Beuh : la boulette de Peillon affaiblit le débat

Publié par jfl-seronet le 24.10.2012
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Les propos de Vincent Peillon sur la dépénalisation ont suscité la polémique habituelle avec la droite et poussé le Premier ministre a fermé la porte au débat. Nombreuses sont pourtant les demandes d’un vrai débat sur le sujet qui dépasse les positions de principe des uns et des autres.
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Ministre de l'Education, Vincent Peillon fait beaucoup d’annonces. Il brûle souvent la politesse au Premier ministre, sans doute une question de tempérament. Invité (14 octobre) d’une grande émission politique dominicale, il se voit interrogé sur les questions de société, dont celle du cannabis. "C'est un sujet majeur", explique alors Vincent Peillon sur "France Inter". "Je vois maintenant quasiment tous les soirs sur nos chaînes de télévision des reportages pour montrer les trafics illicites de nos banlieues et le danger dans lequel vivent nos concitoyens, y compris les enfants des écoles." "On peut lutter par les moyens de la répression, je suis absolument pour, mais en même temps je vois que les résultats ne sont pas très efficaces", a-t-il poursuivi (...) "Cette question [de la dépénalisation] est posée et je souhaite que l'on puisse avancer sereinement". Bref, une certaine mesure… mais tout de même un problème car François Hollande comme Jean-Marc Ayrault ont déjà expliqué en différentes occasions qu’ils ne sont pas favorables du tout à un débat sur la dépénalisation. Les ingrédients sont donc réunis pour que la polémique prenne. Et elle prend !
 
L’UMP déchaînée
Comme toujours, l’UMP s’est déchaînée contre les propos de Vincent Peillon avec une rafale de communiqués de presse : huit en un jour ! C’est assez simple, il suffit que la gauche (un ministre, c’est encore mieux) parle de cannabis et l’UMP explose. Les arguments sont connus, rabâchés même, et ont pour objet de tuer le débat. Sans entrer dans le détail des arguments (tout est accessible sur le site de l’UMP), on note que le principal parti d’opposition estime que la gauche joue contre la jeunesse qu’il voudrait "mettre sous perfusion". De son côté, Jean-François Copé considère que : "Vincent Peillon a commis une faute politique et morale extrêmement grave. La question de son maintien au Gouvernement est clairement posée". Comme toujours Camille Bedin, secrétaire nationale de l'UMP à l'égalité des chances, ne s’embarasse pas de subtilités. Cela donne : "François Hollande doit dire si oui ou non, il soutient ses ministres dans leur volonté d'encourager la consommation de drogues. Il doit nous dire si oui ou non, il soutient le combat des familles qui doivent lutter contre ce fléau ravageur. Il doit nous dire si oui ou non, il est capable de se tenir du côté de l'autorité plutôt que du laxisme et de la fuite en avant". Cette réaction est très classique et comme d’habitude va neutraliser le débat et suscité la contrition du ministre.

Contrition et gros yeux !
C’est un peu à la mode en ce moment chez les ministres de parler de "réflexion personnelle" dès lors qu’un propos sort de la ligne gouvernementale fixée. C’est, par exemple, la ministre de la Santé parlant de la PMA dans le texte sur le mariage pour tous. Du coup, Vincent Peillon multiplie les efforts pour expliquer que ces propos n’engagent que lui, bla, bla, bla. Et cela permet au Premier ministre de faire les gros yeux. "Les ministres ont à se concentrer sur la mission qui est la leur. Lorsqu'ils sont à la radio et la télévision, ils doivent défendre à la fois la politique de leur ministère et la politique du gouvernement, et rien d'autre. Nous ne sommes pas des commentateurs", recadre le chef du gouvernement. Mais  ce n’est pas le seul message qu’entend faire passer le Premier ministre. Le 16 octobre, Matignon explique qu'il n'y aura "pas de dépénalisation" du cannabis, ni même de débat.
 
