Criminalisation du VIH : des experts s'interrogent

Publié par olivier-seronet le 29.06.2009
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procèsjustice et VIH
Le Réseau juridique canadien VIH/sida a organisé, mi juin à Toronto, un 1er symposium sur le VIH et les droits de la personne. Cet événement important avait pour objectif de mettre les "pleins feux sur la criminalisation" du VIH/sida.
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Le nombre toujours grandissant d'accusations criminelles pour avoir transmis le virus du sida préoccupe de plus en plus les chercheurs, les médecins, les militants des associations de lutte contre le sida, les juristes et bien entendu les personnes touchées au premier chef. Le Réseau juridique canadien VIH/sida est probablement la structure la plus engagée et la plus avancée sur les questions de pénalisation. Son rôle est d'autant plus important dans  le contexte si particulier du Canada. Ainsi, il faut rappeler qu'en avril dernier, un Canadien a été reconnu, pour la première fois, coupable de meurtre prémédité pour avoir transmis le virus du sida, dont il se savait atteint depuis 1996, à des femmes. Les conférenciers, dont le fameux juge Cameron, magistrat d'Afrique du Sud, lui-même séropositif, ont beaucoup insisté sur le fait que la criminalisation décourage les gens de passer le test de dépistage et qu'elle entraîne un repli sur eux-mêmes de ceux qui sont déjà porteurs du virus. Comme le rappelle Radio Canada, Christian Desrosiers, avocat criminaliste, a dénoncé les ambiguïtés du Code criminel canadien dans le cas d'un porteur du virus qui ne prévient pas son partenaire, mais utilise un préservatif. "Il y a des jugements qui vont dans tous les sens. Du côté politique, le sénateur Pierre-Claude Nolin a estimé que le débat ne devait pas faire oublier que les autorités ont quelque peu relâché leur effort de sensibilisation. "Criminaliser, c'est très facile. Prévenir, c'est très complexe. C'est là que doit s'articuler la responsabilité de l'État, a-t-il estimé.

Mélina Bernier et Stéphanie Claivaz-Loranger de la COCQ-SIDA étaient à ce symposium de Toronto. Interview express : Quels ont été pour vous les éléments marquants de ce symposium ?

L’intervention du juge Sud-africain Edwin Cameron a définitivement été un des points marquants du symposium. Il a indiqué que l’approche du Canada quant à l’utilisation du droit criminel en matière de non dévoilement du VIH est clairement trop large. Il est inquiet quant à l’exemple que le Canada donne au reste du monde, et spécifiquement aux pays d’Afrique.  Le juge Cameron a entre autres souligné plusieurs arguments contre une utilisation large du droit criminel en matière de non dévoilement du VIH (le fait de dire à quelqu’un que vous avez le VIH), les principaux étant que :

  • La criminalisation est inefficace en matière de prévention.  Ce qu’il faut plutôt, ce sont des mesures contre la discrimination (« HIV is a virus, not a crime »);
  • La criminalisation met les femmes à risque au lieu de les protéger. Sur ce point, il a parlé des femmes africaines qui ne sont pas toujours en mesure de négocier le sécurisexe (« sexe à moindre risque ») avec leur partenaire, et qui peuvent ensuite être poursuivies;
  • La criminalisation rejette l’entièreté du fardeau moral sur les personnes séropositives;
  • Le droit criminel est difficile à appliquer en ce qui concerne le non-dévoilement du statut sérologique, notamment en raison des nombreuses zones grises du droit criminel à ce sujet;
  • La criminalisation alimente la stigmatisation (surtout au sein des groupes marginalisés);
  • La criminalisation peut décourager les gens de se faire tester.


D’autres éléments marquants ?

La remise du prix de l’action contre le VIH/sida et pour les droits humains du Réseau juridique canadien VIH/sida et de l’ONG américaine Human Rights Watch. Les récipiendaires de cette années sont : Michaela Clayton à l’international et Viviane Namaste pour le Canada.

Michaela Clayton milite pour les droits humains en lien avec le VIH en Afrique du Sud. Lors du symposium elle a évoqué les conditions de vie des femmes, notamment en regard des violences qu’elles subissent à divers niveaux. Cela a permis d’engager un dialogue sur la place des femmes dans le mouvement de la lutte contre le VIH, sachant que plusieurs groupes de femmes sont favorables à la criminalisation de la transmission au VIH. Des arguments intéressants contre la criminalisation, du point de vue des femmes, ont été présentés, dont ceux cités par Edwin Cameron. Il ressort de cette discussion que les femmes continueront de revendiquer la criminalisation si elles n’accèdent pas à de meilleures conditions de vie et à un réel pouvoir social et personnel. En ce sens, il est pertinent de noter qu’une des quatre priorités d’action du Réseau juridique canadien VIH/sida pour l’année 2009-2010 est de renforcer et défendre les droits des femmes.

