Au labo sans ordo !

Publié par Fred Lebreton le 04.10.2021
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ConférencesSFLS 2021

Vendredi 1er octobre, Grenoble, l’édition 2021 du congrès de la SFLS s’est clôturée avec une annonce très attendue du ministre de la Santé sur la généralisation du dispositif « Au labo sans ordo » et la remise de l’appel de Grenoble. Retour sur les moments forts de cette journée et rendez-vous du 16 au 18 novembre 2022 pour le prochain congrès SFLS qui sera organisé… en Seine-Saint-Denis, un département très touché par le VIH.

Où est Olivier Véran ?

La rumeur courait depuis deux jours, le ministre de la Santé Olivier Véran devrait faire une annonce en clôture du congrès de la SFLS, mais il ne sera pas sur place. Le ministre de la Santé apparaitra via une vidéo préenregistrée… Les associations militantes ne sont pas contentes et le font savoir. « Où est Olivier Véran ? À la @sfls_vih, @olivierveran brille encore... par son absence ! Gênant, lorsque l'on prône une volonté de dialogue. Le VIH n'est plus assez important en 2021 ? » s’interroge AIDES sur Twitter ? De leur côté, les militants-es de Act Up Sud-Ouest et Act Up-Paris présents-es dans la salle dévoilent une banderole « Ministre des inégalités en santé » tandis qu’un de leur militant nommé Martin prend la parole : « M. Véran, les conséquences de l'ensemble des politiques de votre gouvernement accentuent les inégalités en santé. C'est par les actes que les choses bougent et nous soutenons l'appel de Grenoble » (voir encart ci-dessous). La salle applaudit. Chacun est dans son rôle… et le ministre absent !

Le discours préenregistré du ministre de la Santé est lancé. Il est assez court. Olivier Véran rappelle l’impact de la crise sanitaire sur le dépistage VIH en France et annonce sa volonté de généraliser le dispositif « Au labo sans ordo » (dépistage du VIH sans frais, sans rendez-vous et sans ordonnance dans les laboratoires d’analyses médicales) à toute la France dans le cadre du prochain Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PFLSS 2022). Les réactions à cette annonce ne se font pas attendre : « Face à une baisse très inquiétante des dépistages VIH, AIDES se réjouit de la pérennisation de l'initiative Au Labo Sans Ordo. Le @gouvernementFR doit aller plus loin et soutenir massivement les associations pour un accès facile et gratuit aux tests rapides & autotests ! », déclare AIDES sur Twitter. De son côté l’association Vers Paris sans sida, qui a co-construit ce dispositif en 2019, se dit « extrêmement fière » de cette généralisation.

Renoncement aux soins

Héléna Revil, responsable scientifique de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) à l’Université Grenoble Alpes a présenté des données sur le renoncement aux soins. L’enquête Eras de Santé publique France a montré que 35 % des répondants-es ont renoncé à des soins pendant le premier confinement en 2020, 28 % ont reporté leur dépistage VIH et 34 % des personnes vivant avec le VIH ont reporté leur consultation de suivi. Ces renoncements aux soins s’expliquent par des facteurs financiers, géographiques (la présence de déserts médicaux) mais aussi la peur de contracter la Covid-19 en se rendant à l’hôpital.

Les personnes migrantes sont particulièrement concernées par le renoncement aux soins avec la barrière de la langue, des difficultés d’orientation/priorisation des besoins de bases comme l’hébergement et l’alimentation ou encore les ruptures de droits (titre de séjour, difficultés d’accès à l’AME, etc.). C’est d’autant plus vrai pour les personnes migrantes LGBT qui sont à l’intersection des discriminations fondées sur leur origine et/ou leur orientation sexuelle/identité de genre. C’est une population peu visible et peu accessible. En Île-de-France, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes d’origine afro-caribéenne représentent 16 % des nouveaux diagnostics VIH contre 1,5 % pour hommes hétéros d’origine afro-caribéenne (Afrobaromètre et Bulletin épidémiologique hebdomadaire/BEH en 2017).
En conclusion, Héléna Revil souligne l’importance de prendre en compte les caractéristiques socioéconomiques des personnes, leur contexte de vie actuel et leur trajectoire passée.

La Prep (pas encore) pour tous-tes !

