Cheveux blancs… et têtes pensantes !

Publié par jfl-seronet le 27.06.2013
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InitiativeCCCV 2013

Il y a bien des moyens de juger de l’importance d’un événement : son sujet, l’innovation qu’il apporte, la trace qu’il laisse et les personnes qu’il fait se déplacer. Lors de la conférence de concensus communautaire sur vieillir avec le VIH (CCCV), aux experts du vivre avec et aux experts professionnels, se sont jointes trois personnes engagées, à des titres divers et des fonctions complémentaires, sur la question du vieillissement. Retour sur leur participation et les réflexions qu’ils ont portées.

Luc Broussy : L’adaptation, c’est maintenant !

Luc Broussy, c’est assurément LE politique de la conférence. Conseiller général du Val d’Oise, maire-adjoint de Goussainville, il a été conseiller sur la question des personnes âgées dans l’équipe de campagne de François Hollande lors de la présidentielle et délégué national du PS aux personnes âgées (2000-2008). Il a travaillé dans les cabinets ministériels. Mais si Luc Broussy a été invité, c’est parce que c’est un très bon connaisseur du vieillissement et de ses enjeux. Sans égrainer l’ensemble de son curriculum vitae (trop long), on peut rappeler qu’il a été délégué général de l’Union nationale des établissements privés pour personnes âgées, puis de celui du Syndicat national des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) privés. Il est également l’éditeur du "Mensuel des maisons de retraite". Ce parcours lui a valu une commande du Premier ministre. Jean-Marc Ayrault lui a confié une "mission interministérielle sur l’adaptation de la société française au vieillissement de sa population. Luc Broussy et son équipe ont rendu leur rapport en janvier 2013. C’est ce travail qu’il est venu présenter lors d’une plénière durant la conférence de consensus.

Le débat, il aime ça, Luc Broussy. C’est ce qui lui plaît dans la tournée de présentation des conclusions de sa mission qu’il conduit depuis des semaines. "La semaine dernière, j’étais devant la fédération nationale des ascenseurs, Aujourd’hui, je suis devant vous", s’amuse-t-il. Il évoque ses auditions au Sénat et à l’Assemblée Nationale… et retrace à grands traits la philosophie qui a animé les experts qu’il a regroupés dans son équipe de missionnaires. "J’ai souhaité que nous ayons une vision très transversale du vieillissement. Nous nous serions plantés si nous nous étions concentrés sur la seule question du financement de la dépendance. On a tourné en rond pendant cinq ans", explique-t-il. Le "pendant cinq ans", c’est la pique à l’équipe gouvernementale précédente qui n’a eu de cesse de repousser la grande loi de financement de la dépendance qu’elle avait promise. Il faut voir plus grand selon Luc Broussy et retenir l’option d’une vaste "loi d’adaptation de la société française au vieillissement". Bref, réfléchir à la vieillisse en terme de chance plutôt que de problèmes. De ce point de vue, le rapport Broussy est assez convaincant. Il comporte ainsi un chapitre (n°6) qui explique en quoi le vieillissement est une chance pour la France en matière de croissance, de consommation, d’épargne et d’emploi. Il consacre même un chapitre (n°7) à ce qui serait une filière d’avenir, les (tenez-vous bien !) "gérontechnologies". Son rapport est également le seul des trois rapports officiels récents sur le vieillissement à traiter (même si ce n’est pas très fouillé) des vieux homosexuels et du vieillissement des travailleurs migrants.

