Congrès de Lyon : Duel au sommet !

Publié par Mathieu Brancourt le 24.06.2011
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congrès de Aides 2011
Lors du congrès de AIDES à Lyon, temps fort de l'association pour les militants, la plénière d'ouverture du 18 juin a démarré par une intervention du président de AIDES, Bruno Spire, suivie par celle de la secrétaire d'Etat à la Santé, Nora Berra. Cette dernière a tenté de convaincre de la bonne volonté des pouvoirs publics dans la lutte contre le sida, malgré le recul des droits pour les étrangers malades et la baisse des financements versés aux associations.
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"AIDES est un mouvement social improbable". C'est en ces termes qu'une militante a souhaité illustrer la construction de l'association, née il y a vingt-sept ans. Par là, c'est l'évocation de la mémoire commune d'une lutte contre une épidémie qui a pris au dépourvu le monde médical, qui l'a plongé dans une sorte d'équation encore non résolue. Le chemin parcouru depuis, la prise en compte progressive par le politique et les progrès de la médecine ne peuvent occulter toutes les difficultés que rencontrent les personnes concernées et les acteurs de terrain, qui déplorent encore les discriminations persistantes et les nouvelles atteintes aux droits des personnes séropositives.
L'association a été novatrice, en initiant la réduction des risques sexuels, il y a dix ans et non sans mal. Comme le rappelle Bruno Spire, "l'approche de la prévention doit être plurielle". Le test à résultat rapide, dit TROD (Test de dépistage Rapide à Orientation Diagnostique) est un autre exemple de nouvel outil de dépistage, porté par l'association. La secrétaire d'Etat à la Santé n'est pas peu fière d'annoncer à ce propos leur mise en place progressive, après les essais biomédicaux. Elle passe néanmoins sous silence les huit mois d'attente pour l'habilitation, délivrée par les Agences régionales de santé (ARS), indispensable à la mise en place de ce dépistage rapide et communautaire dans les actions de AIDES.

Dans son discours, à propos d’un autre sujet, Bruno Spire a averti la secrétaire d'Etat : "Les militants de AIDES vont désobéir", ils vont refuser d'abandonner, par exemple, les étrangers malades, que la nouvelle loi sur le droit au séjour pour soins condamne à rentrer mourir dans leur pays d'origine, faute de traitements effectivement accessibles. Des militants qui s'indignent devant le recul des droits sociaux et le désintérêt global du gouvernement face au VIH. Le contexte a pourtant changé. Les moyens d'enrayer l'épidémie y sont clairement définis et cette perspective est envisageable à moyen terme. Pourtant la santé n'est plus qu'un secrétariat d'Etat et ne peut (ou ne fait) rien pour empêcher les autres ministères (Intérieur, Justice) de porter atteinte à la santé publique. Symptomatique d'un gouvernement pour qui le VIH n'est plus une priorité, quoi qu’il en dise, que ce soit sur le plan national ou international.

Car les financements publics sont à la baisse. Pour justifier cette baisse de moyens, Nora Berra parle "d'arbitrages budgétaires, qui comme pour les autres ministères, s'imposaient". Pour les associations dont les subventions publiques dépassent 130 000 euros, c'est une diminution de près de 14%. De plus, comme le dénonce Vincent Pelletier, Directeur général de AIDES, c'est aussi l'irresponsabilité dans l'annonce d'une réduction de fonds de près de 200 000 euros, faite seulement en juin, portant sur l'année 2011 en cours. Comment expliquer cette annonce administrative tardive et comment ne pas y voir une volonté de nuire à la pérennité de la structure ? La secrétaire d'Etat assure un "langage de vérité" et déclare "ne pas pouvoir se passer des associations". Elle justifie pourtant une baisse "généralisée" des financements, dans tous les ministères, mais promet de questionner l'administration concernant ce "problème" d'annonce. Le politique se reposant sur les associations, ces dernières doivent compter sur la générosité publique, "qui a ses limites". Les attaques ne sont pas fantasmes et les "mobilisations collectives sont présentées comme suspectes, d'autant plus si ces mobilisations peuvent concourir à la transformation sociale", ajoute le président de AIDES. Au niveau international, Nora Berra garantit l'implication forte de la France, "principal financeur du Fonds mondial" (Fonds de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme). Pourtant, la France et d'autres pays ont réduit leurs financements, alors que les objectifs des plans précédents n'ont pas été atteints. Loin s'en faut ! Les acteurs associatifs peuvent "compter sur elle", assure-t-elle.

