Crise de foie !

Publié par jfl-seronet le 26.06.2011
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journée nationalehépatite
Il en est de certains colloques comme de certains repas… C’est trop riche, trop lourd, trop... Le colloque de la Journée nationale de lutte contre les hépatites B et C, le 25 mai dernier, était de ceux-là. Résultat ? Un expéditif zakouski ministériel, des problèmes de carte, de rares mets passionnants à déguster, beaucoup de grosses tambouilles et des trucs bizarres qui ne passent pas… mais vraiment pas ! Seronet y était et vous raconte le colloque par le menu.
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"Zakouski ministériel"
Elle arrive avec du retard… ce qui fiche un sacré bazar dans l’organisation. Nora Berra, secrétaire d’Etat à la Santé, est de passage. Elle est là pour rappeler les engagements de l’Etat dans la prise en compte de l’hépatite B, une des maladies virales les plus répandues dans le monde. Elle dresse un tableau assez noir de la situation, égrène quelques chiffres (en France, plus d’un demi-million de personnes sont porteuses des virus des hépatites B et C). Dans une intervention calibrée, convenue et parfois maladroite, elle affirme que les hépatites sont une "priorité des pouvoirs publics" (notoirement sous-financées comme chacun sait) et que les 4 000 personnes qui en meurent par an ne sont pas "négligeables". Nora Berra insiste sur la priorité à donner au dépistage, avec le "fait aggravant" des personnes qui ne connaissent pas leur statut sur la dynamique de l’épidémie. Bref, beaucoup de banalités (c’est fait exprès ?) et de rares annonces. "Comme nous l’avons fait pour le VIH, il nous faut pouvoir disposer de tests d’utilisation simple et rapide pour orienter les personnes infectées vers les filières de soins adaptées. C’est dans cet esprit que j’ai récemment saisi l’Afssaps [Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ndlr] pour qu’elle évalue la performance des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) et la HAS [Haute autorité de santé, ndlr], pour qu’elle en définisse la stratégie d’utilisation". Voilà, ça au moins c’est une nouvelle… même si on doit tempérer l’enthousiasme puisqu’à aucun moment Nora Berra ne parle des moyens financiers pour soutenir cette mesure. "L’arrivée de nouvelles molécules toujours plus efficaces (…) couplées à un meilleur dépistage de l’hépatite C, nous imposent d’anticiper l’afflux d’un grand nombre de patients, entre 15 000 et 20 000 (….) soit trois à quatre fois le nombre de patients traités en 2010. A cet égard, des travaux ont été engagés par la DGOS [Direction générale de l’organisation des soins, ndlr] et la Direction générale de la Santé, pour définir des stratégies d’absorption efficace de ces flux", énonce, avec un grand tact, Nora Berra. Ah oui, sur cela aussi pas un mot du financement. Applaudissements. Gardes du corps. Sortie rapide. Fin de la visite ministérielle !

"Grosses tambouilles"
Toute l’ambiguïté de cette Journée nationale est là. Une secrétaire d’Etat qui est si contente d’elle qu’elle ne prend pas la peine d’assister aux débats. Des experts qui n’apportent pas la contradiction. Si on en croit les organisateurs, cette journée est d’abord un temps d’échanges et d’informations à destination des acteurs de la lutte contre les hépatites - ça l’est en partie. En fait, selon Nora Berra, c’est surtout un temps consacré au Plan national de lutte contre les hépatites B et C 2009-2012. Cette journée est d’abord un point d’étape sur le Plan, un point d’étape cuisiné aux petits oignons par ceux-là même qui assurent le suivi du dit plan. Ce sont, en effet, le professeur Daniel Dhumeaux et Michel Bonjour de SOS Hépatites, respectivement président et vice-président du Comité de suivi du plan national hépatites, qui ont dressé le menu en lien avec la Direction générale de la Santé. De façon assez surprenante et dérangeante, l’organisation n’a pas voulu mettre en avant la parole des personnes directement concernées, ni promouvoir leurs revendications. C’est surprenant parce que le communiqué de presse de SOS Hépatites (un des principaux organisateurs de la journée) du 25 mai pointe, avec une grande justesse, certains enjeux du moment : échec d’une politique répressive à l’encontre des personnes usagères de drogues, dénonciation des politiques marginalisant certains groupes, renforcement de la couverture vaccinale contre l’hépatite B, renforcement du dépistage et de l’offre dans ce domaine avec les TROD, incapacité à penser la lutte contre les hépatites comme un combat associant le Nord et le Sud, etc. C’est dérangeant parce qu’il n’est pas possible, lors d’une telle journée, de ne pas partager avec les experts (chercheurs, professionnels de santé, etc.) les revendications des personnes touchées par une hépatite virale ou co-infectées. C’est d’autant plus critiquable lorsque ces revendications existent. Ce sont les recommandations établies lors des Rencontres nationales "Mieux vivre avec une hépatite C" organisées par AIDES et SOS Hépatites à l’automne 2010 avec 175 personnes concernées par le VHC. A partir de ces recommandations, AIDES en a tiré dix mesures urgentes qu’elle a publiées à l’occasion de cette Journée du 25 mai. Des militants de AIDES sont d’ailleurs intervenus, à plusieurs reprises, pour les faire connaître au public présent lors du colloque. Du coup, le choix du comité organisateur de ne pas relayer, à cette occasion, la parole des premiers concernés, parole que AIDES et SOS Hépatites ont pourtant permis de faire naître déçoit… désagréablement.

