CROI 2013 : le point sur les actualités thérapeutiques

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Côté nouveaux traitements (à espérer néanmoins dans des délais raisonnables), cette 20e CROI n’aura pas été un bon cru. Même si beaucoup de résultats (très) préliminaires sont, en théorie, assez enthousiasmants, certains n’auront peut-être jamais d’applications concrètes dans nos vies. Sélection de présentations orales et posters présentés ces derniers jours.

Le TAF, un ténofovir efficace à des doses 10 fois plus faibles

C’est une nouvelle version du ténofovir, appelée ténofovir alafénamide (TAF), qui est efficace à des doses dix fois plus faibles que l’actuelle, appelée ténofovir disoproxyl fumarate (TDF). Le laboratoire fabricant (Gilead) a développé une nouvelle version du comprimé "trithérapie tout-en-un" Stribild (dont l’Autorisation de mise sur le marché européenne pourrait être accordée d’ici la fin avril, le nom de marque étant vraisemblablement le même). Dans cette nouvelle version, le ténofovir (TDF) est remplacé par sa nouvelle version (TAF). Les autres molécules des deux versions de Stribild sont l’emtricitabine et l’elvitégravir, une anti-intégrase expérimentale avec son booster expérimental, le cobicistat. La dose normale de TAF est de 25 mg, mais dans le combiné elle n’est que de 10 mg car le cobicistat augmente aussi sa concentration de 2,2 fois. C’est une étude de phase 2 avec 150 participants qui a été présentée. Le médicament fait aussi bien que la première version de Stribild (89,7 % contre 87,5 % des personnes avaient une charge virale indétectable à la fin de l’essai). Le TAF semble moins modifier les paramètres de l’état des os et des reins que l’actuel ténofovir. Cela devra être confirmé par un essai de phase 3 qui est en cours.

Cénicriviroc : aussi bien que Sustiva au bout de 6 mois

Cet anti-CCR5 est également actif contre le CCR2, ce qui, théoriquement, pourrait lui conférer un effet anti-inflammatoire, selon son fabricant, le laboratoire Tobira. Une étude de phase 2b avec 143 participants a été présentée. Elle comparait deux dosages de cénicriviroc (100 mg ou 200 mg par jour) à l’éfavirenz (Sustiva) qui est une des molécules les plus prescrites. Sur le plan de la charge virale, le cénicriviroc a fait aussi bien que l’éfavirenz. Au niveau des lipides, aussi. En termes d’inflammation, certaines données suggèrent un possible effet anti-inflammatoire qui serait plus important avec la dose de 200 mg, mais qui reste à confirmer.

Les nucléosides pas nécessaires en cas d’échec thérapeutique ?

Beaucoup de personnes dont le traitement est en échec sont résistants aux nucléosides (les médicaments contenus dans Truvada, Kivexa ou Combivir). Les recommandations mettent pourtant des nucléosides dans les combinaisons en ajout des nouvelles molécules auxquelles les personnes n’ont pas été exposées. Un essai a tenté de retirer les nucléosides, dans ce cas. Les personnes ont surtout connu des apparitions de résistances avec le raltégravir, des antiprotéases ou le maraviroc. Mais cela a été vrai avec ou sans nucléosides. Les résultats montrent que ne pas mettre de nucléosides permet d’obtenir un taux de succès qui n’est pas inférieur avec une combinaison qui contient les nucléosides. 

Maraviroc : pas d’effet sur l’IRIS

L’étude CADIRIS souhaitait évaluer si l’ajout du maraviroc (Celsentri, un anti-CCR5) pouvait, prévenir les IRIS : ces syndromes de reconstitution immunitaire, à effet paradoxal, puisqu’il arrive qu’on tombe malade alors même que le système immunitaire se renforce grâce aux trithérapies. L’essai a été mené chez des personnes commençant les antirétroviraux avec un taux de CD4 bas (ici moins de 100, 30 en moyenne). Les IRIS surviennent chez certaines personnes à un stade avancé de la maladie et avec des antécédents d’infections opportunistes, les signes et symptômes inflammatoires dus à des infections antérieures peuvent survenir peu de temps après le début du traitement anti-VIH. Cela n’a pas marché, il y a eu autant de cas d’IRIS avec ou sans maraviroc (environ 6 %).

