez-vous tenté ?

J’ai contacté AIDES et j’ai été mis en lien avec Chloé Le Gouëz [chargée de mission plaidoyer accès aux droits chez AIDES, ndlr]. J’ai également contacté une association LGBT de salariés de mon entreprise et j’ai saisi la Défenseure des Droits par courrier. Le 6 octobre j’ai reçu une réponse négative de la Défenseure des droits qui indique via le directeur adjoint du réseau et de l’accès au droit qu’il ne peut être donné suite à ma réclamation en citant l’article 225-3 1° du code pénal, les discriminations fondées sur l’état de santé. Je suis très déçu bien évidemment mais je me doutais de la réponse.

Par ailleurs j’ai écrit à l’assureur qui a refusé mon dossier, mais pas pour mon cas personnel. Je ne veux plus m’assurer chez eux. Mon souhait à présent serait que cet assureur change de politique car ce genre de refus, c’est une discrimination envers les personnes vivant avec le VIH.

Depuis ce refus, avez-vous tenté de souscrire à d’autres assurances ou crédits ?

J’ai tenté la seconde assurance liée à mon secteur d’activité et cette fois j’ai menti sur mon statut sérologique et mon dossier pour la prévoyance a été accepté. Et puis j’ai monté un dossier de prêt immobilier avec mon conjoint et là aussi j’ai été contraint de cacher ma séropositivité afin d’obtenir ce prêt. Si je n’avais pas menti, je m’exposais soit à de nouveaux refus, soit à des surprimes. Mon infectiologue m’a parlé de la convention Aeras et m’a conseillé de contacter un courtier spécialisé afin de bénéficier de taux « tout à fait acceptables » mais j’émets des doutes sur cette notion de « taux acceptables ».

Les dispositions actuelles font qu’on prend plus de risques pénaux si on ment à un assureur en se sachant séropositif que si on ne ment pas parce qu’on ignore sa séropositivité. Que vous inspire ce paradoxe ?

Aujourd’hui, le système actuel pousse les personnes séropositives à mentir pour obtenir un prêt ou une assurance. Le sujet reste très tabou. Quand j’ai mentionné que j’étais séropositif sur ma page Facebook, plusieurs personnes proches m’ont conseillé de supprimer mon post ou de dire que cette discrimination concernait un ami car une personne malveillante pourrait faire des captures d’écrans et les envoyer aux assureurs. Voilà où nous en sommes en 2020, il faut cacher sa séropositivité et en avoir honte car à vouloir être honnête et transparent on subit des refus. Je trouve ça écœurant et révoltant. J’espère que mon témoignage pourra éveiller un peu les consciences à ce sujet. Certains de mes collègues ont eu des cancers, aujourd’hui en totale rémission et eux aussi ont subi des refus et n’ont pas bénéficié du « droit à l’oubli » (1). J’aimerais faire évoluer les choses pour les personnes séropositives mais pas uniquement, d’autres pathologies sont concernées par des refus ou des mesures très restrictives de la part des assurances. Le médecin conseil de l’assurance qui a rendu cet avis négatif n’a rien compris à la réalité du VIH en 2020. Il reste figé dans une vision dépassée d’un point de vue scientifique.

(1) : Droit à l’oubli : depuis septembre 2015, la convention Aeras (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) prévoit un droit à l’oubli, accessible aux personnes qui ont été atteintes, plusieurs années auparavant (cinq ans ou dix ans), d’une pathologie cancéreuse. Ce droit à l'oubli leur permet de ne pas mentionner ce cancer et donc de ne pas être pénalisées lors de la souscription d’un contrat d’assurance emprunteur. Le droit à l’oubli représente une avancée remarquable  en permettant d’accéder plus facilement à l’emprunt sur des conditions standard sans surprimes et sans exclusions de garantie.

Propos recueillis par Fred Lebreton


La convention Aeras : quézako ?
La convention Aeras (s'Assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) est une convention française qui vise à améliorer l’accès au crédit pour les personnes qui ont un « risque aggravé ». Elle a été signée par les professionnels-les de la banque et de l’assurance, les associations et les pouvoirs publics le 6 juillet 2006 et elle est entrée en vigueur début janvier 2007. Elle remplace la convention Belorgey.
Dans le cadre de la convention Aeras, la demande d'assurance est examinée à trois niveaux successifs, si nécessaire. Le niveau 1 correspond à l'analyse des risques standards ; quand votre dossier est refusé au niveau 1, il est transféré au niveau 2 d'examen. Il fait alors l'objet d'une analyse plus personnalisée. À ce niveau d'examen, l'assureur peut demander des examens médicaux complémentaires ; quand votre dossier est refusé au niveau 2, il est alors transmis au niveau 3. Ce niveau est constitué par un pool de réassureurs qui réexaminera votre dossier. Seuls, les cas les plus complexes y sont traités. À ce niveau d'assurance, seulement 20 % des dossiers font l'objet d'une proposition d'assurance. Quel que soit le niveau auquel elle a été formulée, une proposition d'assurance pourra être assortie d'une exclusion de garantie et/ou d’une surprime.


