Cannabis : dégâts ou débat ?

Publié par jfl-seronet le 22.05.2021
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Produitscannabis

La toute récente publication du rapport de la mission d'information parlementaire sur le cannabis récréatif entend dépassionner le débat sur une « légalisation régulée » de ce produit, voire d’en faire le sujet d’un grand débat citoyen et possiblement celui d’un référendum. Pas sûr que cela arrive dans le contexte actuel et l’opposition radicale affichée par l’exécutif sur le sujet.

Une mission d’information parlementaire

C’est en janvier 2020 qu’est créée la mission d'information Cannabis. Elle est présidée par le député (LR) Robin Reda. Son champ est vaste puisque ses travaux portent sur « la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis ». La mission a pour objectif de couvrir les trois types d’usage du cannabis (thérapeutique, bien-être et récréatif) et d’explorer les enjeux qui touchent la filière du chanvre en France. En septembre 2020, un premier rapport d’étape est publié. Il traite du cannabis thérapeutique, dont une expérimentation est en cours en France, sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Suit un rapport sur le « chanvre bien-être » (cannabidiol, composé du cannabis sans effet stupéfiant), publié en février dernier. Le 5 mai dernier, est publié le rapport consacré au cannabis dit « récréatif » rapportée par la députée (LaREM) Caroline Janvier. À l’instar des deux rapports précédents, le dernier a été réalisé à partir de travaux assez longs qui ont consisté en des auditions (magistrats-es, policiers-ières, experts-es, addictologues mais aussi élus-es locaux-les ou personnalités politiques). Par ailleurs, la mission d’information a considéré que cette « réflexion » ne pouvait « être envisagée sans une écoute attentive des attentes » des citoyens-nes. Une « consultation citoyenne » a donc été organisée entre le 13 janvier et le 28 février 2021 pour mieux comprendre la perception du cannabis qui est aujourd’hui celle des Français-es et leur « vision de l’avenir des politiques publiques en la matière ».

La consultation citoyenne a parlé

Gros succès, puisque près de 253 194 personnes y ont participé. Plus de neuf personnes sur dix (92,07 %) ne pensent pas que le dispositif actuel de répression de la consommation de cannabis permette d’en limiter l’ampleur (contre 4,37 % qui ont répondu par l’affirmative). Plus de neuf personnes sur dix (92,09 %) ne pensent pas que le dispositif actuel permette de lutter efficacement contre les trafics (contre 2,65 %). De plus, huit personnes sur dix (80,80 %) se prononcent en faveur de la légalisation du cannabis et moins d’une sur cent (0,82 %) en faveur d’un maintien de la législation en vigueur (contre 4,56 % pour son durcissement et 13,82 % pour la dépénalisation du cannabis). « On sait désormais que la légalisation du cannabis n’est plus un tabou en France et que nos concitoyens font le constat de l’inefficacité de la législation actuelle en la matière », commente alors la députée Caroline Janvier. Ces avis ont manifestement imprégné les recommandations du rapport parlementaire.

Le rapport prône une « légalisation régulée »

Légaliser le cannabis pour « reprendre le contrôle » face aux trafiquants-es et mieux protéger les mineurs-es : c'est ce que recommandent les députés-es de la mission parlementaire. « La prohibition adopte depuis cinquante ans un objectif inatteignable, sans jamais avoir les moyens de ses ambitions. Une légalisation régulée, c'est le meilleur moyen de reprendre le contrôle et de protéger les Français », résume la députée Caroline Janvier, lors de la sortie du rapport. « L'État assiste de manière impuissante à la banalisation du cannabis chez les jeunes et à la détérioration de la sécurité » malgré une « politique répressive française qui coûte cher et mobilise à l'excès les forces de l'ordre », notent les députés-es. Le budget alloué à la police, à la gendarmerie et aux douanes pour la lutte antidrogue a quasiment doublé entre 2012 et 2018 pour atteindre 1,08 milliard d'euros annuels, remarquent-ils-elles. Pourtant, la France reste championne d'Europe de la consommation de cannabis, avec cinq millions d'usagers-ères annuels-les et 900 000 fumeurs-ses quotidiens-nes. En léger recul, la consommation des mineurs-es reste deux fois supérieure à la moyenne européenne. Le rapport constate un « échec » sanitaire patent, malgré une politique qui cible plus les personnes consommatrices de cannabis que les trafiquants ». Ainsi sur les 160 000 infractions à la législation sur les stupéfiants relevées en 2020, 81 % concernent l'usage.