"Des trucs qui ne passent pas"

Le malaise ne s’est pas dissipé avec l’intervention du président de SOS Hépatites, le docteur Pascal Mélin. Déjà, une phrase du communiqué de presse de son association (le 25 mai) avait suscité une certaine lassitude. L’association y rappelait que les hépatites virales B et C tuent plus de 4 000 personnes sur le territoire français et comparait avec le VIH : "C’est 10 fois plus que le sida aujourd’hui". C’est oublier que les personnes vivant avec le VIH meurent de bien des causes du fait du virus, qui ne sont pas à proprement parler le "sida". Cette comparaison, cette compétition même, entre les droits des malades, dessinent, en creux, une critique : on donnerait trop au VIH qui tue moins que d’autres maladies. Cette fois, Pascal Mélin s’est voulu plus démonstratif. "La France est bonne dans le VIH. Les moyens en information et prévention sont par patient de 530 euros pour un malade VIH et de 8 euros pour un malade d’hépatite… Il faut un rééquilibrage !", tacle Pascal Mélin. Là c’est trop. En effet, la question n’est pas d’ôter des moyens à la lutte contre le sida (ce qui, soit dit en passant, se fait chaque année) donc de "rééquilibrer" l’investissement contre les hépatites, mais bien d’exiger que celui-ci soit aligné. L’injustice n’est pas qu’on investisse 530 euros pour un malade du VIH, mais que l’Etat ne fasse pas les mêmes efforts pour les malades d’hépatite. N’oublions pas non plus qu’une personne séropositive au VIH sur trois, vit également avec une hépatite B ou C. Il faudrait (une bonne fois pour toutes) que le président de SOS Hépatites comprenne que la concurrence des malades qu’il entretient obsessionnellement est inepte et contreproductive. Du coup, entendre une assemblée entière applaudir une telle sortie sonne comme une gifle.

"Problèmes de carte"
Une gifle ! Le président de SOS Hépatites a du la sentir avec l’intervention de Jean-François Delfraissy. Le directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales a rappelé les missions de l’institution qu’il anime, mais surtout parlé de la nature de l’activisme VIH et des succès que la pugnacité des premiers militants de la lutte contre le sida ont obtenus. Cette intervention montrait que de nombreuses avancées sont le résultat d’une culture militante, libre des attaches médicales, délibérément politique et revendicative. Elles sont aussi le résultat de revendications portées par les personnes qui sont les premières concernées : celles qui sont malades. C’est ça qui a donné au VIH et à son traitement par les pouvoirs publics sa spécificité. Un exemple à suivre plutôt qu’à saboter. L’autre claque est venue plus tardivement lorsque Jean-François Delfraissy a expliqué que, même si c’est regrettable, incompréhensible et une "connerie", les maladies infectieuses dont les hépatites virales ne sont pas une priorité de financement européenne dans le domaine de la santé. Pour lui, la seule porte d’entrée jouable dans un premier temps est celle de la co-infection (VIH/hépatites). Dans ce contexte, est-ce bien raisonnable de faire de la concurrence entre ces deux maladies une unique ligne politique ? A ce jeu, il est probable que tout le monde y perde, les personnes vivant avec le VIH, le VHC, le VHB ou la co-infection.