Le VIH est-il un risque aggravé ?
Pour les assureurs, un « risque aggravé » signifie que la probabilité que le-la futur-e emprunteur-e ait à faire face à une situation qui est garantie par l’assurance (décès, invalidité, entre autres) est supérieure statistiquement à celle de la population générale. Un risque aggravé peut concerner, par exemples la pratique d’un sport dangereux, l’exercice d’une profession, une pathologie. Pour les personnes vivant avec le VIH, première embûche : le VIH est considéré par les assureurs de crédit comme un « risque aggravé ». Pour les experts-es du VIH en France, une personne séropositive sous traitement avec une charge virale indétectable ne devrait pas rentrer dans cette catégorie. Ainsi, Dominique Costagliola, directrice de recherches à l'Institut Pierre Louis d'Épidémiologie et de Santé Publique, était claire lors d’une table ronde organisée par l’association Les Séropotes en janvier 2020 : « les personnes vivant avec le VIH n’ont, à ce jour, pas un niveau de morbidité plus complexe que ce qui est décrit pour d’autres pathologies chroniques », et d’ajouter qu’il n’existe « pas de sur-risque pour les personnes vivant avec le VIH sous traitement, avec une charge virale contrôlée ».


Que dit la grille de référence VIH ?
Depuis mars 2017, une grille de référence spécifique au VIH complète la convention Aeras. Elle plafonne les surprimes et limite les exclusions de garantie lors de la souscription d’une assurance emprunteur pour les personnes vivant avec le VIH. Mais pour bénéficier de ce plafonnement, les personnes qui en font la demande doivent respecter l’ensemble des critères d’une grille de référence très restrictive qui exclut, de fait, de nombreuses personnes vivant avec le VIH. Parmi les critères exigés : CD4 supérieurs ou égaux à 350 CD4/mm3 sur tout l’historique de leur vie avec le VIH ; au moment de la demande des CD4 supérieurs ou égaux à 500 CD4/mm3 et une charge virale indétectable à 12 mois après le début des traitements, sans rechute pendant deux ans ; absence de stade sida ; absence de coïnfection actuelle par le VHB ou VHC ; absence de coïnfection passée par le VHC, sans stade de fibrose strictement supérieur au stade F2 ; absence de maladie coronarienne et d’AVC ; absence d’usage de substances illicites (liste des stupéfiants fixée par arrêté du 22/02/1990) ; absence de cancer en cours, ou dans les antécédents notés dans les dix années antérieures ; absence de tabagisme actif et enfin, il faut attendre deux ans après le diagnostic de séropositivité au VIH pour pouvoir bénéficier des conditions de la grille de référence.

 

Qu’est-ce que la « garantie immobilière solidaire » ?
Au mois d’août dernier, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, annonçait en grande pompe un dispositif nommé « garantie immobilière solidaire » destiné à prendre en charge les surprimes des personnes qui représentent un risque aggravé pour les assureurs dont les personnes vivant avec le VIH. Un fonds de garantie doté de 3,7 millions d'euros a été mis en place. Interrogée par Têtu, Chloé Le Gouëz, chargée de plaidoyer à AIDES, expliquait en quoi cette annonce n’était qu’un leurre : « Au lieu de s'attaquer au problème, on le maintient, avec de l'argent public. Les assureurs n'ont aucune raison de faire payer ces surprimes ». De son côté Roman Krakovsky, président des Séropotes a réagi sur Twitter : « Le dispositif de garantie immobilière solidaire du Conseil régional d’Île-de-France, lancé le 25 août pour faciliter l’accès au crédit immobilier des personnes vivant avec une maladie chronique, dont le VIH, n'est malheureusement pas une solution. La convention Aeras impose des conditions très contraignantes qui excluent tout risque pour l'assurance et une fois que tout risque est exclu, les autorise à imposer des surprimes jusqu'à 100 % ! Aujourd'hui, une personne vivant avec le VIH qui prend son traitement ne représente AUCUN risque pour l'assurance, puisque son espérance de vie est ÉGALE voire SUPÉRIEURE aux personnes séronégatives grâce aux traitements et suivi efficaces ! Le dispositif du Conseil régional d’Île-de-France s'inscrit dans la logique de la convention Aeras, car il intervient seulement APRÉS l'obtention du prêt, et en proposant de garantir le remboursement de la surprime au cas où l'assurance emprunteur devrait s'enclencher. Mais comme la probabilité qu'un emprunteur vivant avec le VIH aura besoin de faire jouer l'assurance est proche de zéro, ce dispositif d'aide ne sera pas utilisé. Le Conseil régional d’Île-de-France le sait très bien : il a doté ce fonds de garantie de 3,7 millions d'euros, c'est-à-dire de rien. Les Séropotes militent pour repenser plutôt les conditions d'accès au prêt des personnes vivant avec le VIH, en tenant compte des progrès de la médecine de ces dernières années ! » AIDES milite, comme d’autres, pour que soit mis fin à la surévaluation des assureurs des risques liés au VIH.

