CROI 2012 : Jeudi, dernière nuit blanche à Seattle

Publié par Rédacteur-seronet le 10.03.2012
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pistes guérisonCroi 2012
Ça, c’est fait. Plusieurs jours qu’on se retenait de rendre cet hommage ému à Meg Ryan. Tout ça pour finalement craquer. De vraies midinettes à poils et à barbes. C’est que tout le monde est réellement épuisé en ce 4e et dernier jour de CROI…
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En plus des sessions (8h30-18h), il y a les rendez vous d’investigateurs, les pince-fesses, les réceptions des communautés américaines et européennes. La fatigue s’accumule. Et en plus, on aime ça. Malgré les 9 heures de décalage qui nous déconnectent presque totalement de la France et de Sophie et Franck qui assurent l’indispensable back office à Paris.


Après une nuit très courte, encore un lever aux horreurs – oups aux aurores – pour l’enregistrement d’un panel francophone avec l’Ifara TV avec la virologue Christine Rouzioux, l’épidémiologiste et biostatisticienne Dominique Costagliola, le clinicien Jade Ghosn et… Bruno Spire. Il s’agissait de faire un résumé (en vidéo entre un beau lierre en plastique et une belle photo de Seattle, s’il vous plaît) des points forts de la CROI. 37 minutes de bonheur pur...

TB pour la TB
Pendant ce temps, en séance plénière, on discutait des avancées thérapeutiques dans le domaine de la tuberculose. La prise en charge de la tuberculose nécessite le développement de nouveaux traitements plus faciles à prendre, efficaces sur les bactéries résistantes et qui permettent une guérison la plus rapide possible (aujourd’hui de 6 à 12 mois de traitement). Eric Nuermberger (Université John Hopkins) a exposé les propriétés des molécules en développement… Qu’on espère voir commercialisées dans les années à venir. Deux très bonnes nouvelles : elles semblent pouvoir raccourcir la durée du traitement et être efficaces sur les bactéries résistantes. Les équipes impliquées dans la recherche de nouveaux traitements explorent aussi la possibilité d’évaluer ensemble plusieurs nouveaux médicaments en développement. Comme l’ont fait les équipes qui travaillent sur les traitements de l’échec thérapeutique du VIH.


Santé dans le monde : des progrès (ou pas)

Une demi-heure plus tard, Christopher Murray (Institute for Health Metrics and Evaluation de Seattle) présentait les premières données de l’évaluation 2010 de la santé des populations dans le monde. Réunies grâce à un nouvel outil qui sera disponible sur Internet cet été. Les premières données montrent les quelques progrès enregistrées depuis 2005 pour ce qui est de l’impact de l’épidémie de VIH. Mais aussi cruellement que les financements mobilisés stagnent depuis 2009. Et pourraient peut-être avoir légèrement diminué en 2011.


Une bonne cure, ça fait toujours du bien
Comme disait ma grand-mère. Les curistes se pressaient donc à la session sur l’éradication (guérir du VIH !!) qu’on attendait tous. Avec d’abord, un argument de plus en faveur du traitement en primo-infection. Maria Buzon (du MIT et de Harvard) a comparé l’évolution des réservoirs chez les personnes commençant le traitement en primo-infection, par rapport avec ceux qui commençaient en phase chronique : même 10 ans après, les réservoirs sont beaucoup plus bas chez les patients qui on été traités en primo-infection. En fait, ils sont du même ordre que ceux des personnes dites "VIH contrôleurs" qui n’ont jamais besoin de traitement (ou seulement après de très nombreuses années d’infection). Suivait une présentation quelque peu complexe qui a suscité une certaine incompréhension.

Purger ne suffit pas
Plusieurs équipes de chercheurs essaient de concevoir des modèles in vitro les plus efficaces possibles pour voir comment "tuer" les cellules réservoirs, ou des tests pour mesurer l’expression du virus dans les réservoirs. Liang Shan (Université John Hpokins) a montré que réactiver le réservoir ne signifie pas automatiquement l’éliminer. Ainsi une molécule anti-latence dont on a et va beaucoup parler, le vorinostat (SAHA) ne permet pas de vider les réservoirs. Il semble qu’il faut, en plus, stimuler les cellules T tueuses (Natural Killers) avec du virus pour arriver à observer la mort des réservoirs. In vitro, tout cela.