Très applaudi, le président de AIDES a rappelé à Nora Berra le paradoxe de la politique de santé publique actuelle. "A quoi sert un plan [plan national VIH/IST 2010-2014 ndlr], si on ne peut ou ne veut pas l'appliquer ?", s'est-il indigné. Ce plan national, rédigé en grande partie par les acteurs associatifs, a cerné les grandes priorités des prochaines années. Cette "réponse politique devra être à la hauteur des nouveaux enjeux que laissent entrevoir une perspective de fin d'épidémie", affirme t-il. Mais alors que le ministère de la Santé se gargarise de ce plan volontariste, les coups portés par d'autres ministères (Intérieur, Justice...) aux personnes concernées se multiplient. Au-delà des étrangers malades, c'est l'AME (aide médicale d'Etat) qui est remise en cause, les programmes d'échange de seringues dans le milieu carcéral sont eux obstinément retoqués. "Sans réponse gouvernementale cohérente, ce plan est voué à l'échec", prévient Bruno Spire. Pour la secrétaire d'Etat, ce plan national, dont l'action des associatifs est "gravée dans le marbre", va permettre de marquer un tournant dans la lutte contre l'épidémie. Même sans moyens adéquats ?
Sur le sujet brûlant des personnes étrangères, elle assure que "chaque personne sur le territoire a un accès aux soins" ("rires" dans l'assistance). Les étrangers malades s'en souviendront. Quant au droit au séjour pour soins, elle évoque des "circonstances sanitaires exceptionnelles" qui peuvent être prises en compte dans l'attribution d'un titre provisoire ! ("rires" à nouveau) Elle omet cependant de parler des critères et de leur mise en application. Elle affirme, sans ciller, que son ministère portera les besoins des malades, "dans les limites de la loi" (ricanements, cette fois). "Mais vous pouvez sourire !", s'insurge-t-elle. Oui, Nora Berra, la salle rit... jaune !
Achevant son discours sur la "séro-désobéissance" des militants devant les politiques du gouvernement, Bruno Spire est ovationné, devant une secrétaire d'Etat stoïque. Nora Berra se prétend "sensible au VIH", elle, pour qui la lutte contre le sida a toujours été au cœur de son "éthique personnelle". Cette dernière tient à saluer l'engagement de tous les militants présents, la "mobilisation sans faille, quotidienne pour une cause historique et encore actuelle", dans une association "leader dans son milieu". La secrétaire d'Etat peut effectivement remercier les acteurs associatifs, qui s'évertuent à défendre les intérêts des personnes, quand son gouvernement s'attèle à les précariser. Elle affirme que le VIH reste une priorité de santé publique, tout en invitant l'association à faire preuve de "persévérance, de foi et d'ingéniosité pour diversifier ses financements". De plus, la secrétaire d'Etat refuse "catégoriquement" de parler d'abandon de la part du gouvernement. La référence au religieux n'étonne plus, quant à la teneur de ses récents communiqués de presse, comme sur la légalisation du cannabis. La politique menée (subie ?) par la secrétaire d'Etat marque au contraire le désengagement, la vision idéologique sur des problématiques pourtant étayées par des données scientifiques. Questionnée sur la désobéissance civile, elle déclare qu'elle n'ira pas "en dehors de la loi", restant dans le cadre légal, "parlant en tant que ministre". Pourtant, elle n'a pas manqué de rappeler être "du côté des malades" et d'invoquer sa condition de "femme de vérité", comme dernièrement de "mère de famille", ou jusqu'à "l'idée du sacré que je tiens de ma culture, de mon éducation, de ma religion" pour justifier ses positions sur la drogue et le mariage homosexuel. Drôle de jonglage, madame la Ministre...


