Crack à Paris : des réponses, ENFIN !

Publié par Fred Lebreton le 27.09.2021
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Alors que la consommation de crack dans le nord-est de Paris pose de vrais enjeux de santé publique et de sécurité, la question des salles de consommation à moindre risque (SCMR) cristallise des tensions politiques et citoyennes fortes. C’est dans ce contexte, et après des mois d’impasse, que le gouvernement a fait un pas, très attendu, vers le déploiement de nouveaux espaces de réduction des risques. Retour sur une semaine riche en rebondissements.

Des salles utiles et efficaces

Tout commence mardi 14 septembre. Les députés-es Caroline Janvier (LREM) et Stéphane Viry (LR), chargés-es d’une mission sur les salles de consommation à moindre risque (SCMR) déclarent que ces espaces sont « utiles et efficaces » tout en soulignant qu’il faut privilégier l’ouverture de nouvelles salles « au niveau de scènes déjà existantes », c’est-à-dire dans des quartiers où la consommation de rue existe déjà. Les députés-es s’appuient sur une étude de l’Inserm publiée en mai 2021 et qui conclut que le dispositif des SCMR a conduit à « une diminution des injections à risque, de la consommation dans l’espace public, des overdoses et des délits ». Depuis des années, le crack, un dérivé de la cocaïne très addictif et bon marché, engendre une consommation de rue de plus en plus forte dans le nord-est parisien et suscite de fortes tensions avec les habitants-es de ces quartiers. En mai dernier, la préfecture de police et la mairie de Paris s’étaient accordées pour regrouper provisoirement les consommateurs-rices dans le nord des jardins d’Eole, site historique de consommation à la frontière des 18e et 19e arrondissements, dans le but de « soulager » les riverains-nes du secteur voisin de Stalingrad. Mais fin juin, la maire de Paris, Anne Hidalgo, décidait de mettre un terme à cette situation provisoire en interdisant aux consommateurs-rices l’accès au parc. Depuis, « les consommateurs et revendeurs de crack ont maintenu leur présence aux abords du site et les scènes de violence comme les nuisances à l’égard des riverains n’ont pas cessé », déplorait le Premier ministre Jean Castex.

Quatre nouvelles salles

Inespéré ! Dans un contexte politique tendu au sujet des drogues entre la ligne dure et répressive du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et du chef de l’État et celle plus modérée du ministre de la Santé Olivier Véran, le Premier ministre a tranché. En réponse à un courrier de la maire de Paris, qui date de fin août, Jean Castex, a donné, mercredi 15 septembre, son feu vert à l’aménagement de nouveaux sites d’accueil des consommateurs-rices de crack à Paris. « La création de nouveaux lieux dédiés à l’accueil et au repos sera soutenue par les services de l’État », sous réserve d’une offre et d’une localisation adaptées, écrit le Premier ministre dans une lettre à la maire de la capitale. Le chef du gouvernement veut « offrir aux consommateurs-rices des lieux de repos et un parcours de sevrage de qualité » et souhaite poursuivre le déploiement de « l’offre de soins » dans le cadre du plan crack signé en 2019 entre l’État et la Ville.

Si Jean Castex n’évoque pas précisément leur aménagement, il déclare que les quatre sites proposés par la Mairie de Paris « ont vocation à s’inscrire dans le cadre expérimental offert par la loi du 24 janvier 2016, que le gouvernement prendra l’initiative de proroger » rapporte Le Monde. « C'est enfin une politique structurelle qui est en train de se mettre en place » dans la prise en charge des consommateurs-rices de drogue, se félicite l'entourage d'Anne Hidalgo, désormais candidate à la présidentielle de 2022 et qui considère l'annonce du Premier ministre comme une victoire.

Projet abandonné à Pelleport

Un pas un avant, un en arrière ? Quelques heures après l’annonce du Premier ministre, la maire de Paris reculait sur le projet de salle envisagée rue Pelleport, dans le XXe arrondissement en raison de sa proximité avec une école. Une « difficulté évidente » pour Jean Castex, et un projet « impossible » pour Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement. Message reçu par Anne Hidalgo qui a annoncé renoncer à ce site dans une « décision conjointe » avec l'État. Malgré ce renoncement, la réunion prévue le soir même entre les habitants-es du quartier et les élus-es du XXea été maintenue. Dans un dialogue de sourds de plus de trois heures, les exclamations ont fusé : « Une salle de shoot, on n’en veut pas ! » «Pensez à nos enfants ! » rapporte Libé. Premier à prendre la parole, le maire du XXe, Éric Pliez, tente d’amorcer la discussion : « Maintenant que le calendrier se desserre, il faut que nous nous mettions d’accord sur une autre localisation pour cette unité de soins et d’hébergement » Réponse de la foule : « Non ! Démission ! ». Et une mère de famille d’ajouter : « On a déjà notre lot de précarité. Les logements sociaux sont surreprésentés dans le XXe ». C’est pas gagné !