"Je suis plus venu ici pour entendre et voir comment faire vivre vos recommandations", explique-t-il. Faire vivre les recommandations de la conférence, Luc Broussy a trouvé la fenêtre de tir, la future loi sur le vieillissement, celle qui aura pour ambition d’adapter la société française à l’avancée en âge de sa population. "L’élaboration de la future loi se fera avant la fin de l’année 2013 et le texte pourrait être débattu au printemps 2014. C’est le moment où jamais pour chacun d’évoquer ses propositions", explique Luc Broussy. La lecture du rapport (plus de deux cents pages) montre bien la transversalité de l’approche du vieillissement. On y parle logement, adaptation du logement au maintien à domicile, du quartier car le "lien social est au cœur du vieillissement", des réflexions sur l’aménagement de la ville pour l’ensemble des générations. A idées fortes, phrases courtes : "A partir de 80 ans, la vie sociale d’une personne s’organise dans son quartier dans un cercle de 300 mètres" ; "Un tiers des habitants des cités seront des seniors dans 20 ans." Le rapport ne cache rien des dysfonctionnements et des questions épineuses. Par exemple : le  "vrai problème d’évolution des droits en fonction de l’âge", le "refus de location aux personnes plus de 70 ans", le "phénomène de démutualisation qui s’accélère". Et on en imagine les conséquences sur des personnes atteintes d’une maladie chronique, dont les restes à charge ne cessent d’augmenter. Luc Broussy explique qu’il veut bien être le "porte-parole des travaux de la conférence auprès de la ministre Michèle Delaunay [ministre des personnes âgées et de l’autonomie, ndlr]. Il conseille de les "populariser le plus vite possible", puisque le projet de loi n’est pas encore écrit. Il recommande de faire passer les "recommandations aux parlementaires, sénateurs qui ont créé un groupe qui va travailler sur le projet de loi". Bref, il ne faut pas attendre car, comme Luc Broussy le soulignait avec humour dans son rapport : "L’adaptation, c’est maintenant".

Bernadette Devictor : Les choix faits sont difficilement réversibles

Depuis 2011, Bernadette Devictor est la présidente de la Conférence nationale de santé (CNS). Les missions de cette instance ont été élargies, la même année, au champ du médico-social et aux acteurs de la prévention. En 2011, le gouvernement (Nora Berra était alors secrétaire d’Etat à la santé) avait demandé à la CNS, new look, d’avoir une "attention particulière portée aux inégalités sociales de santé". Mais il faut d’abord planter un peu le décor : la Conférence nationale de santé est un lieu de concertation sur les questions de santé. C’est un organisme consultatif placé auprès du ministre de la Santé (en ce moment, c’est Marisol Touraine). La CNS est composée de 120 membres dont un est un représentant de AIDES. Elle comporte huit collèges dont un avec les usagers du système de santé. Elle permet aux "acteurs du système de santé d’exprimer leurs points de vue sur les politiques de santé, relaie les demandes et les besoins de la population, et favorise le dialogue entre les usagers, les professionnels, les autres acteurs et les responsables politiques".

Cette fonction de "go between" est importante car l’organisme peut être saisi sur des sujets ou décider de s’en saisir lui-même. A ce titre, il planche sur la question du vieillissement et un de ses groupes de travail porte sur l’autonomie. La CNS a été saisie en 2012 par la ministre Delaunay sur quatre thématiques : "le renforcement de la prévention de la perte d’autonomie", "l’accès des personnes âgées à la santé", "la protection des droits des personnes âgées – individuels et collectifs" et " l’intégration d’une dimension éthique dans l’accompagnement à domicile". Bref du pain sur la planche et de sujets en lien avec les débats de la conférence, d’où l’invitation de sa présidente. Bernadette Devictor a écouté les présentations des recommandations et noté "beaucoup de points de convergence" avec ce qu’elle peut entendre ailleurs. Elle insiste sur "le respect de l’autonomie de la personne", parle du rôle déterminant des accompagnants et souhaite surtout faire passer le message qu’il y a des "progrès à faire", mais qu’il ne faut pas se tromper dans les choix car l’expérience montre que ces "choix sont difficilement réversibles". Ce sera vrai pour les options retenues de la future loi. C’est également vrai pour les choix que font les personnes âgées elles-mêmes. Par exemple, une personne qui vit en Ehpad n’a presque jamais la possibilité de revenir chez elle, même en bénéficiant de services en lien avec sa dépendance. Bref, quand on y est, on y reste.