Enfin sur les DFA (départements français d'Amérique), notamment sur la situation épidémiologique de la Guyane, la situation décrite par une militante de AIDES montre toute l'hypocrisie d'un discours faussement compatissant. "Cela nous touche dans notre humanité", ose affirmer la secrétaire d'Etat, alors que les moyens mis en place, là-bas, sont dérisoires, dans une région où l'incidence du VIH est en pleine explosion. Elle promet un "tournant, un rattrapage, avec un volet spécifique". Elle répond par l'affirmative quant à la demande d'un visite dans ce DOM. "Il faut le même accès aux soins, peu importe le lieu où l'on réside", déclare-t-elle, encore.


Nora Berra a vraisemblablement écouté les militants durant ce congrès. Mais a-t-elle entendu les revendications formulées ? Telle est la responsabilité qui lui incombe, en tant que ministre, mais aussi en tant que médecin, qui se targue d'avoir encore des "appels de ces anciens patients". Répondra-t-elle à leur appel ?

Commentaires

Portrait de guppy

La Guyane en Afrique depuis quand? C'est quoi au juste les Département Français d'Afrique?
Portrait de frabro

Bien vu Guppy, y a du laxisme dans l'air, ou le regret de l'AEF et de l'AOF..
Portrait de Sophie-seronet

Et sinon, d'autres commentaires à apporter sur l'article ?

Bonne soirée. Sophie

Portrait de frabro

A chaque congrès de Aides, le ministre de service affirme que nous faisons un travail formidable, que le gouvernement compte sur notre apport essentiel, qu'il (ou elle) est très impliqué dans notre combat et qu'il fera tout pour nous soutenir. Et le lendemain il oublie, jusqu'au congrès suivant... Bruno Spire a eu raison de redire nos priorités et nos inquiétudes, mais je crains fort que ces ministres successifs n'en aient finalement rien à cirer...
Portrait de communard2011

Mathieu-seronet wrote:

Dans son discours, à propos d’un autre sujet, Bruno Spire a averti la secrétaire d'Etat : "Les militants de AIDES vont désobéir", ils vont refuser d'abandonner, par exemple, les étrangers malades, que la nouvelle loi sur le droit au séjour pour soins condamne à rentrer mourir dans leur pays d'origine, faute de traitements effectivement accessibles.

Si les militants de Aides sont effectivement prêts à s'exposer comme les militants de RESF à de longues heures de garde à vue dans les locaux de la police aux frontières, à éventuellement cinq ans de prison, à de lourdes amendes et à une inscription au B2, cela est très honorable.

Si cela n'est qu'une déclaration de principe, c'est évidemment plus discutable...

Portrait de Gigilamoroso

bin.....oui JE suis prête...nous sommes prêts....

sans autre commentaire Perplexe

 

gigilamoroso-seronet Cool

Portrait de frabro

Que lors d'une récente manifestation sur le droit aux soins des étrangers sans papier les militant de Aides on tous fini au poste...y compris Sophie qui nous l'avait relaté.
Portrait de communard2011

Il y a une différence de gravité entre le trouble à l'ordre public, passible d'une amende du tribunal de police, et l'aide au séjour irrégulier qui ressort du tribunal correctionnel (Article L622) :

"Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 Euros."

Portrait de Gigilamoroso

on connait nous aussi les risques.....sinon on compte sur vous pour nous apporter des oranges...et pis des clopes bien entendu

 

gigilamoroso-seronet Clin d'oeil

Portrait de Traitdunion

....juste un petit regrets de l'avoir lu un peu trop tard , car je voulait proposer à Bruno de le lire ou plutôt de le commenter et d'apporter un plus à son speach pour la Gay Pride , ou La Marche d'EGALITÉs , car il n'y a plus à quoi d'être "fier" .... et pourtant tous ce temps de combats , c'est comme si tout à été réduit en poussière ..... ou en cendres .... mais j'ai lu un article qu'en Argentine les cendres du volcan chilien sont récoltés, recyclé et transformer en briques pour construire de maisons ....donc , marre de ces paroles de ministres, recyclons ces paroles en cendres et transformons les en mémoire pour élire l'année prochaine un gouvernement plus solidaires et plus attentif à nous et à nos revendications . Juste une chose , je ne sais pas comment Aides voit les difficultés financière d'Act Up mais je pense que pour ça aussi l'association doit être solidaire et revendicatif .
Portrait de Mistigri

