« Ce que nous faisons ne suffit pas »

Publié par Costa le 01.12.2008
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1er décembre 1988 – 1er décembre 2008 : la journée mondiale de lutte contre le sida fête aujourd’hui ses 20 ans. L’occasion de demander à Onusida de dresser le bilan des 20 dernières années. Une interview à l’origine destinée à Peter Piot, son directeur, finalement concoctée par différentes petites mains pour cause d’emploi du temps surchargé. Transcription multilangues… .
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La manifestation du 1er décembre fête cette année ses 20 ans. Quel bilan peut-on en tirer ?
Aujourd’hui, des millions de gens à travers le monde célèbrent le 20e anniversaire du 1er décembre. Pour certains, ce sera le seul jour de l’année auquel ils penseront au sida. Pour d’autres, en revanche, ce n’est qu’un jour comme un autre de leur vie quotidienne. Depuis 1988 et l’appel de l’OMS pour que chacun participe à l’effort global pour la première journée mondiale, le sida est devenu un des enjeux de notre époque. L’épidémie s’est généralisée et féminisée. En 1988, la plupart des cas de sida ne concernaient que les États-Unis et essentiellement des hommes. Désormais, le VIH est présent dans tous les pays du monde et la moitié des personnes atteintes sont des femmes.

La réponse aussi s’est généralisée. L’an dernier, les États membres des Nations unies se sont engagés à accroître l’accès la prévention, aux traitements, à la prise en charge et aux soins. Plus de 2,5 millions de personnes reçoivent aujourd’hui un traitement antirétroviral dans les pays en développement, et dans de nombreux pays, les infections diminuent.

Le challenge, c’est désormais d’arriver à maintenir le sida en haut de l’agenda et d’amplifier les actions au niveau national et local. Tout ralentissement de cet effort global serait fatal. Car si l’épidémie a pris de telles proportions, c’est précisément parce qu’il a fallu si longtemps au monde pour agir. Et même si les progrès commencent à se faire ressentir, beaucoup reste encore à faire.

Ses réussites et ses échecs ?
Au cours des 5 dernières années, 4 millions de personnes ont commencé à prendre des traitements antirétroviraux qui sauvent la vie dans les pays en développement. Des traitements qui n’existaient pas en 1988 lors de la première journée mondiale. Dans le même temps, les programmes de prévention ont commencé à porter leurs fruits, et on assiste à une diminution du nombre d’infections. Certains pays ont également franchi des étapes importantes pour satisfaire les besoins des usagers de drogues, des homosexuels, des prostitué(e)s, des migrants et d’autres groupes de population « difficiles à atteindre ».

Mais il reste bien d’autres montagnes à déplacer. Il faut trouver les moyens de poursuivre ce qui a été commencé, et de maintenir l’élan en ces temps de crise économique et financière. Ce que nous faisons ne suffit pas, que ce soit en termes de prévention ou de traitement. Le sida est un phénomène complexe qui nécessite une réponse sur le long terme et des actions incluant la défense des droits de l’homme, la lutte contre l’inégalité des genres, ou le renforcement des systèmes sociaux et de santé.
Il y a vingt ans, 10 millions de personnes vivaient avec le VIH. Leur nombre a aujourd’hui plus que triplé et va continuer à augmenter.

En 1998, la XIIe conférence mondiale sur le sida avait pour slogan « Bridging the gap ». Le fossé entre le Nord et le Sud ne s’est-il pas depuis plutôt creusé ?

De plus en plus de gens ont accès aux traitements, plus que jamais auparavant. Plus de 3 millions de personnes ont bénéficié d’un traitement VIH en 2007, dont plus de 2 millions en Afrique subsaharienne. De 1% en 2003, le taux d’accès au traitement en Namibie est passé à 88% en 2007, de 3 à 71% sur la même période au Rwanda. Avec des bénéfices indéniables pour les pays africains : les gens vivent plus longtemps en meilleure santé avec une meilleure qualité de vie. Ils continuent à être productifs au travail et pour la communauté, diminuant ainsi le risque de voir les ménages tomber dans la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Des progrès importants ont également été réalisés dans la prévention de la transmission de la mère à l’enfant, avec une extension des taux de couverture des programmes dans de nombreux pays comme le Botswana, l’Afrique du Sud, la Namibie ou le Swaziland. Autant de progrès qui constituent des retours sur investissements de différents fronts, en particulier la prévention et les traitements, et qui montrent qu’avec un engagement continu, les pays peuvent faire face aux défis posés par l’épidémie en matière de développement.

