Les Anges des Lombards : un livre qui pulse

Publié par Rédacteur-seronet le 27.10.2022
3 395 lectures
Notez l'article : 
5
 
0
Cultureannées 80

Septembre 2022, un immeuble près de Bastille. François Gilloire nous reçoit chez lui dans un appartement au septième  étage qui donne sur les toits de Paris. Il nous montre le tout premier exemplaire de son récit Les Anges des Lombards, qu’il a reçu, la veille, de la part de son éditeur. « J’en suis très fier », confie l’auteur. Ce lecteur de Remaides est en contact avec la rédaction depuis plus d’un an et il a partagé avec nous le manuscrit de ce récit longtemps avant sa sortie. Seronet l’a rencontré.

Photo Nina Zaghian

Comment est né ce projet ? Quel a été votre processus d’écriture ?

François Gilloire : Ce projet est né il y a très longtemps. À la fin des années 90, quand les traitements VIH efficaces sont arrivés, j’ai repensé à tous mes amis morts du sida dans les années 80. On a des témoignages de grandes personnalités, artistes, écrivains de cette époque, mais ce qu’on appelle les « petites gens » sont passés à la trappe, personne ne s’en souvient… Mes amis serveurs n’étaient pas destinés à ce qu’on leur rende hommage dans un livre. C’étaient des anonymes, mais pour moi, c’étaient des personnes extraordinaires et je me suis promis de leur rendre hommage. J’ai commencé à écrire leurs portraits puis j’ai abandonné le projet. Je l’ai repris, il y a une dizaine d’années. Ce fut un long processus, presque dix ans, et ce qu'il contient a été raffiné, pesé, et réécrit de nombreuses fois pour arriver à ce résultat. J'ai été soutenu, émulé par des remarques importantes, et mon ami Emmanuel m'a aidé dans mes relectures et corrections à mettre en place la plus grande fluidité possible. Mais je sens que ce sont surtout ces Anges qui m'ont inspiré et que leur rendre hommage était aussi exigeant que riches étaient leurs personnalités et leurs histoires.

On sent beaucoup de tendresse dans votre façon de décrire ceux que vous appelez « ma nouvelle famille ». Comment décririez-vous les liens qui se sont créés dans cette équipe ?

Cette brasserie, c’était le premier lieu où je pouvais être homosexuel ouvertement parce que beaucoup de mes collègues étaient homos eux aussi, et notre patron nous laissait cette liberté. À cette époque, on passait continuellement notre vie à cacher notre homosexualité. Dans la famille, à l’école, au travail, il fallait se cacher et mentir en permanence. Cette équipe est devenue une famille, un clan très soudé et ce lieu de travail : un espace de liberté. Les Halles à l’époque, c’était le quartier branché de Paris. Il y avait un mélange improbable dans nos clients : des homos, des travailleuses du sexe, des lesbiennes, des fêtards BCBG, des dealers, etc. Mes collègues étaient très attachants, mais, en même temps, on ne se faisait pas de cadeau. Le travail de serveur est intense, les horaires étaient durs, mais des liens très forts se sont tissés. Il n’y avait pas d’ordinateur à l’époque alors il fallait crier les boissons au barman et tout un ballet se mettait en place entre la cuisine et les serveurs. Durant le service on rigolait beaucoup. Ce récit est dramatique mais aussi plein de vie, c’est un livre qui pulse !

Le récit se passe principalement entre 1982 et 1989, à plusieurs reprises vous citez des bars, soirées ou artistes LGBT qui ont marqué cette époque que vous qualifiez d’« illusoire heure de gloire » pour la communauté gay. Quel regard portez-vous sur cette période, 35 ans après ?

