Conférence IAS 2013 : les infos importantes

Publié par Fabien Sordet le 05.10.2013
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Conférencesthérapeutique

C’est à Kuala Lumpur (Malaisie) que s’est déroulée en juillet dernier la conférence IAS (International AIDS Society), consacrée au VIH, aux traitements et à la prévention. Membre du comité de rédaction de Remaides, Fabien Sordet y a participé. Il propose pour Seronet une sélection des informations importantes de cette édition 2013.

IAS 2013 : le TasP à l’honneur

D'une manière générale, le TasP ("Treatment As Prevention" ou "traitement comme prévention") était à l’honneur de cette édition 2013, avec une présentation des nouvelles recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une présentation du docteur Julio Montaner (directeur du Centre d'excellence pour le VIH/sida de Colombie-Britannique au Canada), sur l’évolution de la prise en charge à Columbia, montre l’intérêt du dépistage et de la couverture en antirétroviraux précoces pour obtenir une baisse de la charge virale communautaire, ainsi qu'une diminution des cas de transmission. Une présentation a montré des résultats similaires en Afrique du Sud, prouvant, une fois encore, l’intérêt du traitement comme outil préventif. Reste que la généralisation du TasP semble encore compliquée à mettre en œuvre dans les pays du sud.

Traiter tout le monde pour mieux contrôler l’épidémie dans le sud

Contrairement aux présentations se rapportant aux pays occidentaux, cette stratégie de traitement universel se confronte à plusieurs limites particulières dans les pays du sud (très nombreuses présentations sur le Vietnam, la Chine, l’Inde, le Pérou, l’Ouganda, le Kenya, le Botswana, etc.). En voici quelques-unes :

● La difficulté d’accès ; dans des régions du monde où l’accès aux traitements antirétroviraux est déjà compliqué pour les personnes séropositives ayant moins de 350 CD4/mm3, les nouveaux critères de l’OMS devraient être encore plus difficiles à atteindre. Cette difficulté d’accès tient au coût des traitements, mais aussi à des raisons d’éloignement géographique ;
● Les problèmes de conservation des médicaments (chaleur, humidité, équipements inadaptés, etc.) ;
● La peur des personnes d’être vues avec des traitements et stigmatisées que ce soit dans le cadre du travail, de l’entourage ou de la famille ;
● La mauvaise compatibilité des traitements avec certains produits de la médecine traditionnelle locale ;
● Les effets indésirables et les contraintes de prise souvent très mal acceptés par les personnes, par ailleurs totalement asymptomatiques ;
● Le sous-diagnostic du VIH ;
● Les personnes diagnostiquées, mais qui ne sont pas suivies ;
● La prise d’alcool, de drogue, la dépression, la violence et la précarité, qui tiennent à la fois comme facteurs de risque de contamination (notamment pour les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et les travailleurs et travailleuses du sexe) et comme facteurs limitant l’observance aux traitements.

Par ailleurs, une étude menée en Côte d’Ivoire montre que cette stratégie préventive ne conduit pas — contrairement à ce que l'on pouvait craindre — à une augmentation des prises de risques par une modification des comportements (nombre de rapports non-protégés, de partenaires, etc.).

PrEP + TasP chez les couples hétéros ?

Une étude originale visait à évaluer l’intérêt de traiter préventivement les femmes désirant avoir un enfant dès lors que leur partenaire séropositif avait une charge virale indétectable sous traitement. Le modèle suggérait que si le couple faisait l’amour de façon répétée, tout au long du mois, une PrEP délivrée à la femme présentait un très léger bénéfice. En revanche, la PrEP ne présentait aucun intérêt en cas de rapports limités autour de la période d’ovulation. Et dans tous les cas de figure, il ressortait de l'étude que la prévention assurée par le TasP était nettement supérieure à celle assurée par la PrEP ; ce qui confirme les affirmations du Professeur Bernard Hirschel (recommandations suisses) sur la non-nécessité de la PrEP au sein d’un couple hétérosexuel dont le partenaire séropositif possède une charge virale indétectable. Une conclusion partagée par les recommandations françaises de 2012.

