Candidat-vaccin "muqueuses" prometteur : sa conceptrice explique

Publié par Renaud Persiaux le 15.02.2011
2 361 lectures
Notez l'article : 
0
 
vaccinétude
Evaluée chez cinq macaques femelles, une nouvelle stratégie vaccinale anti-VIH semble particulièrement efficace chez le singe. Son mode d’action : induire des anticorps protecteurs au niveau de la muqueuse du vagin. Des recherches préliminaires qui demandent à être confirmées et élargies à l’être humain, explique à Seronet Morgane Bomsel, la chercheuse française qui a dirigé l’étude.
Espoir.jpg

Ce n’est encore qu’un essai chez le macaque, mais elle en est encore bouleversée. 100 % de protection pour son candidat vaccin agissant au niveau des muqueuses, Morgane Bomsel ne s’y attendait pas. "Les cinq singes femelles [dont les mécanismes biologiques sont relativement proches de l’être humain, NDLR] chez qui nous avons utilisé ce candidat-vaccin ont été protégées, les cinq chez qui nous avons utilisée le placebo (un produit ne contenant aucun principe actif) ont été infectées, dans notre protocole qui consistait à exposer, plus de 13 fois, les muqueuses vaginales à de fortes doses de SHIV." Le SHIV ? "Ce virus de synthèse mélange des gènes de l’enveloppe du VIH et ceux du SIV, le virus de l’immunodéficience simien", explique-t-elle.
C’est la première fois qu’un vaccin parvient à induire une protection au niveau des muqueuses, là où ont lieu les toutes premières étapes de l’entrée du virus dans l’organisme. Deux domaines dont la biologiste du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’Institut Cochin (CNRS, Inserm, Université Paris Descartes) est une des rares spécialistes à l’échelle internationale.

Gp41
L’histoire démarre il y a quatre ans. Morgane Bomsel identifie, dans une cohorte cambodgienne de couples sérodifférents et de prostituées, des femmes qui restent séronégatives bien qu’elles soient fréquemment exposées au VIH (dans le jargon des scientifiques, on parle d'"exposées non infectées").
L’équipe repère que ces femmes possèdent des anticorps dirigés contre un fragment bien particulier de la protéine gp41 du virus, qui semblent protecteurs contre l’infection par le VIH alors que la majorité des anticorps habituellement produits lors d’une exposition au virus ou à des fragments du virus ne le sont pas.

Haute précision
Ce sont ces fragments de gp41 que l’équipe a introduits dans son candidat-vaccin. Du grand art : ce dernier a été conçu par l’équipe sur la base de connaissances très poussées des propriétés moléculaires de ses composants. Et surprise, l'un d'eux est proche du T20 (Fuzeon), cet antirétroviral qui s’administre par injection sous-cutanée ! "C’est un fragment légèrement différent, et c’est cette petite nuance qui permet de conférer une  protection à notre vaccin", explique la chercheuse.
Deux entreprises sont impliquées : Mymetics, qui fournit d’autres fragments de gp41, et Pevion Biotech, qui fabrique le vecteur vaccinal à base de lipide, conçu pour induire la protection au niveau des muqueuses, vecteur dans lequel les fragments de gp41 sont introduits.
Le candidat fait l’objet d’un brevet entre l’Inserm et les deux sociétés de biotechnologie. "Les grands laboratoires sont intéressés, mais rien n’est concrétisé", souligne la chercheuse.

Spray nasal
Son mode d’administration ? Deux injections intramusculaires et deux administrations par spray nasal. Pourquoi ? "Pour avoir une réponse au niveau des muqueuses, il faut que le candidat-vaccin soit administré au niveau d’une muqueuse. Or, chaque muqueuse est inductrice des autres muqueuses à laquelle elle est reliée. S’il n’y a pas d’aiguillages pour tout, on sait qu’il y a une voie entre le nez et le vagin, et que les anticorps produits au niveau local dans le nez circulent jusqu’au vagin. L’intramusculaire, elle, booste le système et est aussi reliée au vagin". Une manière d’amplifier la réponse.