Nicolas Vignier, infectiologue et chercheur en santé publique (CHU de Cayenne), est revenu sur les inégalités d’accès à la Prep en France. Au 30 juin 2020, la France comptait 32 000 usagers-ères de Prep avec une très grande majorité d'hommes (97,2 % pour 2,8 % de femmes). Parmi ces usagers-ères, peu de jeunes et très peu de séniors (15,8 % représentent les moins de 25 ans, 36 %  les 26-35 ans, 26, 2 % les 36-45 ans, 16, 3% les 46-55 ans, 4,7 % les 56-65 ans et 1 % les plus de 65 ans). La Prep souffre principalement d'un défaut de communication à destination des populations clés, de barrières à son accès liées à un nombre restreint de prescripteurs-rices, d’inégalités d’accès selon les territoires et à des discriminations et des non propositions chez les personnes soignées pour une infection sexuellement transmissible ou un traitement post exposition.

Les hommes ayant des relations sexuelles (HSH) sont surreprésentés (98,5 %). Par ailleurs, une enquête ERAS 2019 auprès des HSH non séropositifs a révélé une prise de Prep de 9,1% chez les personnes d'un niveau d'éducation et d'un âge plus élevés, avec une situation financière plus favorable, se définissant le plus facilement comme homosexuels et résidant davantage dans de grandes agglomérations. Seul, un cinquième des HSH éligibles à la Prep l'utiliseraient. Les populations clés négligées dans l’accès à la Prep sont : les HSH nés à l’étranger ; les travailleurs-ses du sexe ; les personnes trans ; les personnes migrantes primo-arrivantes en situation de vulnérabilité sexuelle ainsi que, parmi elles, les personnes multipartenaires et leurs partenaires ; les personnes vivant en Outre-mer ; les personnes incarcérées ; les partenaires des personnes vivant avec le VIH dont la charge virale n’est pas contrôlée ; les personnes migrantes à l'occasion d'un retour au pays et les voyageurs (tourisme sexuel). La liste est longue et révèle l’ampleur du travail à accomplir !

Les outils pour réduire les inégalités sociales de santé consistent à informer, éduquer, communiquer auprès des populations clés négligées, mais aussi former et sensibiliser les professionnels-les de santé notamment avec l’outil de formation en ligne à la Prep. Il est également essentiel d’intégrer des travailleurs-ses sociaux-les et des médiateurs-rices dans les Cegidd (centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles), les structures de soins primaires, d'accompagnement social et de planification familiale et de périnatalité, en structurant l'offre de prise en charge médico-psychosociale.

Pas de démocratie sans égalités sociales

C’est par une salve d’applaudissements que s’est terminée la présentation (brillante) de France Lert, présidente de Vers Paris Sans Sida (VPSS), sur les déterminants sociaux dans le VIH. La chercheuse à l’Inserm a montré comment les causes des inégalités sociales de santé traduisaient des rapports sociaux de classe, de genre et d’origine ethnique qui se conjuguent en intersectionnalité (le fait de subir simultanément plusieurs formes de domination/discrimination dans une société). Dans le champ du VIH, par exemple, l'échec virologique (ne pas avoir une charge virale contrôlée) est fortement associé au chômage, à un niveau d'éducation faible, à la discrimination sérophobe, au faible réseau social et à la pauvreté. Chez les hommes vivant avec le VIH on retrouve une fréquence cinq fois plus élevée d'épisodes dépressifs majeurs que dans la population générale des hommes. Par ailleurs, l'isolement et l'absence de liens interpersonnels interagissent fortement chez les femmes africaines séropositives vivant seules avec enfants, le plus souvent au chômage ou en situation de pauvreté.

France Lert affirme qu’il « il n'y a pas de démocratie quand prévalent les inégalités sociales ». Comme leviers utilisés dans le champ VIH/sida, la société civile occupe une place essentielle. Actions communautaires et humanitaires, actions de RDR, traitements de substitution, actions en prison, assurances des emprunts pour les personnes vivant avec le VIH, Pacs et mariage entre personnes de même sexe, etc. Mais aussi la participation des personnes concernées à la définition des essais et de leurs protocoles, de la galénique (mise en forme du traitement) des antirétroviraux et de l'accès au traitement dans les pays à faibles ressources.

Comment actionner ces leviers ? Par l'interpellation, les manifestations, le plaidoyer, en faisant preuve d'inventivité et de créativité par les expérimentations de nouveaux modèles , ou l'application de modèles existant ailleurs dans le monde. France Lert cite en exemples comment Médecins Sans Frontières a initié les premiers centres de dépistages en 1987, les échanges de seringues en 1989 ou le bus méthadone en 1998. Les chantiers actuels sont nombreux : les politiques migratoires, le droit des étrangers-ères, les droits des usagers-ères de drogue (notamment l’accès aux seringues en prison) et la lutte contre le racisme, la sérophobie et les LGBTphobies (à ce sujet France Lert parle d’une « pression à l’hétérosexualité dans l’enfance et l’adolescence »).