Ce sont des êtres humains !

Le lendemain de cette journée riche en annonces, le ministre de la Santé Olivier Véran recevait les associations qui accompagnent les personnes usagères de drogue au quotidien et notamment la Fédération Addiction (1) qui, en retour, a convié des journalistes le vendredi 17 septembre pour un point presse.  Pour Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction, il ne faut pas tomber dans le piège de l’instrumentalisation politique autour des SCMR : « La salle de consommation, ce n’est qu’une partie du moteur qui participe à la prise en charge globale des personnes ». La militante déplore qu’on « oppose sécurité et santé » et regrette la situation actuelle : « Ce qui se passe à Paris est inacceptable. On avait tous les outils pour éviter cette crise (…). Il faut des réponses concertées et des réponses pragmatiques », affirme Nathalie Latour. Qu’est ce qui bloque tant alors ? Pour Élisabeth Avril, directrice de Gaia Paris, association qui gère l’unique salle actuelle de consommation à moindre risque parisienne, les dirigeants-es politiques comprennent les enjeux et soutiennent l’extension des SCMR en off, mais peu d’entre eux-elles assument cette position publiquement. « L’État se décharge sur les associations et les maires d’arrondissements. Au niveau local personne ne veut y aller ! », explique-t-elle. La responsable ajoute que les médias ont leur part de responsabilité dans la lutte contre la « toxicophobie » en montrant la réalité de ce qui se passe dans les espaces de consommation. Élisabeth Avril insiste sur l’accompagnement individuel effectué avec chaque usager-ère et le travail de réinsertion : « Ce sont des êtres humains ; chaque cas est particulier. Il faut une démarche pragmatique qui parte des besoins des personnes ». Elle ajoute que dans l’hystérie collective autour du projet de salle à Pellefort, peu de personnes ont compris ou voulu comprendre que ce n’était pas une salle de consommation. « C’était un projet d’accompagnement dans le soin et la prise en charge globale, un peu comme un hôpital de jour ».

Améliorer l’existant

Compte tenu de l’agenda politique et des tensions que suscitent les débats autour des SCMR, comment faire pour avancer plus sereinement ? Pour Natalie Latour, il faut « rassurer » les gens et écouter celles et ceux qui ont l’expertise de ce sujet. La déléguée de la Fédération Addiction ajoute que les récentes déclarations du Premier ministre et de la Maire de Paris donnent de l’espoir, mais qu’il ne faut pas baisser la garde : « Maintenant, il faut se poser, reprendre étape par étape. Il va falloir du courage, la situation est difficile et risque de s’aggraver ». Même constat de la part du directeur général de l’association Aurore (association de lutte contre l’exclusion), Florian Guyot : « Les peurs [des riverains-nes, ndlr] sont légitimes et les nuisances réelles, mais il faut ré-humaniser les personnes et mettre en place une stratégie globale de soin et d’accompagnement ». Il ajoute que deux tiers des personnes hébergées par son association adhèrent au soin et plus de la moitié réduisent leur consommation.

Et si une des solutions consistait à améliorer ce qui existe déjà ? C’est que pense le Dr Guy Sebbah, directeur général du groupe SOS qui plaide pour des espaces de consommation à l’intérieur des Caarud (centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) et des Csapa (centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie). « Ces structures pourraient être mieux intégrées dans le droit commun et les parcours de soin (…). Les usagers sont déjà là et parfois ils consomment en cachette dans les toilette ou dans les gares et parking », explique-t-il. La mise en place d’espaces de consommation à l’intérieur des Caarud et Csapa fait partie des préconisations du rapport de l’Inserm de mai 2021 et serait une formidable opportunité de réduction des risques qui pourrait être déployée sur tout le territoire. Encore faut-il que cette mesure soit défendue politiquement…

(1) : La Fédération Addiction est le premier réseau d’addictologie de France. Elle regroupe 190 associations, 850 établissements et services de santé, de prévention, de soins et de réduction des risques et plus de 500 médecins et pharmaciens-nes.