Mais malgré ces succès, l’épidémie continue à devancer la réponse, et le sida est toujours la première cause de mortalité en Afrique. Au sud du continent, l’espérance de vie à la naissance est ainsi retombée à celle qu’elle était dans les années 50 : moins de 50 ans. Et les chiffres sont sans appel : 67% des personnes touchées par le VIH dans le monde et presque 90% des enfants vivent en Afrique subsaharienne. Au Botswana et au Zimbabwe, un tiers des décès d’enfants de moins de 5 ans est lié au VIH.


(plus d'infos en anglais sur le site de l'Onusida dans l'article "The AIDS response: Relationship to development in Africa" )



De plus en plus de pays pénalisent la transmission du VIH. Quelle est la position d’Onusida sur ce sujet ?
La criminalisation de comportements sexuels adultes et la violation des droits des personnes atteintes entravent la lutte à travers le monde. Onusida exhorte les pays à abandonner les politiques qui rendent difficile l’accès à la prévention et aux traitements pour adopter des lois qui protègent les gens contre les discriminations, la coercition, et l’ingérence dans leur vie privée. Quelles qu’elles soient, toutes les formes de restriction qui touchent les personnes atteintes (entrave aux déplacements, surveillance des mouvements, criminalisation de la transmission) ne répondent pas aux impératifs de santé publique. Elles peuvent écarter les personnes touchées de la société et faciliter transmission du VIH dans les années à venir. Certains pays et autorités locales ont récemment envisagé de faire de l’homosexualité un crime, de recourir à des puces électroniques pour surveiller les personnes atteintes, de rendre le dépistage obligatoire, ou de réhabiliter de force les prostituées et les usagers de drogues. Des mesures qui ont un impact négatif sur les programmes de prévention et l’accès au traitement des personnes atteintes. Outre qu’elles violent les droits des individus, elles stigmatisent ces populations. À l’inverse, les lois qui luttent contre la stigmatisation et la discrimination, qui protègent la vie privée et qui promeuvent l’égalité des genres et des sexes sauvent des vies. Les pays qui prônent la non-discrimination à l’égard des homosexuels, des usagers de drogues et des prostitué(e)s remportent de meilleurs résultats dans leurs efforts de prévention. Or seuls 26% des pays disposent de lois protégeant les homosexuels. Parallèlement, 84 pays interdisent le même comportement.

La discrimination dont sont toujours victimes les personnes atteintes et certaines catégories de population ne constitue-t-elle pas finalement un des plus gros revers de la lutte contre l’épidémie ?
La stigmatisation et la discrimination demeurent les principales barrières à un accès universel à la prévention, aux traitements, aux soins et à la prise en charge des personnes atteintes. Elles peuvent inciter les gens à éviter de se faire dépister et conseiller, tandis que la peur de la violence, du rejet et d’autres répercussions négatives peut légitimement conduire les personnes atteintes à ne pas révéler leur statut à leur partenaire. Il faut des campagnes, des programmes et des lois pour vaincre la stigmatisation et la discrimination, deux facteurs essentiels d’une réponse globale face au sida.
Mais beaucoup reste encore à faire pour créer un environnement légal réellement protecteur. Si le nombre de pays disposant de lois protégeant les personnes atteintes contre la discrimination s’est accru depuis 2003, de telles législations manquent encore dans un tiers des pays. Même lorsqu’elles existent, la manière de les appliquer n’est en outre pas toujours très claire, et malgré l’existence de ce cadre légal favorable, certains pays font actuellement face à un accroissement des poursuites judiciaires pour transmission du VIH.
(pour plus d'info, voir le document en anglais :"Criminalization of HIV TransmissionCriminalization of HIV Transmission")

Quels sont les grands combats qu’il reste à mener et les priorités d’action pour Onusida dans les années à venir ?
Les ressources destinées à la lutte souffrent encore d’un sérieux déficit, et la stigmatisation et la discrimination entourant la maladie continuent à prévaloir. Avec pour conséquence que les deux tiers des personnes nécessitant un traitement antirétroviral n’y ont toujours pas accès. Moins d’une personne sur 10 ayant un risque de contracter l’infection a aujourd’hui les moyens de s’en protéger.


Mais poursuivre la mobilisation et renforcer les actions contre le VIH n’est pas du seul ressort des politiques. Cela implique les leaders religieux, la communauté, les représentants de la jeunesse, les décideurs et les responsables syndicaux, mais aussi les personnes atteintes, leurs familles et leurs amis. Chacun d’entre nous doit donner l’exemple pour combattre la stigmatisation et la discrimination, et plaider pour un accroissement des ressources destinées à lutter contre la maladie. Seule l’aide de tous permettra d’agir contre le sida tous les jours de l’année et d’atteindre l’objectif d’un accès universel à la prévention, au traitement, au soin et la prise en charge.