Cette époque correspond au début des Halles, du Marais et à l’élection de François Mitterrand. Un vent d’espoir et de liberté soufflait sur la communauté homosexuelle. Quand je cite Gai Pied [journal LGBT édité de 1979 à 1992, ndlr], les Bains Douches ou le Palace, c’est un travail de mémoire sur cette période. C’était notre vie. Je cite aussi la création de AIDES en 1984, ce sont des étapes importantes. Le sida est arrivé, comme quelque chose d’implacable, au moment même où la communauté gay commençait à s’émanciper pleinement. Dans mon livre, je parle de la force des exclus car on avait déjà combattu et survécu à l’exclusion et l’homophobie depuis notre enfance et maintenant il fallait lutter contre ce virus. Il ne faut pas oublier tout ce que la lutte contre le VIH a apporté à l’ensemble de la société et particulièrement à la lutte pour les droits des personnes LGBT. Tout à coup, la société s’est rendue compte que les couples homosexuels n’avaient pas les mêmes droits notamment après le décès d’un conjoint. Les avancées LGBT, depuis 40 ans, je trouve ça extraordinaire même s’il faut rester vigilant sur les reculs de droits. On était quelques centaines aux premières Gay Pride. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de milliers de personnes.

L’arrivée du dépistage VIH en 1985 est un moment de bascule dans le récit. En quoi ce qui semble être un acte banal en 2022 était un acte déterminant ?

Le simple fait d’écouter cette question m’émeut et j’ai senti ma respiration se coincer. Avant le dépistage, on ne savait pas si on était séropositif et souvent on le découvrait en « stade sida » quand la personne était hospitalisée et qu’il n’y avait plus d’espoir. L’arrivée du dépistage était une avancée médicale, mais, pour nous, c’était un moment de grande angoisse. Un résultat positif, c’était une double peine. Non seulement, on allait mourir, mais on avait peut-être aussi contaminé d’autres personnes. Il y avait aussi le poids du secret. À qui le dire ? À qui faire confiance ? Annoncer sa séropositivité, c’était de nouveau sortir du placard.

Dans votre récit, les passages sur la fin de vie sont particulièrement poignants sans être jamais pathos. On sent un rapport avec la mort très apaisé…

Le drame du sida, c’est qu’il fallait envisager la mort à un âge où on déborde de vie. Il y a quelque chose d’universel dans la maladie et la mort. Qu’on soit croyant ou non, il y a une forme de spiritualité qui se manifeste dans les derniers instants de la vie. Dans mon livre, elle se manifeste par l’amitié et par des échanges qui sont primordiaux dans l’existence d’un être humain. Dans ces accompagnements de fin de vie, on a vécu quelque chose d’extrêmement enrichissant, une sorte de rituel avec beaucoup d’humanité et de dignité de chaque côté.

La rentrée littéraire est marquée par la sortie du roman « Les Enfants endormis » d’Anthony Passeron, qui traite du VIH/sida dans les années 80. D’autres fictions récentes comme les séries Pose ou It’s A Sin reviennent aussi sur cette période. Que vous inspire ce travail de mémoire ?

Je trouve ça génial et plus il y aura de témoignages, d’œuvres et de récits mémoriels, mieux ce sera. Ce sont des mémoires manquantes, il y a vraiment des cases vides sur cette période ; comme le tout début de l’épidémie dans les années 80. Soit les personnes concernées sont mortes, soit elles ont survécu, mais c’est un tel traumatisme qu’elles n’ont pas toujours la force ni l’envie de se replonger dans ces souvenirs. Il faut toujours du temps pour reparler d’un trauma. Un des personnages que j’appelle « Amir » dans le livre, et avec qui je suis toujours ami, a lu une des premières versions du manuscrit et sa première réflexion a été « François, on a oublié cette peur. On a refoulé ces souvenirs ». C’était trop dur de perdre autant d’amis à un si jeune âge. D’ailleurs, certains ont quitté Paris pour se reconstruire ailleurs.

Vous utilisez votre vrai prénom en tant que narrateur, mais votre propre séropositivité est à peine évoquée dans ce récit. Pourquoi ce choix ?

Ça serait un autre livre. Je suis séropositif depuis quarante ans, mais je ne voulais pas raconter « mon sida ». C’est une autre perspective, une autre histoire. Et puis ce type de témoignage existe déjà. Avec ce livre, je voulais vraiment rendre hommage à mes amis disparus et être le plus honnête et fidèle possible, ne pas les caricaturer. J’ai écrit en me disant que s’ils revenaient, ils pourraient valider mon récit. J’ai changé leur prénom et le nom de la brasserie mais tout le reste est vrai. Je n’ai pas voulu me mettre en avant, mais ma personnalité se glisse par bribes dans le récit.