La première preuve chez l’humain qu’on peut activer le réservoir du VIH !
C’est le vorinostat qui l’a permis ! Dans une étude de l’équipe de David Margolis (Université de Chappel Hill en Caroline du Nord, oui oui, la même fac que celle de Miron Cohen et HPTN 052 !). Appartenant à Merck (MSD), le vorinostat est déjà commercialisé sous le nom Zolenza pour traiter les lymphomes cutanés (un cancer de la peau). Six patients ont participé et ont reçu une dose de vorinostat qui semble persister dans l’organisme pendant plusieurs heures. C’est tout ce qui a été autorisé, par sécurité ! On a pu observer une stimulation du virus des réservoirs. Il n'y a pas eu d’augmentation de la charge virale VIH dans le sang même avec des tests ultra-sensibles. Il n’y a pas eu d’effets indésirables graves observés avec cette dose unique. Sharon Lewin, à Melbourne, l’a testé en 14 jours, là encore ça semble activer sans problème de sécurité, mais ce n’est pas encore publié.


Contrôler PD-1 pour éliminer le virus

Deuxième étape : une stimulation immunitaire ciblée. Des chercheurs ayant montré que la molécule PD-1 est utilisée par le virus pour échapper au contrôle immunitaire, on a essayé de la bloquer grâce à des anticorps spécifiques. Chez des singes, cela a permis de contrôler la réplication du virus chez certains d'entre-eux (et certains seulement) après interruption du traitement.


Les quinolines-8-ol
D’autres modèles de cellules latentes pour mimer le réservoir ont été présentés. Ils ont permis de faire des tests systématiques dans des bibliothèques de molécules afin d’identifier des molécules candidates permettant de purger les réservoirs (C’est ainsi qu’on avait trouvé l’activité anti-VIH de l’AZT en 1985, une molécule extraite du sperme de saumon et qui avait été auparavant développée sans succès dans le cancer, dans les années 50). Bingo : une nouvelle famille, celle des quinolines-8-ol.


Thérapie génique
D’autres résultats – enfin - étaient présentés par Pablo Tebas (Université de Pennsylvanie) sur la thérapie génique et les zinc fingers (doigts de zinc). Il s’agit de rendre un pool de CD4 résistants au VIH, en supprimant les gènes qui codent pour les co-récepteurs CCR5 et qui permettent au virus de s’accrocher pour rentrer dans nos cellules. Rien de bien nouveau par rapport aux résultats qu’on a déjà reportés. Des cellules de personnes ont été modifiées in vitro et réinjectées chez des patients qui étaient mauvais répondeurs immunologiques : une charge virale contrôlée mais des CD4 qui restaient trop bas. Après la transfusion de ces cellules, on a observé une remontée des CD4 chez ces patients. Ces cellules ont également repeuplé les tissus de l’intestin, très affectés par le VIH dès le début de l’infection.


Ca se complique !
En attendant le cure, il faut bien faire avec les ARV actuels. Dans la dernière plage de la journée, une session proposait d’excellentes revues sur les complications du VIH, et notamment le vieillissement, les risques cardio-vasculaires, l’ostéoporose, les troubles cognitifs. C’est compliqué : il faut faire la part des choses entre rôle du VIH, rôle des ARV, rôle du mode de vie (par exemple, les séropos fument deux à trois fois plus ; le manque d’activité physique est un problème, mais il n’est pas toujours facile de trouver une pratique sportive adaptée à son état de santé). Quid du vieillissement accéléré ? La chercheuse Jacqueline Capeau (Hôpital Saint Antoine à Paris) nous le disait ce soir en interview vidéo (à venir) : "Chez les personnes séropositives depuis longtemps, avec une histoire thérapeutique complexe, on peut dire que les troubles liés au vieillissement surviennent 10 ans plus tôt. Ce ne sera pas forcément le cas pour ceux qui sont contaminés depuis moins longtemps et qui ont bénéficié très tôt des traitements récents. Ceux-là vieilliront comme les autres".

Fin de journée
Dernière journée de la conférence, le centre des congrès s’est vidé tout doucement. Certains sont partis en début d’après-midi (il y avait des médecins français, mais même sous la torture on taira leurs noms). Tout est allé très vite comme à chaque fois. CROI intéressante à bien des égards qui annonce de potentiels bouleversements.

Que retenir ? La Prep, les données (trop tardives) sur la co-infection VIH/hépatite C, et les premières recherches qui s’ouvrent vers une possible guérison de l’infection à VIH.

"C’était une CROI pour rêver", disait ce matin Dominique Costagliola au sortir du tournage. "Rêver à l’éradication du VIH, rêver à l’éradication du VHC, rêver à l’éradication de la transmission mère-enfant. Des avancées scientifiques et médicales, mais sans moyens pour les appliquer". Faut faire … mais sans argent !