Biblio : "Cela devient cher d’être pauvre"

Publié par jfl-seronet le 13.09.2014
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Droit et socialpauvretéprécarité

"Etre pauvre, c’est avoir moins d’argent que les autres", rappelle d’évidence Martin Hirsch. Mais la thèse de cet essai attaque la pauvreté par un autre prisme, nettement plus inattendu : être pauvre, c’est aussi payer plus cher que les autres pour se loger, s’assurer, se soigner, téléphoner. C’est de là que vient le choix de ce titre à la fois accrocheur et provocateur. Derrière : une réflexion salutaire, un audit imparable et des solutions.

Derrière la formule, Martin Hirsch brosse le portrait d’une double peine de la pauvreté, un phénomène dont il rappelle qu’il n’est pas propre à la France, ni récent. Double peine dont, il s’en explique dans son intro, il explore les facettes, décortique les effets pervers des mesures censées être correctrices. Car il est là le paradoxe : en croyant bien faire l’Etat, les administrations, les acteurs sociaux dans leur ensemble ne comprennent pas cette double peine, la spirale de la pauvreté qui a cours et parfois même prennent des décisions qui y contribuent. Double peine qui s’illustre assez bien dans le domaine de la santé, où la pauvreté peut occasionner un surcoût de 20 %.

Reste à charge VS reste à vie

Dans son ouvrage, Martin Hisrch propose une description de la double peine. Il s’agit d’un "mécanisme qui pénalise ceux qui ont les revenus les plus faibles, qui les met dans une situation plus désavantageuse que celle que "justifierait" le simple écart de revenus. En matière de santé, c’est, selon Martin Hirsch, la sécurité sociale qui sait pratiquer la double peine et "tout particulièrement à l’encontre des malades les plus modestes". Dans ce chapitre Santé, l’auteur décrit le mécanisme du ticket modérateur (qui n’a pas ses faveurs) parce qu’il "devient un obstacle pour les patients les plus modestes". Il attaque aussi les franchises médicales, adoptées par le gouvernement auquel il appartenait, mais qu’il n’a pas soutenues. Comme d’autres experts, Martin Hirsch note que les forfaits, les franchises, etc. additionnés peuvent représenter, en moyenne, 20 % des dépenses de santé, soit environ 700 euros par Français et par an : le fameux reste à charge. Un reste à charge qui, lorsqu’il est élevé, diminue d’autant le reste à vivre. Dans sa démonstration, l’auteur affirme que dans un système censé assurer la "solidarité entre malades et bien portants", lorsqu’ils ne bénéficient pas de la CMU, les malades les plus pauvres supportent des coûts plus élevés que le reste de la population. La solution à ce problème, Martin Hirsch la tient : c’est celle du bouclier sanitaire (1), adossé à une réflexion sur les franchises.

La défense du bouclier sanitaire

Pour lui, on tient là "une réforme particulièrement efficace sur la double peine, neutre pour les finances publiques, indolore pour la majorité de la population (…) bénéfique pour les 20 % les plus modestes tant sur leur accès aux soins que sur leur niveau de vie". Le livre décrit évidemment les mécanismes qui se grippent, les arbitrages politiques défavorables et développe la question du "non recours" aux aides. Certaines aides sont sous utilisées, par des personnes qui y ont pourtant droit. En matière de santé, il en va ainsi de l’ACS (aide à l’acquisition d’une complémentaire santé) dont le taux de non recours a longtemps avoisiné les 80 %. L’ouvrage n’entend pas seulement faire de la description ou de l’analyse critique, mais il veut aussi faire des propositions. Car selon Martin Hirsch, la question n’est pas de donner plus d’argent, mais de donner mieux, plus pertinemment. De ce point de vue, l’exemple qu’il donne des aides au logement est frappant. Avec les mécanismes qu’il décrit et les effets pervers pointés, Martin Hisrch explique que si on donne 1 milliard d’euros d’aides au logement : c’est, au final, 60 millions d’euros qui soulagent directement les locataires et 940 millions qui augmentent les revenus des propriétaires. En fait, selon Martin Hirsch, on peut, à moyen constant, améliorer les conditions de vie des personnes les plus pauvres. Et l’ancien haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté de préconiser des changements de fond. Par exemple, de "compléter notre système de redistribution par un  système de paiement en fonction des revenus", avec la création d’un coefficient solidaire instrument d’une tarification en fonction du revenu applicable pour "l’ensemble des postes de dépenses susceptibles d’être concerné par des tarifs sociaux. Ces pistes-là, l’ouvrage en compte bien d’autres, sont à mettre en place de façon urgente car, comme le rappelle l’auteur, en France, 8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. "Le revenu moyen des 10 % les plus pauvres est de 800 euros par moins", explique-t-il.

Documenté, éclairant voire édifiant, cet essai fait à la fois la démonstration d’une certaine dinguerie réglementaire, d’un usage pas toujours raisonné des moyens financiers, mais aussi de l’existence de solutions qui pourraient avec des efforts et moins de cynisme de la part des politiques - le sort fait en quelques lignes à Laurent Wauquiez fait plaisir à lire - résoudre bien des problèmes. C’est à souhaiter, maintenant que l’ouvrage est sorti en poche, qu'il soit beaucoup lu et qu’il fasse école.

Cela devient cher d’être pauvre, par Martin Hirsch. Collection Points chez les éditions du Seuil. 6,30 euros.

(1) Le bouclier sanitaire a pour objectif d'instituer un plafond des restes à charge (RAC) supportés par les patients sur la dépense remboursable. En dessous du seuil, les tickets modérateurs et participations forfaitaires resteraient à la charge de l'assuré ; au-delà, l'assurance maladie lui garantirait une couverture intégrale.