Propos recueillis par Fred Lebreton

 

Les Anges des Lombards, un hommage à la vie
Dans ce récit, François Gilloire raconte comment le VIH/sida s’est s’immiscé dans sa vie et celle de ses collègues, devenus amis. Le récit se situe entre 1982 et 1989 dans une célèbre brasserie parisienne, rue des Lombards, où le narrateur travaille comme serveur. L’auteur dépeint, avec force et émotion, l’incrédulité de cette bande d’amis gays touchée de plein fouet par ce mystérieux virus, mais aussi la solidarité qui se met en place. Le déni, la peur, les secrets difficiles à partager et le deuil deviennent le quotidien de cette troupe soudée. Avec beaucoup de tendresse et d’humanité, François Gilloire, lui-même séropositif depuis quarante ans, rend un hommage vibrant et bouleversant à ses amis emportés par le sida. Ce premier récit réussi est à la fois une fresque pleine de vie et un témoignage précieux de ce que furent les premières années de l’épidémie de VIH à Paris, dans la communauté gay. La photographie recollée d’une galerie de personnages décimés par le sida qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre, aimer, danser et s’entraider. Au final, Les Anges des Lombards est un hommage puissant à la vie et à l’amitié (Éditions Librinova, 13,90 euros).

 

François Gilloire
Né en 1958, l'auteur a toujours vécu à Paris. Il a travaillé une dizaine d’années dans la restauration où il a été longtemps serveur ; métier qu'il a beaucoup aimé. Avec un ami, il a ensuite ouvert Le Panier Volant, leur propre restaurant. Artiste plasticien, il a consacré beaucoup de son temps à cette activité et a souvent exposé aux Ateliers de Belleville. Séropositif depuis quarante ans, sa vie en a été largement bousculée et sa rencontre avec le bouddhisme tibétain a été déterminante pour la suite. Depuis quelques années, il s’est consacré à rédiger Les Anges des Lombards, un livre qu’il s’était promis d’écrire en hommage à ses amis serveurs morts du sida au tout début de l’épidémie.

 

