Chasser les génériques, c’est condamner l’Afrique !
« Une épée de Damoclès pour des millions de séropositifs »
Depuis plusieurs semaines, les responsables de l’association Médecins sans Frontières se mobilisent contre un projet d'accord de libre-échange entre l’Inde (le plus grand fabricant de médicaments génériques) et l’Europe. "L’accord de libre échange qui va être signé entre l’Inde et l’Union Européenne menace la production et l’importation de génériques indiens vers les pays en développement alors que 92% des patients VIH/sida dans ces pays dépendent de ces génériques qui viennent d’Inde" alertent les organisateurs, "c’est une épée de Damoclès pour des millions de personnes vivant avec le VIH".
Saisis par les douanes, interdits par la loi… : la chasse aux génériques s’intensifie
Depuis Novembre 2008, les services de la douane européenne ont saisi au moins vingt-deux envois de médicaments génériques provenant d’Inde et de Chine. Parmi ces médicaments : des traitements contre les maladies cardiaques, le VIH… Des cargaisons destinées à traiter des milliers de personnes dans les pays en développement. A chaque fois, les cargaisons saisies se sont avérées parfaitement légales. Pire, ces envois provenaient de fabricants référencés, habitués à fournir les programmes de santé internationaux. Les Pays-Bas avaient saisi des médicaments contre l’hypertension artérielle destinés au Brésil ; ils n’étaient protégés par aucun brevet. Ce même pays avait saisi un lot d’abacavir (médicament anti-VIH) destiné au Nigeria ; il s’agissait d’une commande de la centrale d'achat Unitaid... Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est, des lois qui interdisent les génériques sont mises en place, et on en annonce de nouvelles. Au Kenya – où 90% des médicaments utilisés sont des génériques – trois personnes vivant avec le VIH viennent de saisir la Cour constitutionnelle pour faire réviser une de ces lois qui, d'après elles, aurait été promulguée dans des conditions obscures.
Les pays en développement : un marché colossal pour les fabricants de médicaments
Si, contrairement aux médicaments contrefaits, les génériques ne représentent aucun danger sanitaire, ils représentent une perte financière toute aussi importante pour les laboratoires. Les génériques sont 70% à 90% moins chers que leurs équivalents de marque, et plus de 80% des anti-VIH utilisés par l’association Médecins Sans Frontières proviendraient d’Inde. Les donateurs internationaux qui financent la distribution de médicaments, comme le Plan d'Urgence du Président Américain pour la Lutte contre le Sida (PEPFAR) et le Fonds mondial, s’approvisionnent aussi auprès des fabricants de médicaments génériques. En août 2009, alors que le Brésil et l’Inde venaient de porter plainte contre les saisies injustifiées de l’Union Européenne, l’organisation internationale Oxfam publiait un rapport sur "les manœuvres secrètes pour pénaliser les médicaments génériques". Dépôts de brevets multiples, actions en justice… Le rapport pointait la responsabilité des laboratoires et de l’Europe dans la chasse aux génériques : "L'Union européenne fait pression en vue d’aboutir à un accord qui obligerait tous les pays participant aux négociations à accroître les saisies et à poursuivre les compagnies qui produisent des médicaments génériques légalement dans des pays comme l’Inde, pour les vendre ensuite dans d'autres pays, y compris ceux qui n'étaient même pas engagés dans lesdits négociations."
La propriété intellectuelle : l’argument qui pourrait tout changer
Pour justifier les saisies de médicaments en douanes, les autorités parlent de brevets, de propriété intellectuelle, d’accords commerciaux. Il semblerait que les laboratoires profitent des failles et incohérences de la législation pour combattre ce qu’ils qualifient de frauduleux. Il y a, par exemple, l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation Mondiale du Commerce, et la Déclaration de Doha de 2001, qui réaffirme le principe d’un accès aux médicaments pour tous ; deux textes qui stipulent que les marchandises en transit sont exemptées de l’application des droits de brevets. Mais il y a aussi la directive européenne 1383, qui autorise les états membres à saisir les médicaments qui ne disposent pas d'un brevet au sein de l'Union Européenne… En février, le député au Parlement européen, David Martin, expliquait que l’accord de libre-échange contesté hier à Bruxelles repose sur ces arguments discutables. "Des projets de l’accord rendus publics par la Commission européenne, l’organe exécutif de l’Union européenne, montrent que celui-ci contient des dispositions concernant la propriété intellectuelle d’une portée considérable", alertait le député. "Y figure notamment une clause d’exclusivité des données qui permettra aux principales entreprises pharmaceutiques d’empêcher pendant plusieurs années les industries indiennes de médicaments génériques d’utiliser les formules à partir desquelles les nouveaux médicaments sont fabriqués".
Crédit photo : MrOmega
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