MK-1439 : un nucléoside avec un profil de résistances inédit

Le laboratoire pharmaceutique Merck a présenté les tous premiers résultats (phase 1) d’une molécule, le MK-1439, un nouveau non nucléoside (comme Sustiva, Viramune, Intelence, Edurant) en une prise par jour conçu pour rester efficace sur les virus présentant des résistances aux non nucléosides déjà connus. Il devrait aussi être mieux toléré sur le plan psychique que l’efavirenz, qui provoque fréquemment insomnies, vertiges, cauchemars, etc. Cela devra être confirmé par des études ultérieures. C’est d’autant plus intéressant qu’en février dernier, le laboratoire ViiV Healthcare avait annoncé qu’il arrêtait le développement d’un autre nucléoside présentant un profil de résistance inédit ; il avait été présenté à la conférence de Rome en 2011, et nous en avions parlé ici. Espérons que cela ne sera pas le cas avec ce nouveau composé.

Ledgins, la suite

Retour des Ledgins ou inhibiteurs de l’intégrase non catalytiques (dont on avait parlé lors de la CROI 2012). Cette nouvelle classe concerne des médicaments qui fonctionnent différemment des anti-intégrases actuelles dites à transfert de brins (comme raltégravir Isentress) ou bientôt commercialisées (elvitégravir et dolutégravir attendues pour 2013/2014), ils devraient rester efficaces sur des virus qui leur sont résistants et également leur être combinés pour produire des effets antirétroviraux qui agissent en synergie. Une étude de Gilead suggère que les Ledgins semblent bloquer aussi bien les étapes tardives de la production du virus que l’étape de transcription inverse (ou rétrotranscription, une des étapes clés du cycle du VIH qui lui a donné son nom de rétrovirus). Une autre étude, d’une équipe de chercheurs franco-belges, a souligné leur intérêt potentiel dans des indications préventives ou en première ligne de traitement.

Des inhibiteurs de maturation de 2e génération

Les inhibiteurs de maturation bloquent les étapes tardives du cycle du virus, et précisément la maturation de la protéine Gag. Le premier médicament de cette classe expérimentale, le bévirimat, est désormais qualifié de prototypique - son développement est au point mort depuis plusieurs années en raison de problème d’efficacité, et en particulier de résistances naturelles de certaines souches du VIH. Deux nouveaux composés de la start up américaine DFH-Pharma, le DFH-068 et le DFH-070, auraient résolu certains de ces problèmes, et seraient efficaces in vitro, contre ces souches résistantes, tout en conservant le profil de tolérance intéressant du bévirimat. Mais on a guère de détails pour l’instant. A suivre.

Nouvelles formulations

Plusieurs équipes travaillent pour améliorer les formulations des antirétroviraux. Par exemple, celle de J. Mc Millian, à l’université du Nebraska, qui conçoit des antirétroviraux dans des nano-formulations. Ils parlent de nanocart (en français, combinaisons d’antirétroviraux nano-technologiques). Du high-tech qui pourrait permettre des injections de traitements trimestrielles voire (rêvons un peu) annuelles. Pour améliorer la bio-disponibilité du médicament, ces chercheurs ajoutent, par exemple, des queues de folates qui augmentent considérablement les performances des nanoparticules. Ou bien les entourent de magnétite (cela répond alors au doux nom de Smart small magnetite ARV therapy). Pour 2013, ils comptent faire les deux en même temps : c’est le "super-smart".

Problèmes : le coût de ces petites merveilles, que le leader de l’équipe a préféré passer sous silence. Et l’acceptabilité par les personnes de ces composés qui ont mauvaise presse.

Sans compter qu’il faudra évaluer le rapport bénéfice/risque de ce domaine qui est une terra incognita, en termes de toxicité et de gestion du risque de sélection de résistances, en cas d’arrêt (les nanocart restant longtemps dans l’organisme, il faudrait ajouter des antirétroviraux oraux le temps de l’élimination complète). On l’aura compris, les petits bijoux de l’équipe de J. Mc Millian ne sont pas pour demain. Même si, en revanche, des formulations de longue durée de deux médicaments anti-VIH, la rilpivirine (un mois) et le GSK-744 (un à trois mois) sont en cours d’évaluation, pour l’heure chez des personnes séronégatives dans des indications préventives.