Le rapport entend faire, au passage, un sort au « mythe » d'une France qui serait parmi les plus répressives d'Europe. Si l'usage de drogues est passible d'un an de prison et de 3 750 euros d'amende, l'immense majorité des consommateurs-rices écope tout juste d'un rappel à la loi ou d'une amende. Quant au trafic, la moyenne des peines prononcées pour la détention de 10 kilos de cannabis classe la France comme... le troisième pays européen le moins répressif. Les députés-es de la mission dénoncent donc « l'hypocrisie des discours de fermeté régulièrement tenus », mais surtout ils-elles expliquent que ce n’est pas la voie à suivre. Bien entendu, il n’a pas échappé aux parlementaires que le président Emmanuel Macron a récemment fait de l'éradication des trafics de stupéfiants « la mère des batailles », ni le fait que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin salue sur Twitter chaque « démantèlement » de « point de deal », mais cette stratégie qui s’appuie sur le plan anti-stupéfiants et l'instauration depuis septembre 2020 d'une amende forfaitaire pour usage de drogues de 200 euros semble, aux yeux des députés-es « condamnée à échouer comme les précédentes ». Le rapport critique l’actuelle politique de prévention, qu’il juge insuffisante et prône une « légalisation régulée ». En cas de légalisation, les recettes fiscales pourraient atteindre « deux milliards d'euros », montant qui pourrait être investi dans la prévention, arguent les députés-es. « Nous proposons une vraie politique de réduction des risques et d'arrêter de faire la guerre à l'usager pour réorienter réellement la police vers la lutte contre les trafics », insiste Caroline Janvier. Dans cette perspective, le rapport analyse la légalisation en cours au Canada et dans quinze États américains, qui semblent se traduire par une baisse de la consommation des mineurs-es et une réduction du « marché noir ». L’objectif est clairement de montrer que les stratégies mises en œuvre à l’étranger peuvent et doivent inspirer aux gouvernants-es français-es une autre politique. Politique qui pourrait déboucher sur une « modèle français de légalisation réglementée ». Évidemment, cela pose de nombreuses questions. Quel prix fixer pour concurrencer les trafiquants-es ? Dans quels lieux permettre l'usage ? Faut-il créer des boutiques interdites aux mineurs-es, qui accèdent trop facilement à l'alcool et au tabac en France ? Comment réinsérer les « petites mains » du trafic ? Les questions sont nombreuses. Pour les trancher, les députés-es préconisent un débat national à l'Assemblée, une convention citoyenne comme pour le climat, voire un référendum.

Un débat, quel débat ?

Faut-il légaliser le cannabis ? Le débat est donc, une nouvelle fois, ouvert. Le rapport de la mission d’information fait le pari que son travail devrait permettre de « dépassionner » ce débat, qui traverse désormais toutes les familles politiques. Rien n’est moins sûr, car l’exécutif a une conception précise du débat sur le sujet. Ainsi, le président de la République, Emmanuel Macron, exclut tout changement législatif et réclame plutôt « un grand débat national sur la consommation de drogues et ses effets délétères ». Ce qui donne le ton. Dans une récente interview au Figaro, il expliquait précisément : « J’évoquais les amendes forfaitaires pour sanctionner la consommation. Je crois qu’il faut aller encore plus loin, provoquer une prise de conscience. À l’inverse de ceux qui prônent la dépénalisation généralisée, je pense que les stups ont besoin d’un coup de frein, pas d’un coup de publicité. Dire que le haschisch est innocent est plus qu’un mensonge. Sur le plan cognitif, les effets sont désastreux. Combien de jeunes, parce qu’ils commencent à fumer au collège, sortent totalement du système scolaire et gâchent leurs chances ? Et je ne parle même pas des effets de glissements vers des drogues plus dures. La France est devenu un pays de consommation et donc, il faut briser ce tabou, lancer un grand débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères. Ceux qui prennent de la drogue - et cela concerne toutes les catégories sociales - doivent comprendre que non seulement, ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics. On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité…».