Viviane Namaste, elle, est titulaire de la chaire de recherche sur le VIH/sida et la santé sexuelle et professeure agrégée à l’Institut Simone de Beauvoir, à l’Université Concordia de Montréal. Elle a évoqué les populations « oubliées » dans la lutte au VIH : les personnes transsexuelles et les personnes bisexuelles. Madame Namaste « a réalisé des recherches détaillées, au Québec et en Ontario, sur les besoins de prévention et de services en matière de VIH parmi les personnes transsexuelles, une communauté souvent laissé en marge des services liés au VIH/sida, des campagnes de prévention ainsi que des initiatives portant sur des politiques » (source : www.aidslaw.ca/prix).
Viviane mène présentement une recherche-action sur les besoins de soutien et de prévention des personnes bisexuelles en lien avec le VIH (plus d’infos sur www.polyvalence.ca).

Généralement les associations justifient leur refus de la criminalisation de la transmission du VIH du fait de l'impact négatif que cela pourrait avoir sur le dépistage. Est-ce de nouveaux arguments ont été évoqués lors de cette réunion ?

C’est le juge Cameron qui a parlé le plus longuement des différents arguments contre une criminalisation large (voir ci-dessus). Barry Adams, sociologue, a parlé d’une étude qu’il est en train de mener afin de mieux connaître les impacts, sur les personnes séropositives, des poursuites pénales pour exposition au VIH ou sa transmission.  Cette étude est née d’un besoin ressenti de « vérifier les présuppositions sous-jacentes à l’obligation de dévoilement en tant que stratégie de prévention du VIH ainsi que politique publique. »  Résultats à suivre… Il a aussi mentionné que  « le dévoilement n’est pas associé à un taux accru de sécurisexe entre homme gais ou bisexuels.  La pratique constante du sécurisexe ne requiert généralement pas cette discussion et a lieu sans elle. »

Plus d'infos sur http://www.aidslaw.ca, les informations sont également disponibles en français.

Eléments d'illustration : Yul Studio et Shinemy

Commentaires

Portrait de nathan

"Cela a permis d’engager un dialogue sur la place des femmes dans le mouvement de la lutte contre le VIH, sachant que plusieurs groupes de femmes sont favorables à la criminalisation de la transmission au VIH. Des arguments intéressants contre la criminalisation, du point de vue des femmes, ont été présentés" Il n'y a que dans ce passage dans cet article qu'est évoquée une position en faveur de la pénalisation de la transmission et encore, de manière très floue et immédiatement rejetée. Il s'agit donc une fois de plus non pas d'un article d'information mais d'un plaidoyer contre la pénalisation de la transmission. Et la co-signature d'Olivier en fait donc un texte militant contre la pénalisation et non un "article'" d'information. Il aurait davantage sa place dans une "tribune". Il s'agit donc ici non pas d'information mais de communication. Je ne suis pas un militant de la pénalisation. Je le suis du traitement précoce. Je l'ai déjà écrit. Car d'une certaine manière avec le traitement précoce généralisé, c'est toute la question de la pénalisation qui devrait être remise en perspective. Ce que je n'arrive toujours pas à comprendre, c'est pourquoi vous vous évertuez à nous présenter régulièrement des plaidoyers contre la pénalisation sans jamais nous présenter les arguments précis des partisans de la criminalisation. Cela aurait au moins une vertu pédagogique surtout si soi-même on était un jour confronté à cette situation. C'est en connaissant mieux son ennemi qu'on parvient à mieux le combattre.
Portrait de skyline

Parce que les pro-pénalisation n'ont pas d'arguments précis ou objectifs, il n'ont que des ressentiments subjectifs et moraux qui rejettent en bloc les conséquences sociales et sanitaires de cette judiciarisation inique d'une maladie contagieuse. Les pro-pénalisation n'ont pas d'arguments : seulement de la haine et un ardant désir de contrôle social. Mais il s'agit aussi de contexualiser : le Canada a, en terme de criminalisation de la transmission sexuelle du VIH et par rapport aux autres pays occidentaux, la pire politique (l'exposition simple, même avec préservatif, y est condamnée) et procède des condamnations les plus graves (jusqu'à meurte avec prémédidation) - cette "pénalisation large" - alors qu'on y vit déjà une sérophobie et un sérotriage assez insupportable comparativement à mon expérience française. Alors oui, il ne s'agit plus de faire de l'angélisme journalistique mais du militantisme solidaire. Merci Seronet. Bien à toi Nathan.