Béatrice Stambul, un phare de la RDR

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Médecin psychiatre, militante de longue date à Médecins du Monde, grande figure de la réduction des risques en France et notamment à Marseille où elle vivait, exerçait et militait, Béatrice Stambul est décédée le 8 février. Hommage et réactions.

Raconter quelqu’un-e, retracer un parcours n’est jamais évident. C’est notamment le cas pour Béatrice Stambul. Avant de laisser la parole à celles et ceux qui l’ont connue, voici quelques mots sur Béatrice Stambul… par elle-même. Elle s’était pliée à l’exercice de l’autoportrait dans une « Lettre militante », publiée en avril 2018.

« Je suis psychiatre, présidente du Bus 31/32, présidente d’ASUD, militante de la réduction des risques depuis 1994 », y rappelait-elle. « Si je suis connue dans le milieu, c’est sans doute pour ce que j’ai fait, mais aussi parce que je suis médecin et que les tutelles trouvent probablement rassurant que la réduction des risques ne soit pas que l’affaire des usagers ». Et de poursuivre : « On me pense plus modérée, plus raisonnable. Quand j’ai commencé le Bus à Marseille en 1994, que j’allais dans les rues, dans les cités, que je distribuais du matériel, mes collègues disaient que j’allais m’encanailler dans le caniveau, que j’étais hors la loi (je disais : Non, je suis avant la loi !). On a gagné. On a arrêté en France l’épidémie de sida chez les usagers de drogues à la fin du XXème siècle, et, peu à peu, tout le monde s’est proclamé de la réduction des risques [RDR]. La loi de ce pays a adopté la RDR comme politique officielle, et de voyous nous sommes devenus acteurs institutionnels ».

Elle y revenait sur son parcours, mais pointait surtout, avec ironie, esprit et mordant, le cynisme de certains-es : « J’assiste, amusée, à des colloques où des professionnels nous expliquent la RDR comme une technique annexe à l’addictologie, un dispositif accessoire qui ne remet pas en cause la finalité ultime qui est l’abstinence. J’entends des spécialistes motivés à l’aller vers, la proximité, mais qui ne voient pas l’intérêt du rôle des pairs, ni la plus-value de les inclure dans l’éducation ou l’accompagnement des usagers. La politique de RDR devient souvent un fourre-tout récupéré par les spécialistes du sanitaire et du social. Les traitements de substitution sont fréquemment prescrits et délivrés dans des conditions contraignantes, sous condition, tenant les usagers sous emprise, à l’issue d’inclusions longues et peu respectueuses des besoins et des souhaits de ceux pour lesquels ces médicaments sont une nécessité ». Et Béatrice Stambul d’expliquer : « Plus que jamais, il est nécessaire de promouvoir et de pratiquer la RDR dans ce qu’elle est fondamentalement : à la croisée de la santé publique et des droits humains, une politique humaniste, pragmatique, sans jugement ni stigmatisation, qui met l’usager au centre du dispositif en le rendant acteur de sa propre santé (…). Si nous pouvons nous réjouir des avancées que nous avons suscitées, le combat pour une vraie citoyenneté des usagers de substances doit continuer ».