Extrait, chapitre 3 : Tabou
Je découvre que pour être folle, il faut des couilles. Je les admire, vois toute leur finesse, leur courage. C’est une prise de risque de tous les instants. Ils ne font pas la folle, ils sont folle et c’est un acte fort, presque politique, même s’ils ne le revendiquent pas ainsi. Ils ont tous compris et assimilé beaucoup de choses du monde, de sa dureté et de son injustice. Leur autodérision renvoie démultiplié ce qui est projeté sur eux par une société hétéro. C’est une défense qui se construit sur la peur dès l’enfance. Petit, même au sein de sa propre famille, on sait déjà qu’on gêne et on ne sait pas pourquoi, alors on rit. On devient le clown qui fait rire le jour et on en pleure la nuit. Chochotte ou garçon manqué, on a été moqué, humilié, rendu honteux d’un désastre qu’on n’a pas compris et qu’on n’a pas commis. De près ou de loin, on partage tous cela, il a fallu se construire comme on a pu.
Quand Lulu marche la main en avant en riant et tortille du cul les yeux au ciel, il ne mime pas la femme qu’il aurait aimé être, il est habité par l’empreinte archaïque d’avoir dû se protéger des insultes ou des baffes, toujours prêtes à tomber sur lui, lui qui gênait ou faisait honte à tous ceux qui le voyaient. Ce n’est pas un genre que Lucien se donne, ce sont les marques restées en lui de son enfance où il riait maladroit d’être qui il était et pleurait de sa détresse d’exister. Son cul rentré qui fuit en tournant n’est pas un appel à se faire enculer, c’est le geste de celui qui a eu peur de se faire botter le train lorsqu’il pleurait de ne pas être admis. Impossible de gommer une telle cicatrice.
Un soir, assis à une table face au bar, un type en costard se moque de Lucien. Sa compagne en rit ouvertement. C’est sans compter sur notre solidarité car ici on renvoie toutes les balles en claquant ou en riant et même les balles perdues. Amir qui les sert, spontanément va inverser les genres. Avec son meilleur sourire commercial pour s’adresser à la femme il se penche, la regarde dans les yeux et délicatement lui installe son assiette :
- Pour Monsieur, la frisée au chèvre-chaud,  n’est-ce pas ?
Et se tournant vers le compagnon :
- Et le burger saignant, c’est pour qui ? Mais c’est pour Madame bien sûr!
Et paf, il pose le plat entre les pattes du bonhomme. Le couple reste tétanisé, les voisins pouffent de rire, tout le monde se marre sauf les deux qui maintenant rient jaune.
Je sens bien que parler au féminin ne s’improvise pas et que ça n’est pas gratuit. Que je m’en affranchisse ou que j’en fasse les frais, cela engage quelque chose de puissant qui va bien au-delà d’un tic de folle. Lorsque l’un d’entre nous devant un client m’appelle Françoune, je perds en un instant ma place habituelle et j’acquiers un rôle. Et si je m’adresse à l’autre au féminin, je l’implique tacitement à assumer son homosexualité publiquement. On en a tous un grand besoin. C’est une thérapie de groupe spontanée où l’éventail des possibilités se rejoue chaque soir. Mes amis m’appelleront François, la Françoune ou « Françoise, mais pour qui elle se prend ! » suivant mon comportement, ce qui se vit avec l’autre et au plus juste dans l’instant. C’est un exercice difficile, un fil de rasoir tranchant, libérateur et passionnant s’il est pratiqué avec adresse. C’est de tendresse que l’on crie ainsi et pour aller loin avec ces codes, il faut s’aimer.
Ma nouvelle famille est très différente de ce que j’ai connu jusqu’ici au travail. Les longues années au boulot à cacher mon homosexualité jour après jour sont derrière moi. Cette mission impossible, à esquiver toutes les questions de vie privée avec des mensonges qui ne pouvaient se recouper, est terminée. Le temps de la fausse petite amie est révolu. On ne se demandera plus dans mon dos si je suis à voile ou à vapeur, métaphore toujours restée obscure pour moi. Ni la question qui en découlait, tout aussi stupide : Est-ce qu’il fait l’homme ou la femme ? Maintenant je peux être les deux si je veux et cette schizo d’identité paraît loin.
Aux Anges des Lombards, cette brasserie bénie, plus à se cacher de rien ni de personne. On est pour la plupart homos sans avoir à être comme ça ou bien d’en être et si le cœur nous en dit, on peut être folle. Les masques sont tombés, plus de faux-semblants. Chacun peut se révéler enfin tel qu’il est. On est solidaires de notre minorité, compagnons de cette marginalité. Batailler seuls nous avait épuisés, maintenant on est réunis, on est là. La peur n’est plus de mise. Ce que l’on ne pouvait vivre ailleurs est enfin possible.
Dans ce théâtre de vie, j’apprends qui je suis. On danse sur terre.

 