Autrement dit, vu la complexité des enjeux, il ne faut pas se louper… sinon ce sera peine perdue pour corriger rapidement le tir. Dans les présentations, elle a entendu le mot "innovation". "La nécessité d’être innovant, c’est fondamental", confirme-t-elle. Elle apprécie de pointer certains paradoxes. "On s’étonne que les usagers ne connaissent pas leurs droits, mais jamais sur leur complexité", lance-t-elle. Elle pointe aussi les effets pervers de la contrainte, souvent utilisée à l’encontre des personnes vieillissantes : "Plus de 50 % des situations complexes sont liées à des personnes qui ne sont pas en accord avec les solutions qu’on leur impose de vivre", un placement en institution qui n’est pas souhaité par exemple. Il sera intéressant de voir les avis que rendra la CNS notamment sur le renforcement de la prévention de la perte d’autonomie, sujet qui a fait l’objet d’un récent rapport officiel (celui du docteur Jean-Pierre Aquino, le président du Comité Avancée en âge en février 2013) et sur l’accès des personnes âgées à la santé, car la commande ministérielle concerne tout particulièrement l’accessibilité financière aux EHPAD, un enjeu pour bien des personnes vivant avec une maladie chronique.

Rodolphe Dumoulin : Il faut faire du vieillissement des personnes vivant avec le VIH une chance

Rodolphe Dumoulin est LE technicien. Il travaille au cabinet de la ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie et a tout particulièrement la charge de "l'anticipation, la prévention et les parcours de santé". Logiquement, il planche avec d’autres sur le futur projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement de sa population. Logiquement, il a été invité à s’exprimer devant les participants. Rodolphe Dumoulin n’est pas à proprement parlé le porte-parole de la ministre, et plutôt que de céder à des accents lyriques (c’est fréquent lorsqu’un ministre parle aux "vieux"), il préfère exposer quelques points, des pistes de réflexion. La question de la dépendance fera bien évidemment partie de la loi, elle en sera le cœur, mais son champ en sera effectivement plus vaste. Le cœur, car cette réforme est attendue et qu’elle est nécessaire. "Nous nous apprêtons à vivre une révolution de l’âge", indique Rodolphe Dumoulin. "8 % des personnes âgées sont dépendantes." Plus vaste car ne traiter que cet unique aspect serait rater le coche.

Il explique aussi que le "vieillissement des personnes vivant avec le VIH est une formidable chance." Point de vue que des personnes séropositives partagent largement. Dans son intervention, Rodolphe Dumoulin parle des baby boomers. "Ils ne se laisseront pas vieillir comme les autres", avance-t-il. Façon d’affirmer que la société doit permettre à chacun de "vivre son âge de façon différente". Il a bien noté dans la présentation des recommandations les spécificités des personnes qui vieillissent en l’absence d’enfants, parfois de partenaires. "Nous devons aussi nous préoccuper des droits des âgés qui cumulent des risques de discriminations et de fragilité. La future loi devra réaffirmer un certain nombre de droits et aussi le fait que ces droits doivent être appliqués jusqu’au bout".

En matière d’hébergement (il en a beaucoup été question dans les recommandations des experts) et notamment sur le point de savoir s’il faut (ou pas) des établissements spécifiques, Rodolpe Dumoulin s’interroge plus qu’il ne livre de solutions toutes prêtes. Il estime que "le principe d’égalité et le cumul de problèmes peuvent justifier des réponses inspirées de la discrimination positive." En tout cas : "Il faut que les pouvoirs publics puissent soutenir les initiatives communautaires lorsque c’est demandé".

On ne saura pas si sa phrase de conclusion était préparée, ni si la ministre elle-même l’aurait reprise à son compte, mais dans cette enceinte, à ce moment-là, elle sonne bien : "Il faut faire du vieillissement une chance. Et faire aussi du vieillissement des personnes vivant avec le VIH une chance".