"Des mets passionnants"
Heureusement, la journée a connu de bons moments comme la table ronde sur la réduction des risques liés à l’usage de drogues… Nous y reviendrons prochainement. C’était le dernier temps de discussion… un temps, hélas, un peu sabordé. C’est un peu la loi du genre avec les colloques dont la prétention est de faire le tour d’une question, en l’occurrence la lutte contre les hépatites B et C en France, en Europe et dans le monde, en sept heures ! Cela suscite des frustrations, du trop plein et, au final, le sentiment d’une occasion ratée. Cette occasion l’est doublement. D’abord parce qu’avec un menu façon Vatel (six tables rondes en une journée et des tables rondes d’une heure avec six intervenants !), on a souvent eu droit à des présentations tronquées conduites au pas de charge et, évidemment, des interventions de la salle réduites à… quelques miettes. Ensuite, conséquence logique du problème précédent, c’est que cette réunion a bien mis en avant les experts et bien peu les revendications des personnes atteintes d’une hépatite ou co-infectées. C’était parfois à se demander si ce n’était pas voulu. Heureusement, la Journée mondiale contre les hépatites se déroulera le 28 juillet prochain… Une bonne occasion de changer la carte et de faire du bruit sur les dix mesures d’urgence réclamées par les personnes malades.

Commentaires

Portrait de communard2011

Bon article engagé de ce journaliste de Aides *** un propos a été modéré ***.

A la lecture de cet article, j'ai eu le sentiment que certaines associations étaient prêtes à lancer une Opa hostile contre Sos Hépatites. 

Portrait de Patleon

"Ce sont, en effet, le professeur Daniel Dhumeaux et Michel Bonjour de SOS Hépatites, respectivement président et vice-président du Comité de suivi du plan national hépatites, qui ont dressé le menu en lien avec la Direction générale de la Santé. De façon assez surprenante et dérangeante, l’organisation n’a pas voulu mettre en avant la parole des personnes directement concernées, ni promouvoir leurs revendications. C’est surprenant parce que le communiqué de presse de SOS Hépatites (un des principaux organisateurs de la journée) du 25 mai pointe, avec une grande justesse, certains enjeux du moment..." Il n'y a là rien de surprenant. Il suffit simplement de clarifier un malentendu : L'organisation & le programme de la journée revient à la DGS. La direction & le Bureau de SOS Hépatites ont découvert un programme déjà ficelé dans lequel nous revenait une participation & une modération aux Tables Rondes. "A partir de ces recommandations, AIDES en a tiré dix mesures urgentes qu’elle a publiées à l’occasion de cette Journée du 25 mai. Des militants de AIDES sont d’ailleurs intervenus, à plusieurs reprises, pour les faire connaître au public présent lors du colloque. Du coup, le choix du comité organisateur de ne pas relayer, à cette occasion, la parole des premiers concernés, parole que AIDES et SOS Hépatites ont pourtant permis de faire naître déçoit… désagréablement." Nombre de bénévoles dans la salle ont été plus que déçu du manque de dialogue avec la salle & les Hépatants... A l'entrée de l'Amphi, le journal des Rencontres Hépatati & Patata figurait en bonne place & était distribué.
Portrait de Patleon

"Cette comparaison VIH-Sida & Hépatites, cette compétition même, entre les droits des malades, dessinent, en creux, une critique : on donnerait trop au VIH qui tue moins que d’autres maladies." Et bien non. A plusieurs reprises SOS Hépatites s'est positionné pour défendre l'importance des moyens à accorder au VIH-Sida. Et dans la majorité des cas, nous avons toujours pris la précaution de souligner qu'il ne s'agissait pas de nous opposer au budget qui pouvait être accordé à cette cause. Nous ne pouvons être partisan d'une orientation qui consisterait à déshabiller Paul pour habiller Jacques. On reste sur une comparaison factuelle : Les hépatites enregistrent près de 5000 morts par an & les moyens en information et prévention sont par patient de 530 euros pour un malade VIH et de 8 euros pour un malade d’hépatite… Cette interpellation s'adresse à la DGS & au Ministère de la Santé. Les Hépatites ont été reconnues comme une priorité de Santé Publique au même titre que la Tuberculose, le Paludisme & le VIH-Sida par l'OMS en 2010 mais qu'en est-il du Fond de Solidarité ??? Quant à la lassitude, elle est partagée... D'autant lorsqu'on surprend ce consensus entendu des Experts à l'annonce des budgets consacrés aux Hépatites par la Chine : "Avec des budgets comme ça, c'est facile..."