Alors on débat quand ?
Sénatrice (PC) du Val de Marne, Laurence Cohen critique ce refus du débat. Dans un communiqué (15 octobre), elle estime qu’un débat sur le sujet n’est "pas irresponsable !" "Le gouvernement ne doit pas tomber dans le piège dans lequel voudrait l’enfermer la droite, en le faisant passer pour irresponsable. La politique ultra-répressive menée sous Sarkozy pendant des années, a été un échec total", explique la sénatrice. Elle explique que : "La dépénalisation de l’usage ne signifie pas la légalisation. Cela permettrait de ne pas encombrer les tribunaux et les prisons, tout en maintenant l’interdit. Des exemples de dépénalisation existent, notamment au Portugal, montrant qu’en dépassant les peurs et les préjugés des résultats positifs sont possibles". Elle avance aussi que "la pénalisation est une politique qui s’est objectivement montrée inefficace sur la baisse de la consommation notamment, et qui plus est, coûte cher, mobilisant les policiers sur les petits usagers davantage que sur la lutte efficace contre les réseaux. Prendre cette question au sérieux en créant les conditions d’un débat public, informant réellement les citoyennes et les citoyens, est seul de nature à avancer sur une politique de prévention et de réduction des risques", explique la sénatrice qui appelle à l’organisation d’Etats Généraux, "pour lesquels l’engagement du gouvernement est plus que souhaitable".

Une impasse en principes !
Sociologue, spécialiste des drogues, Anne Coppel est interviewée (16 octobre), par le journal "Le Monde". Le quotidien lui demande ce que révèle du "débat français sur les drogues" la polémique suscitée par les propos du ministre de l'Education nationale. "Le débat public sur cette question est dans une impasse, enfermé entre laxisme ou répression, comme si le débat se résumait à "pour" ou "contre" les drogues", note Anne Coppel. Pour la sociologue, il est assez clair que, sur ce sujet, "la classe politique française et une partie de l'opinion publique campent sur des positions de principe". Elle constate qu’on "ne raisonne jamais à partir des chiffres. La France est à la fois un des pays les plus répressifs d'Europe et le pays où il y a le plus grand nombre de consommateurs de cannabis. On sait que la réponse pénale ne diminue pas la consommation. Pourquoi personne ne s'interroge sur cette réalité ?" Une question que manifestement le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’entend pas se poser non plus.
 
Dati joue l’overdose
De temps en temps, l’ancienne garde des sceaux monte au créneau. Le 15 octobre, elle juge ainsi que Vincent Peillon est "lâche". Plus tard dans la semaine, l’ancienne magistrate  se lance sur les terres scientifiques lors d’une interview sur RMC avec Jean-Jacques Bourdin. "Toutes les études scientifiques démontrent que quand les adolescents fument du cannabis, ils passent à une autre drogue, qui est souvent l’héroïne. De toute façon, les conséquences sont graves et irréversibles sur leur santé. [...] On ne guérit pas de la toxicomanie." Voilà, voilà…
 
Proche de zéro…  le SM dénonce
C’est aussi l’idée du débat interdit qui mobilise le Syndicat de la magistrature. Dans un communiqué (16 octobre), il explique que "l’inévitable polémique suscitée par les dernières déclarations du ministre de l’Education nationale (…) illustre à la perfection l’état du débat public sur ce qu’il est convenu d’appeler les "questions de société" : proche de zéro. Le résultat est connu d’avance : on ne changera rien. Ce n’est pourtant pas la matière qui manque ! Etudes scientifiques, rapports parlementaires, expérimentations, alertes et réflexions sont légion, en ce domaine comme dans d’autres, en France comme dans d’autres pays. Mais tout se passe comme si, pour ces sujets, le passage de la "société civile" à la société politique était interdit, ou du moins si dangereusement "sensible" qu’il serait "raisonnable" d’y faire obstacle.


On ne parlera donc pas, ou pas plus de quelques heures, de la dépénalisation de l’usage et de la détention de petites quantités de drogues mise en œuvre depuis 2000 au Portugal – où le pourcentage de consommateurs est devenu l’un des plus faibles d’Europe, déplore le Syndicat de la magistrature. On ne parlera pas non plus du rapport publié en juin 2011 par la Commission mondiale pour la politique des drogues soulignant que "la guerre globale à la drogue a échoué, avec des conséquences dévastatrices pour les individus et les sociétés à travers le monde (…) On ne parlera pas davantage des recommandations émises en juillet 2011 par un groupe de travail composé de parlementaires, alors d’opposition, prônant la légalisation contrôlée du cannabis dans un rapport intitulé "Pour mieux lutter contre le cannabis : sortir de l’hypocrisie".  Pour le SM, si le gouvernement ferme le débat… c’est à l’Assemblée Nationale de le rouvrir. Chiche !