« Béatrice avait cette force militante très particulière d'une professionnelle du soin. Elle était psychiatre et une militante enragée contre la stigmatisation et la précarité des usagers-ères de drogues, décimés-es par l'épidémie de VIH, les hépatites, les overdoses, notamment à Marseille mais aussi dans les pays de l'est. Elle était incontournable. Elle était une adversaire déterminée contre la Loi de 70 », explique Hervé Richaud, directeur Stratégie Réseau à AIDES, qui a travaillé avec elle sur différentes opérations (Support don’t punish, l'opération « Droguerie » lors de la campagne présidentielle de 2017…). « Elle n'avait de cesse de défendre une approche impliquant les professionnels-les de santé, les usagers-ères et les collectivités. Nous avons ferraillé à ses côtés, avec Michel [Bourrelly, ndlr], ., contre les intervenants traditionnels du champ de la toxicomanie à Marseille qui ont fini par modifier leurs pratiques. Elle parlait à tout le monde avec la même verve et ferveur avec des messages forts, compréhensibles par tous et toutes. Elle avait cette force pour mettre en place des projets innovants en impliquant les acteurs communautaires (ASUD, Le Tipi, Nouvelle Aube) qui avaient pour elle une importance centrale, et les collectivités, dont la Mission sida toxicomanie de la Ville de Marseille mise en place en 1995 était un modèle, puis Vers Marseille sans sida et sans hépatites dont elle était vice-présidente : le bus d'échange de seringue de MDM en 1994, le bus méthadone en 2000 à Marseille, les actions en milieux festifs et l'analyse de drogues avec MDM et le Bus 31/32, un bus d'échange de seringues en Russie, et son dernier combat inachevé, la salle de consommation à moindre risques à Marseille, portée par ASUD Mars Say Yeah dont elle était la présidente. La prison était aussi un de ses champs d'intervention et d'indignation. Béatrice était connue internationalement comme une actrice majeure de la RDR ».

« Béatrice était LE repère, LE PHARE, pour toutes les personnes qui s’investissent sincèrement dans la réduction des risques auprès des usagers de drogues injectables depuis près de 30 ans ! », rappelle Michel Bourrelly, président de Vers Marseille sans sida et sans hépatites et administrateur du Bus 31/32, qui fut son ami. « Trente ans, c’est d’ailleurs il y a 30 ans que nous nous sommes rencontrés et avons fait ces longs chemins qui se sont croisés des multitudes de fois. Pour moi, Béa était l’énergie incarnée. Elle a fait siennes toutes les préoccupations que rencontraient toutes les personnes que la population ne voulait pas voir, pas entendre. Elle a su reconnaitre l’indispensable savoir faire des usagers en leur donnant une place centrale dans l’ensemble des structures qu’elle a présidées ou dirigées. Elle a affronté le mépris et les moqueries des tenants d’un ordre ancestral qui se répartissait entre sachants et patients. Elle avait assumé d’être différente dans sa pratique, et bien sûr elle a eu raison. Au fil des ans, elle a imposé un style mais aussi une politique, expérimentée et validée tant en France qu’ailleurs sur l’utilité et les apports bénéfiques d’actions de réduction des risques infectieux, de substitution, mais aussi des salles de consommation à moindre risques. Jusqu’à son dernier souffle, elle se sera donnée à fond à la réalisation de ce projet à Marseille, attendu depuis des années, et tant utile pour permettre aux usagers d’être accueillis, accompagnés, et reconnus. Elle avait aussi une grande facilité pour passer d’un sujet grave à un point plus léger, tout en allant jusqu’au bout de ses objectifs, elle était une tornade qui construisait et qui n’acceptait pas de baisser les bras. Elle avait un humour corrosif et détonnant, jusqu’au dernier moment, nous disant il y a encore quelques semaines alors qu’elle savait la fin proche et qu’elle recevait des témoignages d’affection de la terre entière : « Heureusement que je ne meurs pas tous les jours ». 
Béatrice s’en est allée, mais son œuvre lui survivra ».

