Coup d’accélérateur aux recherches d’un traitement curatif contre le VIH : Françoise Barré-Sinoussi explique

C’est Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008, et nouvelle présidente de l’IAS qui a, la première, avec un petit groupe de pionniers, identifié le VIH, en allant fouiller dans les ganglions lymphatiques de personnes malades et en observant le devenir de leurs CD4. C’était en 1983, à l’Institut Pasteur de Paris. L’objectif qui l’anime aujourd’hui ? Françoise Barré-Sinoussi nous l’expliquait début mars, calme et déterminée, avec son habituel sourire : parvenir à impulser - "enfin !" - une recherche de haut niveau pour déloger le VIH des cellules-réservoirs dans lesquelles il se cache. Et parce que c’est un défi d’une incroyable complexité, elle a décidé de rassembler, dans une alliance internationale, comme on en connaît pour les vaccins ou la tuberculose, les scientifiques les plus réputés et les innovants. Objectif ultime : parvenir à concevoir un traitement curatif contre le sida.
Lundi 1er mars 2011, Boston, Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI). En ce 2e jour de conférence, l’événement est incontestablement le lancement par, la Société internationale contre le sida (IAS), d’une alliance internationale "vers un traitement curatif contre le VIH". L’IAS regroupe rien moins que 16 000 spécialistes du VIH à travers le monde. L’institution organise la grande conférence mondiale sur le VIH/sida qui se déroule tous les deux ans : Mexico, Vienne, et Washington en 2012.
Purger les cellules réservoirs
Cette alliance internationale vise donc à rassembler les scientifiques les plus renommés et les plus novateurs pour réunir toutes les connaissances sur le sujet et identifier les problèmes à résoudre, pour déterminer des objectifs précis d’action et de recherches. Bref, établir une sorte de "feuille de route" scientifique d’ici à la conférence de l’IAS en juillet prochain. Un coup d’accélérateur qui fait suite à une journée de travail organisée à l’occasion de la CROI, sur la "persistance" du VIH dans les cellules-réservoirs. Car c’est là un des principaux obstacles à surmonter : on ne sait pas "purger" les cellules-réservoirs, celles où s’installe le VIH dès les débuts de l’infection, avant d’y perdurer dans un état "dormant". Dans un état "dormant", c’est-à-dire sans se répliquer, et donc, à l’abri des antirétroviraux, qui agissent précisément en bloquant la réplication virale.
Mais la "dormance" ne dure qu’un temps, et des cellules-réservoirs sont fréquemment réactivées. Conséquence : des virus sont régulièrement relargués, et c’est précisément ce qui oblige à la prise de traitement à vie. L’arrêt des antirétroviraux permet aux virus relargués de commencer à se répliquer très rapidement et… à infecter de nouvelles cellules. Parmi les réservoirs, on compte certains compartiments anatomiques (le tube digestif, le cerveau, les voies génitales) mais aussi certains types de cellules immunitaires, retrouvées notamment dans les ganglions lymphatiques.
Nouveaux éléments, nouveaux "remèdes"
Cette alliance, pourquoi la lancer maintenant ? "Parce que de nouveaux éléments font penser que c’est possible", explique la chercheuse. Avec deux stratégies : le remède fonctionnel et le remède stérilisant. Deux mots pour deux objectifs très différents. Un remède stérilisant consisterait à éliminer totalement le virus, du corps, afin qu’il n’y en ait plus du tout, même à l’état dormant ; une guérison complète de l’infection donc. Tandis que le remède fonctionnel ne vise qu’à obtenir un contrôle du virus par le système immunitaire, en l’absence d’antirétroviraux ; une infection non guérie, mais contrôlée, sans devoir prendre un traitement continu. Irréaliste ? "Plus totalement", estime la chercheuse, "car on a des modèles sur les deux [stratégies ndlr] : les HIV-controllers et le patient de Berlin".
HIV-controllers
Les HIV-controllers sont ces personnes séropositives qui arrivent à contrôler le virus sans prendre de traitement antirétroviral. Elles représentent moins de 0,3 % de la population, et on sait depuis peu qu’ils ont des niveaux de réservoirs VIH très bas. Les recherches se poursuivent pour mieux comprendre les mécanismes de contrôle qu’ils possèdent. Ces mécanismes semblent reposer, chez la plupart d’entre elles, sur la combinaison de plusieurs caractéristiques : des profils génétiques particuliers, un mode de fonctionnement spécifique de certaines cellules immunitaires. Autant de pistes pour concevoir un remède fonctionnel. Fin mai, l’équipe du biologiste moléculaire Monsef Benkirane, à l’Institut de génétique de Montpellier, publiait une étude identifiant une de ces défenses naturelles limitant la réplication virale. Une protéine baptisée SAMHD1, dont il va falloir vérifier si elle est présente chez les HIV-controllers, et si on peut l’utiliser dans des approches thérapeutiques.
Le "patient de Berlin"
Autre exemple, celui de Timothy Ray Brown, plus connu sous le surnom de "patient de Berlin", ce séropositif atteint d’une leucémie (un cancer des cellules de la moelle osseuse), qui a rendu nécessaire une greffe de moelle. Entre plusieurs donneurs disponibles, son hématologiste, le Dr Gero Hutter, a opté pour celui qui, par un heureux hasard, était naturellement résistant à l’infection : il ne possédait pas les co-récepteurs CCR5, en raison d’une double mutation génétique rare, dite "delta 32". Suivant la procédure normale de transplantation, les médecins ont détruit avant la greffe de moelle, toutes les cellules de moelle de Timothy Ray Brown. Toutes ses cellules immunitaires ont donc été remplacées. Trois ans plus tard, on ne trouve plus aucune trace de VIH dans son organisme. Malgré des "problèmes de mise en œuvre" pour une application à grande échelle, "c’est le premier cas de guérison", souligne Françoise Barré-Sinoussi. De quoi, selon elle, lancer une alliance internationale. Et les pistes sont nombreuses : traiter fort et tôt, dès la primo-infection pour empêcher la constitution des réservoirs et la destruction des capacités du système immunitaire à combattre le VIH ; utiliser des vaccins thérapeutiques ou des chimiokines, ces molécules messagères qui régulent l’immunité ; supprimer les co-récepteurs CCR5 par thérapie génique ; voire même, trouver un moyen de pousser le virus à muter pour qu’il soit incapable de se répliquer…
"Etre plus efficace avec moins d’argent"
Problème : "On est dans une période de crise, les budgets de recherches diminuent en Europe et aux Etats-Unis, et il faut travailler de façon coordonnée, entre équipes et disciplines". En clair, mettre en commun les recherches "pour être plus efficaces avec moins d’argent". Ces priorités de recherches, peut-on déjà en déterminer quelques unes ? "L’élaboration de la feuille de route commence tout juste", esquisse la chercheuse, avant de rappeler l’importance de la "compréhension fine des mécanismes", du "continuum entre recherche clinique et fondamentale", des "outils innovants, comme les mesures ultra-sensibles de charge virale" ou encore de "l’élaboration de nouvelles molécules". Bref, un travail de fond. "Les nouveaux outils de demain viendront de la recherche fondamentale. Plus on connaitra les mécanismes exacts de la persistance virale, plus on pourra développer de nouvelles molécules. Mais ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain". A suivre… avec la publication de la feuille de route en juillet.
Lire les communiqués de l’IAS de mars et juin (en anglais).
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Commentaires
Fin du traitement continu ?
criss
supprimer les co-récepteurs CCR5
sais bien
encore un peu d'effort
PFFFF LOLL
kelle jolie mots,et quelle belles frases bien cité
laisse tombée