....
Portrait de romainparis

le sida ne se nourrit pas de blabla.
Portrait de Traitdunion

se transformer en activiste et pourquoi pas en réac ? Il n'y a pas que le SIDA , alors , c'est sûr et certain que pour convaincre il faut aussi le "blabla" intelligent , car rien a été mis en pratique sans un débat , même les images chocs de période Act Up ça se met en débat avant de mettre en pratique .
Portrait de sonia

Bon j'emets un petit bémol au titre racoleur "Duel au Sommet" de ce communiqué...car c'est bien un communiqué de presse à la gloir'e de Aides, son président et directeur général n''est ce pas? On imagine encore d'autres duels non pas au zénith mais dans les back rooms des saunas et bars  gays...le trod, com test et depistages eclairs pour ou contre, avec le  sneg ou sans Aides?? Bébé bbk  n'a pas encore toutes ses dents sinon gare !!

Mathieu-seronet wrote:
Nora Berra a vraisemblablement écouté les militants durant ce congrès. Mais a-t-elle entendu les revendications formulées ? Telle est la responsabilité qui lui incombe, en tant que ministre, mais aussi en tant que médecin, qui se targue d'avoir encore des "appels de ces anciens patients". Répondra-t-elle à leur appel ?

Comme tous les politiques à l'approche électorale, on vient d'abord, on n'écoute ensuite ! Moi qui naïvement croyais qu'on entendait d'abord les sons puis on se dirigeait vers le lieu naturellement grâce à ses bonnes oreilles; apparamment on vient d'abord comme un abruti  revendiquer (ou faire de l'activisme) et on oublie les questions, les peurs, les projets de vies entendues....Tiens l'autre jour sur la cinq dans l'émission allo docteur, Jean Luc Romero député ump d'élus contre le sida, faisait une équation simple : il faudrait 25 MILLIARDS D'EUROS pour "soigner" tout le monde et éradiquer le SIDA dans 30 ans !!!!

Moi je vous dis, le SIDA, on en a encore pour un sacré bout de temps.....

Portrait de communard2011

Mathieu-seronet wrote:

"Dans son discours, à propos d’un autre sujet, Bruno Spire a averti la secrétaire d'Etat : "Les militants de AIDES vont désobéir", ils vont refuser d'abandonner, par exemple, les étrangers malades, que la nouvelle loi sur le droit au séjour pour soins condamne à rentrer mourir dans leur pays d'origine, faute de traitements effectivement accessibles.

Le premier cas d'expulsion Besson se présente, malheureusement :

http://www.seronet.info/breve/etrangers-malades-ne-besson-pas-la-garde-3...

Portrait de Sophie-seronet

En fait ce n'est pas le premier cas. Certains sont déjà retournés mourir chez eux.

On ne sera jamais plus fort que les lois, mais si à chaque occasion nous mettons notre énergie à dire à ces personnes persécutées que nous sommes à leurs côtés, au delà des citations sur Seronet, et que nous le prouvons dans nos actes au quotidien, c'est certain qu'on sauvera des étrangers malades.

Mettre en exergue les mots des autres a rarement participé à modifier les véritables maux.

Il y a des fois où ta dialectique a pu faire sourire, quoi que, mais à ce niveau, le soutien inconditionnel est de mise. Et s'il y a désobéissance, tu imagines bien qu'elle se fera en toute discrétion, essentiellement pour protéger les personnes concernées.

Bien à toi, Sophie

Portrait de communard2011

Puisque le cas cité ci-dessus rappelle une expulsion qui s'est effectivement déroulée en 2008, qui a conduit au décès de la personne expulsée et qui n'a donc pas bénéficié de l'appel à la désobéissance civile.

Espérons que le couple défendu par le Comité des familles n'aura pas à subir le même sort.

Militant de RESF, je n'ai pas de leçon à recevoir de la part de néophytes en ce domaine.