La chercheuse insiste aussi sur l’importance du vocabulaire employé pour désigner les PVVIH, les personnes trans, les travailleurs-ses du sexe, etc. Des termes qui entretiennent parfois des formes de stigmatisation et qui assignent le risque à une responsabilité individuelle.

Merci à Jean-Claude Aucour et Maxime Encrevé

 

L’appel de Grenoble
Contrairement aux espoirs des initiateurs-rices de « L’appel de Grenoble », le ministre Olivier Véran n’aura pas reçu en direct le texte inédit de cet appel rédigé par le COREVIH arc alpin. Par cette initiative, les militants-es réunis-es à Grenoble, mais plus largement le monde français de la lutte contre le VIH et les hépatites virales entendaient « réaffirmer que la fin de l’épidémie de VIH/sida est un projet de société », qui « demande des mesures politiques systémiques ». Le texte rappelle que cette lutte se joue sur plusieurs niveaux (communes, départements, régions, etc.) et que si la responsabilité des décideurs-euses publics-ques est « première » ; celle-ci s’appuie, pour partie, sur des initiatives de la société civile investi dans ce champ.
Pourquoi mentionner des « mesures politiques systémiques » ? Parce que les inégalités que subissent un très grand nombre de personnes vivant avec le VIH ou qui y sont exposées sont, elles-mêmes, systémiques. À l’instar de ce qui se passe partout ailleurs, en France aussi plus les conditions socio-économiques dans lesquelles les personnes vivent sont dégradées, moins bonne est leur santé. Ce sont elles qui font émerger et entretiennent les inégalités en santé, dont le texte rappelle qu’elles sont « par nature évitables ». D’où cette initiative militante qui réaffirme qu’« assurer l’équité entre les personnes, et entre les peuples, est une question de justice sociale et de respect des droits fondamentaux de la personne ; il s’agit, par ailleurs, de la seule voie pour en finir avec le sida ».
L’appel de Grenoble comporte dix points ; tous concernent le VIH et les hépatites virales. L’un consiste à «  penser et évaluer en termes de santé publique toutes les politiques publiques » ; l’objectif étant, entre autres, d’évaluer l’impact de toutes les politiques et de tous les programmes sur la santé et l’équité en santé ». Un autre est « d’assurer un accès universel à la santé et aux soins ». Autre point : « Défendre les droits de chacun-e et refuser la discrimination et la stigmatisation » L’appel s’intéresse à différents champs, ainsi une préconisation est de « développer des programmes de recherche transversaux et avec les populations concernées ». Au fil des dix points (qui sont détaillés pour chacun dans le document), on comprend en quoi « en finir avec le sida passe par un changement de société ». Reste l’enjeu de faire vivre ce texte dans le contexte préélectoral actuel et la future campagne de 2022.


Inégalités de territoire
Une session parallèle était consacrée au thème « Inégalités de territoire ». Sur le territoire français, nous sommes face à des inégalités qui diffèrent selon les territoires. Si nous prenons en exemple les départements et territoires Outre-mer, la population se retrouve avec un accès au personnel médical plus difficile et avec moins de professionnels-les de santé au km²/par habitant : 148 pour 100 000 habitants-es. La situation est pire en Guyane avec 42 médecins généralistes pour 100 000 habitants-es. En Guyane, dans l'offre de soins, de suivi et de sensibilisation des personnes, les associations sont très impliquées, Médecin du Monde, AIDES, etc. La file active et le profil des personnes suivies au sein des départements d'outre-mer, sont différents d'un  territoire à l'autre. En Guyane, on retrouve majoritairement des femmes travailleuses du sexe, à Mayotte plutôt des femmes hétérosexuelles et à La Réunion des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. En métropole, la Seine-Saint-Denis (93) est un des départements les plus touchés par le VIH (après Paris) avec 300 nouveaux diagnostics par an et aussi un taux de pauvreté très élevé (27,9 comparé au 14,1 de la moyenne nationale). Le département a mis en place un soutien envers le milieu associatif local à travers le programme « Seine-Saint-Denis Sans Sida » avec des actions « d’aller vers » comme la possibilité de faire des entretiens et des dépistages dans un centre commercial. Il est question aussi d’impliquer directement les habitants-es et en faire des acteurs-rices de la démarche communautaire avec l'Académie populaire de la santé. Chaque territoire a des problématiques différentes des uns aux autres et la meilleure réponse pour faire face au inégalités d’accès à la santé est de sensibiliser les professionnels-les de santé aux innovation thérapeutiques. Il est également essentiel d'impliquer les personnes dans la sensibilisation et la démarche d'accès aux soins et d'inscrire les projets de santé dans les plans de développement territoriaux.