Les deux "patients de Boston"

La conférence de Kuala Lumpur a également été l’occasion de présenter les cas de deux personnes ayant, à l'instar de Timothy Brown, le fameux "patient de Berlin",  bénéficié d'une greffe de moelle osseuse et dont le système immunitaire, remplacé par celui d’un donneur, ne semble pas avoir été réinfecté. Les cas présentés étaient toutefois quelque peu différents de celui du "patient de Berlin" car cette fois, les donneurs ne possédaient pas la mutation du gène CCR5 delta-32 et leurs CD4 n'étaient, par conséquent, pas à l'abri d'une réinfection par le VIH des deux receveurs. Quoi qu'il en soit, leur greffe a été suivie d’un traitement antirétroviral continu de plusieurs années et l’on ne retrouve plus de trace du virus dans les prélèvements (PBMC (cellules du sang), tissu rectal, etc.) effectués. Une nouvelle importante, si ce n'est que la greffe de moelle osseuse est une technique extrêmement  lourde, avec un risque de mortalité élevé.

Les traitements antirétroviraux

Une dose plus faible d’efavirenz (Sustiva) peut suffire
C’est ce que montre une étude internationale qui comparait la dose réduite (400 mg/j) à la dose habituelle (600 mg/j). Après un an, les deux doses ont une efficacité équivalente (en terme de charge virale et de CD4), mais il y a moins d’effets indésirables (sur le psychisme, le taux de graisses dans le sang…) avec la dose réduite. Au besoin, on peut en parler à son médecin et après son accord prendre deux gélules à 200 mg au lieu du comprimé à 600 mg associées à deux nucléosides. Le comprimé à dose fixe Atripla contient du Truvada et 600 mg de Sustiva et il n’existe pas sous le dosage de 400 mg. Il serait bien que les génériqueurs puissent fabriquer des doses de 200 mg voire 400 mg.

Dolutégravir comparé à Isentress chez les personnes en multi-échecs
L’étude SAILING avait pour objectif de comparer le dolutégravir 50 mg + des nucléosides, au raltégravir (Isentress) 400 mg + des nucléosides, chez 730 personnes en multi-échecs (n’ayant jamais eu d’inhibiteur d’intégrase). Les résultats à un an semblent similaires, et on note même des résultats supérieurs pour le dolutégravir avec 71 % des personnes dont la charge virale est indétectable (versus 64 %), et significativement moins d’échecs du traitement.

Peut-on se passer des nucléosides dans la prise en charge d’échecs thérapeutiques en Afrique ?
C’est à cette question qu’a tenté de répondre une vaste étude portant sur trois groupes incluant chacun 400 personnes en échec d’une première ligne de traitement comprenant un non-nucléoside et deux nucléosides. Le premier groupe comprenait une association standard (Kaletra associé à deux ou trois nucléosides), le deuxième comprenait une bithérapie (Kaletra + raltégravir), enfin, le troisième groupe proposait de démarrer le traitement par Kaletra + raltégravir puis de le simplifier avec le Kaletra en monothérapie, après trois mois de charge virale indétectable. A trois ans, les résultats montrent une non-infériorité du groupe recevant Kaletra + raltégravir versus le  groupe recevant Kaletra associé à deux ou trois nucléosides, ce qui permet d’envisager une stratégie de traitement sans nucléosides, sans pour autant mettre en évidence un avantage sur le plan de la tolérance, pour le moment. Cependant, une autre étude montrait, elle, un intérêt au traitement Kaletra + raltégravir comparé à un traitement Kaletra + nucléosides (dont le ténofovir) sur le plan de la tolérance osseuse. Dans la première étude décrite ci-dessus, la monothérapie d’inhibiteur de protéase (IP) s’avère significativement moins efficace. Cependant il faut noter que l’inhibiteur de protéase choisi était le Kaletra et que les personnes avaient 70 CD4/mm3 en médiane, ce que l’on sait être des facteurs de moins bon pronostic pour les monothérapies d’inhibiteurs de protéase. Enfin, trois mois d’induction (phase de démarrage du traitement) par Kaletra + raltégravir est, sans doute, une période trop courte pour l’efficacité optimale d’un relais par monothérapie d’inhibiteur de protéase.

Etravirine en une prise par jour
Une présentation sur les données d’efficacité et de tolérance de l’ETR (étravirine) dans la vraie vie. Cette analyse porte sur 389 personnes, dont 345 switchs (passage d’un traitement à un autre comprenant de l'ETR) pour des raisons de tolérance. Les résultats sont excellents, avec près de 100 % de maintien de la charge virale indétectable, y compris dans la durée (quatre ans de recul pour 36 patients). Une amélioration des paramètres lipidiques (graisses dans le sang) était observée pour les personnes ayant un taux de triglycérides et/ou cholestérol élevé au moment du switch. Ces données confirment également la possibilité de prescrire l’étravirine en une seule prise par jour, et sans antiprotéase boostée associée.