De son côté, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a réaffirmé avec force sa volonté de lutter contre les trafics. Dans une interview au Journal du Dimanche, fin avril, le ministre expliquait que « le cannabis est devenu une drogue dure. Il rappelait qu’il avait fait de la lutte contre les trafics de stupéfiants sa priorité. Sur le volet répressif, il affirmait que les services de police avaient mené depuis janvier « plus de 1300 opérations de démantèlement des points de deal », avec « des saisies importantes et régulières » à la clef. Il notait aussi que « plus de 70 000 amendes pénales » avaient été délivrées à des consommateurs-rices depuis le 1er septembre, date de leur généralisation en France. Les prises de position du rapport des parlementaires et plus globalement la vision qui les sous-tend sont aux antipodes de la lutte antidrogue défendue par le gouvernement. « La droite n'évoluera pas du tout là-dessus dans le débat présidentiel, Emmanuel Macron non plus », a d’ailleurs regretté auprès de l'AFP le député LR Robin Reda, qui a présidé cette mission. « On est sans doute sur un sujet post-2022 ». Quoiqu’il en soit des élus-es s’en saisissent maintenant à quelques mois du vrai démarrage de la campagne présidentielle. Une poignée de députés-es LR ont ainsi participé à la mission parlementaire, présidée par Robin Reda. Dans un communiqué commun, ils estiment qu'une légalisation « n'est pas possible », car « nous n'avons pas suffisamment de recul sur les expériences étrangères ». Pour autant, ils réclament « un débat national » pour sortir de l'impasse actuelle. Certains maires LR ont eux ouvertement franchi le guet. « Ce n'est plus une question d'être de droite ou de gauche », note Arnaud Robinet, maire LR de Reims, cité par l’AFP. L'ancien député reconnaît avoir « changé d'avis » depuis son arrivée à la tête de la ville. Légaliser, « c'est le moyen de contrôler le produit et d'avoir des recettes pour réorienter la police vers la lutte contre le trafic et pour donner de vrais moyens à la prévention », estime-t-il.

On a donné les clés aux trafiquants

Expert sur les questions d’usage de drogues et juriste, Renaud Colson, qui vient de publier avec le sociologue Henri Bergeron le livre Faut-il légaliser le cannabis ?) (1), rappelait dans une récente interview à l’AFP, que si « la répression est montée en charge depuis les années 90 en France », la consommation n'a pas diminué. « L'efficacité de la répression est extrêmement relative. Elle s'attaque surtout aux jeunes des quartiers populaires, est quasiment indolore pour les autres usagers de cannabis, et est tout à fait marginale par rapport à l'ampleur de la consommation (…) Malgré un discours très répressif, la réalité c'est qu'on ne contrôle rien et qu'on a donné les clés aux trafiquants ». Et le juriste de défendre cette idée : « Une légalisation contrôlée avec un cadre strict peut être beaucoup plus rigoureuse que cette prohibition mal appliquée. Cela peut permettre de progresser en termes de santé publique et de sécurité, avec l'objectif d'affaiblir le marché noir, qui ne disparaîtra pas complètement mais peut être réduit. On pourrait limiter la dangerosité du cannabis en garantissant sa qualité et en limitant les formes plus puissantes apparues ces dernières années. Cela améliorerait aussi l'accès aux soins des usagers problématiques : à l'heure actuelle, ils se voient comme des criminels et ont tendance à s'éloigner des institutions sanitaires, perçues comme l'antichambre du tribunal. On pourrait aussi mener une véritable politique de réduction des risques auprès des jeunes, en réorientant le budget de la lutte contre le cannabis, aujourd'hui consacré à 70 % à l'effort policier, à 20 % à la justice, et seulement à 10 % à la prévention. Cela pourrait enfin permettre de créer des emplois et peut-être de ramener certaines petites mains du trafic dans la légalité. Mais il ne faut pas fantasmer cet aspect-là: la légalisation du cannabis ne va pas résoudre la question sociale, et l'envisager comme un outil économique risquerait de créer un État dealeur, qui promeut le produit au lieu de l'encadrer ».

(1) : Faut-il légaliser le cannabis ? Renaud Colon et Henri Bergeron. Collection pour les Nuls. Éditions First. 8,95 euros.

Commentaires

Portrait de mountains

Quel boucan pour une pauvre plante soporifique ! Addictive , certe comme les médicaments , l'alcool ,le café....

Encore un nouveau sujet pour déclencher haines et passions , alors qu'il serait tellement simple de le gérer...

Le problème est sociaux économique , l'argent que cela génère ,oui mais le vrai problème c'est la crise de l'emploi , pas de travail , pas de revenus , on traine et après on cherche une échappatoire , ceci ou cela , et une fois enfoncé , défoncé , joint du matin poil dans la main ! Lol ! Ne vous leurrez pas  , certains de ceux qui profitent du butin que cela rapporte sont souvent en haut de l'échelle , mais aussi ceux plein de haine avec des idées destructrices....Que de temps perdu , que de belle énergie gachée , car le temps vous rattrappe toujours , mais vous vous ne pourrez pas le rattrapper , c'est perdu d'avance, un mauvais gaz !