En 2018, le site vih.org avait publié un reportage sur des expériences emblématiques de « réduction des risques liée à l’usage des drogues » en France. Une de ces expériences concernait le travail mené à Frais Vallon dans les 13e et 14earrondissements de Marseille par le bus 31/32, issu de Médecins du Monde, sur le front de la RDR dans les quartiers Nord. Extrait. « Dans un réservoir désaffecté tout proche, c’est une véritable salle de consommation qui a été improvisée par les usagers. Le flux est continu : on y entre deux par deux, les autres attendent leur tour, comme si une certaine confidentialité devait être respectée. Assez glauque, la salle de consommation est à l’abri des regards, il y a même un récipient pour mettre les seringues, l’équipe y laisse un récupérateur plus adapté, service minimum. Bien sûr, les seringues sont récupérées par l’équipe de maraude comme 25 000 autres chaque année. L’association aimerait bien monter ici une vraie salle de consommation à moindres risques. Le projet va peut-être aboutir, certains élus de la Ville y sont favorables et Béatrice Stambul, présidente de l’association, toujours militante après des années de combat, y croit. L’équipe voudrait bien y croire aussi, mais tant de projets ont dû être abandonnés, faute de moyens financiers et humains… »

 

François Berdougo (Délégué général de la Scoiété française de santé publique) : « Béatrice Stambul nous a quittés hier. Une bien triste nouvelle. Pensées amicales à ses proches ».
Françoise Sivignon (Médecin, et membre du Conseil économique social et environnemental CESE, vice-Présidente de Médecins du Monde et de Reporters sans frontières : « Infatigable militante de la RdR auprès des usagers de drogue en France et partout où @MdM_France avait besoin de toi. Souvenir d’une visite en Birmanie où tu avais importé des airs d’opéra au fin fond du Kachin qui résonnent encore. Tu vas beaucoup nous manquer ».
SOS Addictions : « Un éternel sourire et engagement pour accompagner Béatrice Stambul. Militante et authentique. Nous l’aimions ».
Stéphane Bribard (Ancien élu d'arrondissement Paris 10e) : « Béatrice Stambul nous a quittés. Cette grande figure nationale de la réduction des risques RDR, combattante des droits des plus faibles et de l’accès aux soins pour tous, restera dans nos cœurs. Sa gouaille va manquer. Pensées notamment aux amis d’Asud Marseille et du bus3132 ».
Sergio Coronado (député EELV 2012/2017) : « J’apprends avec beaucoup de tristesse la disparition de Béatrice Stambul, psychiatre, présidente du Bus 31/32, d’Asud, militante de la réduction des risques. Joyeuse, cultivée, chaleureuse. Nous dînerons une autre fois ».
Fédération Addiction : « La Fédération Addiction salue la mémoire de Béatrice Stambul. Psychiatre et militante de la réduction des risques, elle était présidente du bus 31/32 à Marseille et d'ASUD Mars Say Yeah ».
Michèle Rubirola (1ère adjointe de la Ville de Marseille) : « Béatrice Stambul nous a quittés. La réduction des risques a été son combat. Engagée auprès des plus fragiles, l'accès aux soins, présidente du Bus 31/32 & Asud elle a organisé avec Marseille les rencontres internationales de la RDR. Son but : ouvrir une Halte Soins Addiction. Nous la ferons ! »
Strass : « Béatrice Stambul était une alliée des luttes des TDS, très impliquée dans la réduction des risques et la santé des pops clés, avec la mentalité de combattante et survivante liée à son histoire personnelle. On pense aux copainEs d'@AsudJournal et @MdM_France avec qui elle militait ».
Benoît Payan (Maire de Marseille) : « Béatrice Stambul était une pionnière. Elle se sera battue toute sa vie, pour les plus démunis et pour l’accès aux soins pour toutes et tous. Mes pensées vont à son entourage, à Asud Marseille et au bus 31/32. Pour elle, pour toutes et tous, continuons le combat ».
Le Respadd : « Femme, militante, psychiatre, humaniste, médecin, érudite, mélomane, polyglotte, généreuse, engagée, trop de mots l’accompagnent pour un trop petit espace. Exigeante aussi, convaincue que seul un vivre ensemble, altruiste, devait guider nos valeurs. Avec humilité, acceptation et authenticité Béatrice aura toujours su mener à bien les combats politiques, faire respecter les droits des plus vulnérables, se méfier des déclarations hâtives en ne faisant confiance qu’aux preuves, qu'aux actes ».