Symposium de l’ANRS : the place to be…

Le symposium organisé par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a constitué un des points scientifiques forts de la conférence. Plusieurs études financées par l’Agence soulignent l’importance de mettre les personnes vivant avec le VIH le plus rapidement possible sous traitement anti-VIH. Il s’agit des études cliniques ANRS Optiprim et Visconti, ainsi que de l’étude en sciences humaines et sociales ANRS Temprano. Ces études confirment donc le bien-fondé des nouvelles directives de l’Organisation mondiale de la santé. L’OMS recommande de proposer les traitements antirétroviraux pour toutes les personnes infectées beaucoup plus précocement qu’auparavant. Ces nouvelles directives (qui devraient aboutir à ce que plusieurs millions de nouvelles personnes bénéficient de traitements), sont fondées sur des études scientifiques rigoureuses qui ont démontré l’intérêt du dépistage et du traitement précoces, tant pour la santé des personnes elles-mêmes que dans un objectif de prévention.

On peut retenir les notions suivantes...

La session entière a été consacrée aux contrôleurs post traitement (PTC), c’est-à-dire des personnes infectées par le VIH, traitées tôt et de façon prolongée au moment de la primo infection, et chez lesquelles on observe un contrôle spontané de la réplication virale après arrêt du traitement. Ces personnes sont différentes de celles dites HIV contrôleurs qui, elles, contrôlent spontanément la réplication virale sans jamais avoir reçu de traitement antirétroviral. La fréquence des HIV contrôleurs au sein des personnes vivant avec le VIH est inférieure à 1 %, alors qu’elle est comprise entre 5 et 15 % selon les études pour les contrôleurs post traitement.
Les HIV contrôleurs ont souvent une primo infection sans symptomes avec une charge virale basse et des CD4 élevés au moment de la primo infection ; ce qui n’est pas le cas des contrôleurs post traitement. La surreprésentation de certains allèles HLA est différente entre les deux groupes : alors que les HIV contrôleurs ont plus fréquemment un allèle HLA considéré comme protecteur, les contrôleurs post traitement ont eux un allèle associé à des niveaux élevés de charge virale. Le contrôle spontané de la réplication virale s’explique en partie par une puissante réponse T spécifique anti VIH chez les HIV contrôleurs alors que ce type de réponse est absent chez les contrôleurs post traitement. Enfin, des niveaux élevés d’activation sont retrouvés chez les HIV contrôleurs et pas chez les contrôleurs post traitement. Une des spécificités des contrôleurs post traitement est d’avoir été traités très tôt et de façon prolongée au moment de la primo infection.

Comme on diagnostique moins de 10 % des primo infections, l’objectif du travail présenté par le docteur Laurent Hocqueloux (Orléans) était d’identifier chez des personnes traitées au stade chronique de la maladie quels étaient les facteurs prédictifs d’atteindre les caractéristiques des contrôleurs post traitement au moment où ces derniers arrêtent leur traitement c’est-à-dire : un niveau normal de CD4 ; un ratio CD4/CD8 supérieur à 1 ; et un ADN VIH bas.

Les chercheurs ont inclus, de façon prospective, entre 2005 et 2012, 309 personnes ayant démarré un traitement au stade chronique avec un succès virologique prolongé. A l’inclusion c’est-à-dire au moment du démarrage du traitement, les auteurs ont comparé les caractéristiques des personnes selon le niveau de CD4. On peut noter que les personnes ayant démarré un traitement avec des CD4 supérieurs à 500/mm3 étaient plus jeunes, avaient moins développé d’évènements classant sida et avaient une charge virale dans le sang plus basse que celles démarrant un traitement en dessous de 500 CD4/mm3. A la dernière visite de suivi sous traitement, (environ 7 ans de suivi), un tiers des personnes qui avaient des CD4 supérieurs à 500 CD4/mm3 à la mise sous traitement avait atteint le critère principal de l’étude. Cette proportion est nettement plus élevée que chez ceux ayant initié un traitement en dessous de 500 CD4/mm3. Au moment de la mise sous traitement, un niveau d’ADN VIH bas est associé au fait d’avoir des CD4 supérieurs à 500. Cette étude apporte des éléments supplémentaires justifiant l’intérêt d’une initiation précoce d’un traitement antirétroviral y compris chez des personnes ayant plus de 500 CD4/mm3. De telles personnes seraient de bons candidats pour des essais de vaccination thérapeutique du fait de leur capacité à atteindre un niveau normal de CD4, c’est-à-dire supérieur à 900 CD4/mm3 ainsi qu’un niveau d’ADN VIH bas.