 

Commentaires

Portrait de Superpoussin

D'où vient ceci: "Mais comme la probabilité qu'un emprunteur vivant avec le VIH aura besoin de faire jouer l'assurance est proche de zéro, ce dispositif d'aide ne sera pas utilisé." ?

Pourtant Séronet regorge de témoignages d'emprunteurs séropositifs confrontés au paiement d'une surprime, surprime qui, d'après ce que j'ai compris de votre article, serait prise en charge par le conseil général d'Ile-de-France. Donc ce dispositif a, contrairement à ce que vous écrivez, de bonnes chances d'être utilisé.

Coquille?

En revanche la première convention initiale Aeras de 2007 n'était elle d'aucune utilité autre que de faire semblant de faire quelque chose (oui je l'avais étudiée à l'époque et avait été choqué de ce brassage de vent autour d'une coquille vide). Je n'ai pas étudié les versions ultérieures.

Portrait de frabro

Il me semble que AIDES et donc Seronet ont d'habitude une position de lutte contre les discriminations. or, le titre même de l'article ainsi que des commentaires sur d'autres forums poussent les séropos à mentir, ce qui revient à accepter le système et à seulement tenter de le tourner.

Alors qu'un autre fil invite à la "disance", il me semble qu'il y a là une autre contradiction...

Portrait de Les Désobéissant-e-s

Superpoussin wrote:

D'où vient ceci: "Mais comme la probabilité qu'un emprunteur vivant avec le VIH aura besoin de faire jouer l'assurance est proche de zéro, ce dispositif d'aide ne sera pas utilisé." ?

Pourtant Séronet regorge de témoignages d'emprunteurs séropositifs confrontés au paiement d'une surprime, surprime qui, d'après ce que j'ai compris de votre article, serait prise en charge par le conseil général d'Ile-de-France. Donc ce dispositif a, contrairement à ce que vous écrivez, de bonnes chances d'être utilisé.

Coquille?

En revanche la première convention initiale Aeras de 2007 n'était elle d'aucune utilité autre que de faire semblant de faire quelque chose (oui je l'avais étudiée à l'époque et avait été choqué de ce brassage de vent autour d'une coquille vide). Je n'ai pas étudié les versions ultérieures.

L'article parle de la probabilité de "faire jouer l'assurance", c'est à dire de décéder (ou de devenir invalide lorsque le contrat le prévoit) au cours de la période couverte par l'assureur. Pas d'obtenir une assurance via le dispositif Aeras.

Par ailleurs, le fait de se voir imposer des surprimes ne veut pas dire que l'on dépend de ce dispositif, puisque des surprimes peuvent être imposées même si l'on n'y est pas éligible.

Sur 520.000 demandes d'assurance avec un risque aggravé, seules 1.000 (et majoritairement pas des dossiers VIH) se concrétisent par la signature d'un contrat d'assurance et de crédit. Il ne serait pas pas inexact non plus, donc, de dire, comme l'ont fait Les Séropotes par exemple, que la convention Aeras ne remplit pas son objectif.

 

Portrait de Luckybenz

L'an dernier naïvement on a tenté avec mon conjoint le montage d'un prêt immobilier. Plus de dix assurances faire, spécialiste Areas. Une a bien voulu nous assurer à 3% avec un taux à 1.5, donc on dépassait le taux d'usure. Donc c'est pas on vous refuse, c'est plus on met un taux délirant pour ne pas refuser. Et les banques n'aident pas. même lorsque les parents propose une maison de valeur superieure en garantie sachant quils en ont deux et que tout est payé. Par contre payer un loyer du même montant que le crédit, que peu importe ce qu'ils nous arrivent il faut le payer. l'argument n'est pas valable. Tricher on y a pensé, mais dans les formulaires les informations se recoupent. Seul certains fonctionnaires qui ont une mutuelle qui offre aussi la garantie du prêt peuvent peut être y arriver. Et surtout il ne faut aucune autre pathologie même chronique. ☹️

Portrait de cemekepirketou

Dans la vie on n'est pas obligé de cacher, et on est pas obligé de dire, il faut se sentir libe de son choix, ne pas dire ça n'est pas cacher, c'est une liberté, il n'y a pas de raison d'avoir honte de ne pas dire ou révéler une partie intime de sa vie. Il y a tout de même des cas où il vaut mieux dire : personnellment il m'a été conseillé de dire à mes parent mes affinité intime et ma S+, car c'était un conflit familial qui me rongeait et m'empêchait de réaliser ma vie. Après leur avoir tout dit, j'ai commencé à réaliser plein de vieux rêves.