Extrait, chapitre 6 : Fraternité
C’est à mon tour d’aller le voir à Cochin. Les infirmières m’indiquent une chambre au fond d’un long couloir. Je comprends vite qu’elles sont bien loin de pouvoir soigner un tel malade. Je le trouve couché sur le côté avec son doux sourire qui semble attendre. Je réalise qu’il doit nous attendre ainsi en attendant sa mort. La chambre où il se trouve n’est pas une chambre d’hôpital habituelle. Le lit est à peine fait avec des draps jaunes mal bordés et la housse jetable de son oreiller en toile cirée a glissé. Il y a une chaise dans un coin et dans l’autre une poubelle, un grand sac plastique sur roulettes. Son pyjama bleu est jetable. Sur sa carafe et sur son verre il y a des gommettes rouges. On le nourrit dans des assiettes en plastique marquées encore de gommettes rouges. Comme il ne peut pas manger, car il a trop mal dans sa bouche envahie de terribles mycoses, les coquillettes et le jambon traînent sur sa table de nuit à côté de son pistolet plein d’urine jaune. C’est visiblement plusieurs heures après, quand on vient lui prendre la température et la tension, que tout est jeté avec des gants dans le grand sac plastique de la poubelle.
- Ça va Daniel ?
Il parle si lentement et doucement que c’est long à entendre.
- Ça va… Mais j’ai mal.
- Ça va aller Daniel ?
- Ça va aller.
Daniel souffre et je pose sa main dans la mienne. De sa main je sens un petit courant s’animer jusqu’à ses yeux qui me regardent sans me lâcher.
Ces yeux disent tout. Tout ce qu’une vie peut dire. Ce que seule la mort sait.
- C’est gentil, c’est gentil d’être venu.
- Tu veux que je te masse un peu, ça te fera peut-être du bien ?
- Si tu veux.
Les infirmières au bout du couloir, sans bien me comprendre, me donnent un tube de crème et me disent que pour le masser je dois mettre des gants. Avec leurs gros yeux plein de désarroi elles me semblent toujours demander : « Pourquoi nous a-t-on mises dans ce service ? ». C’est vrai, pourquoi ça tombe sur elles ? Et pourquoi ça tombe sur ce garçon de vingt ans ?
Elles sont là, assises, aliénées sur leur chaise ou leur tabouret. Les mots qui sont dits sont à l’extrême du rien. Elles ne parlent pas, l’échec intégral les a laminées, la peur les a détruites. La peur contaminée par la mort s’est faite culpabilisante. La peur en ultime reproche.
Je veux masser Daniel, je peux à peine le caresser. Se retourner avec mon aide a été si difficile et sa tête pliée de côté sur l’oreiller plat doit être d’un terrible inconfort pour lui. Son dos est dévasté par les affreuses taches violacées du syndrome de Kaposi. Son corps délabré de maigreur et de bosses a perdu l’apparence des formes humaines.
Mes mains le font plus souffrir qu’elles ne l’apaisent et pourtant il me laisse faire.
- Ça va Daniel ?
- Je voudrais rentrer chez moi, …Chez moi dans ma famille.
- Tu as de leurs nouvelles ?
- Les médecins les ont appelés.
- Alors ils vont peut-être pouvoir te transférer pour un hôpital plus près de chez toi.
- Je sais pas, … j’aimerais bien, … les médecins les ont appelés,… je sais pas… Ils vont voir…
Une semaine a dû passer, Noël approche, Amir et moi on va lui rendre visite encore une fois. En sortant du métro, on achète dans une épicerie arabe un petit Père Noël en plastique car on sait bien qu’il ne pourra avaler le moindre chocolat. Daniel a été installé dans un service un peu plus soucieux de son bien-être. Sa famille n’a visiblement toujours pas pu venir. Il est si faible qu’il ne peut se tourner vers nous quand on rentre dans sa chambre. On fait le tour du lit, on s’assoit en face de lui et on lui parle doucement.
- Daniel, c’est Amir, c’est François.
De ses grands yeux, il nous regarde. De ses grands yeux, il nous regarde sans les fermer.
On lui tient les mains, pourtant on ne sait pas vraiment s’il sent qu’on les lui tient. Elles sont si faibles. Elles sont si faibles qu’elles ne peuvent saisir le petit cadeau qu’on tente de lui faire prendre avec ses doigts qui ne réagissent pas.
- On t’a apporté un petit cadeau.
Alors Amir installe le petit Père Noël en plastique doucement en face de lui sur son oreiller. Et lentement, comme si la compréhension passait par mille chemins, ses yeux nous lâchent pour se poser sur son cadeau. Son visage perdu change, se retrouve parti très loin, loin en lui, et étrangement s’illumine en même temps que des larmes coulent de ses yeux éperdus.
- Le Père Noël… Oh, le Père Noël !
Tous les pleurs de l’enfant qui va mourir roulent sans bruit. Il n’a pas la force de nous parler. Ses yeux ne se ferment pas, ne quittent pas son Père Noël.
Nous restons en silence un long moment avec lui.
Puis nous nous levons doucement et nous l’embrassons encore une fois sur son front froid.
- On doit y aller Daniel. Il faut qu’on retourne Aux Anges.
- Tu verras ça va aller, ça va aller. Au revoir Daniel, on t’embrasse Daniel.
Il nous regarde pour dire adieu les yeux emplis de toute sa tendresse.
- Le Père Noël… Oh, le Père Noël…