Quid de la vraie vie ?
Ces premiers résultats sont prometteurs certes, mais des incertitudes demeurent.
D'abord, les essais ont été menés sur des muqueuses "saines", non abimées (les "brèches" favorisent l’entrée du virus dans l’organisme), et sans présence de sperme, dont on ignore s’il sera un facteur protecteur (car il rend la muqueuse moins perméable au virus) ou au contraire favorisant l’infection (car il attire les cellules immunitaires qui sont les cibles du VIH). "On ne sait pas encore ce qu’il en sera dans la vraie vie", souligne la chercheuse.
Ensuite, il ne s’agit que d’une étude portant sur un très faible nombre d’animaux (uniquement cinq) et sur seulement six mois. Il n’est pas certain qu’avec un nombre plus important d’animaux, le niveau de protection observé aurait été le même, et encore moins que la protection se maintiendra dans le temps. Rappelons qu’au cours des passages du modèle macaque à l’être humain, de nombreux candidats vaccins ont été abandonnés, et rien ne permet d’affirmer que l’effet protecteur se maintiendra chez la femme, même partiellement.
Reste que sur la base des résultats sur l’animal, une étude de phase 1 a été menée chez la femme. Elle visait à évaluer la façon dont le vaccin est toléré et à vérifier si les anticorps espérés ont bien été produits. "Les résultats devraient être connus en mars-avril 2011", avance Morgane Bomsel. Une première étape vers d’éventuels essais visant à évaluer la protection conférée.


Une étude chez le macaque mâle
Autre question : le vaccin sera-t-il efficace sur la muqueuse rectale, dont la biologie est légèrement différente (elle est composée d’une seule couche de cellules quand la muqueuse vaginale en comporte plusieurs) ? L’équipe sait déjà qu’une réponse anticorps est produite au niveau du rectum, mais n’a pas d’infos sur l’efficacité. "On n'a aucune raison de penser que ça ne marchera pas", souligne la chercheuse.
Pour s’en assurer, l’équipe va très rapidement débuter une nouvelle étude : les financements de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales ont été obtenus, et le premier singe mâle a été sélectionné. Mais le temps de faire les études, les réponses définitives n’arriveront pas avant 2013. Et encore ne s’agira-t-il que des premières données sur l’animal.


Et Chez Les hommes actifs ?

S’il pourrait y avoir une protection sur la muqueuse de l’urètre [le conduit de la verge où passent le sperme et l’urine], on n’attend pas de protection au niveau du prépuce [la peau qui protège le gland]. Et ce, en raison "de mécanismes biologiques différents, car il n’y pas de cellules productrices d’anticorps sur le prépuce. Il faudrait agir par des biais différents, au niveau des cellules de Langherans par exemple, explique la chercheuse. Mais à vrai dire, les étapes allant de l’entrée du virus par le prépuce à l’infection de l’organisme sont encore très mal connues."

25 ans d’effort de recherche
Quoi qu’il en adviendra, "cette découverte ouvre une voie supplémentaire, analyse Franck Barbier, responsable santé à AIDES. Elle est le fruit d’un effort de recherche prolongé et conjugué au niveau international depuis 25 ans, ce qui souligne que malgré les énormes difficultés, les recherches vaccinales doivent se poursuivre… pour les vaccins préventifs bien sûr, mais aussi pour les vaccins thérapeutiques". Mais on reviendra sous peu sur ce dernier point.


Pour plus d’infos, notamment sur le détail du fonctionnement du vaccin : lire le communiqué sur le site de l’ANRS.

L’étude (en accès payant) :
Morgane Bomsel et al., "Immunization with HIV-1 gp41 Subunit Virosomes Induces Mucosal Antibodies Protecting Nonhuman Primates against Vaginal SHIV Challenges", Immunity 34, 1–12, February 25, 2011 : DOI 10.1016/j.immuni.2011.01.015

Commentaires

Portrait de Medhi94

Bonjour, Quid des personnes déjà infectées?