Confinement et usage des médicaments

Publié par jfl-seronet le 27.04.2020
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Quel a été l'usage des médicaments en ville, dont ceux liés au VIH, durant les premiers temps de la pandémie de Covid-19 ? C'est ce qu'a cherché à comprendre le groupement d’intérêt scientifique (GIS) Epi-phare constitué par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la CNAM (Caisse nationale d'assurance maladie).

Comme l'indique un communiqué de l'ANSM (21 avril), les premiers résultats d’une étude de pharmaco-épidémiologie portant sur la « dispensation de médicaments remboursés sur ordonnance en pharmacie d’officine depuis le début de l’épidémie en France », ont été publiés. L'étude a été réalisée à partir des données de remboursement de l’Assurance maladie. Elle a pour objectif de caractériser les comportements de consommation des Français-es en médicaments, qu’ils soient en lien ou non avec le Covid-19, dans le contexte particulier de l'épidémie en cours et du confinement imposé. Elle compare le nombre de personnes ayant eu une délivrance en pharmacie entre le début du mois de janvier et la fin mars 2020, au nombre « attendu » de personnes, estimé sur la base de la même période en 2018 et 2019. Ces résultats mettent en évidence deux phénomènes majeurs : un phénomène de « stockage » pour les traitements de pathologies chroniques au cours des deux premières semaines de confinement, comme observé dans d’autres domaines de la consommation, ainsi qu’une très forte diminution des délivrances de produits nécessitant une administration par un-e professionnel-le de santé, notamment les vaccins. Ce premier rapport apporte également des informations précises sur les délivrances de médicaments utilisés dans le contexte de l’infection à Covid-19. Cette étude se poursuit dans le temps et les résultats complémentaires, qui porteront sur les trois premières semaines d’avril seront communiqués début mai. Une mise à jour régulière sera mise en place par la suite.

Résultats de l'étude

Les résultats publiés portent sur la période du 16 au 29 mars, découpée comme suit : semaine 12 (du 16 au 22 mars 2020) et semaine 13 (du 23 au 29 mars 2020). Elles correspondent aux deux premières semaines de confinement. Elles ont été marquées par une très forte croissance des délivrances sur ordonnance en pharmacie de médicaments des maladies chroniques (médicaments des pathologies cardiovasculaires, du diabète, des troubles mentaux notamment). Cette augmentation est très supérieure à ce qui aurait été attendu en situation habituelle, avec un surcroît du nombre de patients ayant eu une délivrance atteignant +20 % à +40 % selon les classes thérapeutiques, indique l'étude. Ainsi, près de 600 000 personnes supplémentaires se sont rendues en pharmacie pour la délivrance d’un antihypertenseur en semaine 12 (du 16 au 22 mars 2020) et 470 000 en semaine 13 (du 23 au 29 mars 2020). Les chiffres atteignent respectivement 230 000 et 175 000 pour les antidiabétiques, et 270 000 et 220 000 pour les statines (contre le cholestérol). Concernant d'autres médicaments, l'augmentation a été moindre, mais elle a néanmoins atteint +22 % pour les antidépresseurs en semaine 12, soit +182 000 personnes, et +21,5 % pour les antipsychotiques en semaine 13, soit +50 000 personnes.

L’augmentation a aussi concerné les antirétroviraux VIH (+32 % en semaine 12), les produits à base de lévothyroxine (+41 %), les traitements des maladies obstructives respiratoires (+46 %), et les inhibiteurs de la pompe à protons (+17 %). La contraception orale a également fait l’objet d’une nette augmentation (+45,3 % en semaine 12, soit + 140 000 femmes), indique l'étude. A contrario, les délivrances de médicaments dont l’administration nécessite le recours à un-e professionnel-le de santé ont baissé durant cette période. C'est le cas des vaccins (-50 à –70 % pour les vaccins anti HPV, par exemple).

Pour les médicaments en lien avec le Covid-19, les délivrances de paracétamol ont été plus élevées qu’attendu, et ce, dès février 2020, pour atteindre une augmentation d’un million et demi de personnes sur la période. En revanche, les délivrances d’AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) ont connu une forte baisse en semaine 13 (-60 %, soit 500 000 personnes). Ce phénomène est en grande partie expliqué par la chute des délivrances d’ibuprofène, probablement en lien avec la mise en garde de l'ANSM, elle-même, concernant l’utilisation des anti-inflammatoires.

Chloroquine et de l'hydroxychloroquine

Le nombre de personnes avec délivrance sur ordonnance de chloroquine/hydroxychloroquine a fortement augmenté, particulièrement en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur : à partir de fin février pour la chloroquine, avec un pic le 27 février ; et à partir de la semaine 10 (en février) pour l’hydroxychloroquine (+21 % en semaine 10 puis +70 % et +145 % en semaines 12 et 13). La délivrance de chloroquine était marquée par un pic autour du 25 au 28 février en passant de moins de 50 personnes par jour à plus de 450, indique l'étude. Cela faisait suite à la médiatisation de ce traitement potentiel. Les délivrances d’hydroxychloroquine ont été tardives, mais plus massives que celles de chloroquine. Ainsi le pic de délivrance sur ordonnance était le 18 mars avec près de 5 000 personnes avec délivrance le même jour pour le seul régime général de l'Assurance maladie. Ce pic concernait surtout des personnes déjà traitées par hydroxychloroquine pour des pathologies de type lupus ou polyarthrite rhumatoïde (stockage par peur de manquer après les annonces médiatiques d’un potentiel effet de l’hydroxychloroquine, mais aussi des traitements débutés en lien avec le Covid-19. Les auteurs-rices de l'étude, estiment à « environ 28 000 le nombre de personnes supplémentaires ayant acquis sur ordonnance un traitement d‘hydroxychloroquine (ou plus rarement de chloroquine) sur les semaines 12 et 13 de 2020 ». La population nouvellement sous hydroxychloroquine était relativement jeune, 62 % de moins de 60 ans avec 57 % de femmes et globalement plus favorisée socialement avec plus de 30 % des personnes résidant dans les 20 % des communes les plus favorisées. Il existait de fortes disparités géographiques ; c’est à La Réunion que la chloroquine était la plus prescrite (en instauration) par habitant. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (41,9 pour 100 000) devant l’Île-de France (30,7 pour 100 000) était la première en terme de prescription d’hydroxychloroquine. Le Grand Est, particulièrement atteint par l’épidémie, se situait juste dans la moyenne pour les prescriptions d’hydroxychloroquine (22,2 pour 100 000). À l’échelle départementale les dix départements ayant le taux de délivrance d’hydroxychloroquine le plus élevé étaient Paris (56 pour 100 000), les Bouches-du-Rhône (51 pour 100 000), les Alpes-Maritimes (42 pour 100 000), le Territoire de Belfort (39 pour 100 000), le Var (38 pour 100 000), la Corse-du-Sud (37 pour 100 000), les Hauts-de-Seine (35 pour 100 000), l’Ardèche (34 pour 100 000), les Pyrénées Orientales (32 pour 100 000) et le Cantal (32 pour 100 000) (figure 6). Les départements ayant les taux de délivrance d’hydroxychloroquine les plus faibles (9 à 12 pour 100 000) se situaient plutôt dans l’ouest de la métropole et en Guyane. Il s’agissait de la Mayenne, la Vienne, la Guyane, l’Ille-et-Vilaine, la Manche, les Deux-Sèvres et la Loire-Atlantique. L’association hydroxychloroquine et azithromycine a concerné environ 8 100 personnes.