CROI 2015, Seattle : Day 3

Publié par Bruno Spire et Emmanuel Trénado le 27.02.2015
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ConférencesCROI 2015

La conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes se déroule à Seattle jusqu’au 26 février. Bruno Spire et Emmanuel Trenado sont présents. Chaque jour, ils proposent un compte-rendu des infos clés. Day 3… beaucoup d’infos sur les Etats-Unis, les nouvelles molécules et les traitements contre Ebola.

En ce troisième et avant dernier jour de CROI...

La première plénière était consacrée à la prévention et la prise en charge du VIH chez les enfants. Diana Gibb rappelle qu’en 2013, 240 000 enfants ont été infectés par le VIH/sida, soit environ 660 nouvelles contaminations par jour et qu’environ 3,2 millions d’enfants vivent avec le virus dont 91 % sont en Afrique sub-saharienne. Elle rappelle les avantages de l’option B+ émise par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le cadre des recommandations de la prévention de la transmission du VIH pendant la grossesse en 2013 : prescrire une trithérapie à la mère pendant la grossesse réduit de manière considérable le risque de transmission pendant la grossesse, au moment de l’accouchement et pendant la période d’allaitement. La principale difficulté rencontrée dans la mise en place des programmes B+ a été le maintien dans le soin des femmes tout au long de ce processus. On rappelle à quel point les interventions communautaires sont importantes pour accompagner les femmes vivant avec le VIH et que l’implication de leur partenaire est essentielle. Cette plénière a été aussi l’occasion de rappeler deux résultats importants présentés à la CROI. Il s’agit de l’essai PROMISE qui confirme l’intérêt de l’option B+ et de l’étude BREATHER qui a montré que l’on pouvait proposer des week-ends sans antirétroviraux aux adolescents sous traitement depuis des années.

Deborah Birx, ambassadeur Sida des Etats-Unis : PEPFAR, où en est-t-on ?

Avant le Fonds mondial et PEPFAR (Plan présidentiel américain d'urgence contre le sida), les systèmes de santé ont été débordés par l’épidémie. Depuis, PEPFAR a permis de tripler le nombre de personnes sous traitement. En 2014, 56 millions de personnes ont été testées. L’espérance de vie dans les pays en développement qui avait baissé de 20 ans est retournée au niveau des années d’avant le sida. On commence à observer dans certains pays une baisse des nouvelles infections. Au Botswana où la couverture en antirétroviraux a été forte dès le début de l’épidémie, on observe une baisse importante des nouvelles infections. Une partie des bons résultats s’explique par l’amélioration de la prévention de la transmission de la mère à l’enfant, en particulier avec les options B+ qui permettent un accès au traitement durable des mères.

PEPFAR s’est adapté. PEPFAR 1 était l’urgence de 2003 à 2007, puis s’est transformé en une réponse durable de 2008 à 2012. Depuis 2013, c’est PEPFAR 3 qui doit s’adapter aux contraintes budgétaires. Il s’agit de se concentrer sur les actions les plus efficientes : choisir les pays les plus touchés, avec le moins de services disponibles, les régions ou villes des pays et les endroits où les files actives sont les plus importantes. Par exemple, il faut choisir les sites de prévention de la transmission de la mère à l’enfant là où on trouve un maximum de femmes enceintes vivant avec le VIH, comme dans les zones péri-urbaines ou urbaines au Kenya. Les populations clés dans la dynamique de l’épidémie doivent être privilégiées, en particulier les jeunes adultes. Des partenariats permettent d’augmenter la mise sous traitement des jeunes femmes. PEPFAR se doit d’être transparent, de rendre des comptes et d’augmenter la qualité des services et le renfort des capacités des pays dans le soin. L’ambassadrice sida américaine a bien confirmé dans cette présentation que les engagements budgétaires de son pays n’augmenteront pas dans les années à venir. Il faut donc faire plus et si possible mieux avec moins d’argent.

Modélisation de la survie et de la baisse des CD4 dans plusieurs pays

Ces modélisations sont essentielles pour prévoir les besoins des systèmes de santé. Les modélisations ont été établies à partir de cohortes de personnes qui sont séroconverties de plusieurs pays  (plus de 27 000 personnes). Elles permettent de déterminer plus précisément les besoins en antirétroviraux. 50 % des hommes ont plus de 500 CD4 à la séroconversion. A l’âge de 20 ans, la durée de survie sans traitement est de 7 à 12 ans, selon les pays, pour les hommes et les femmes infectées.

Soin et succès virologique des personnes vivant avec le VIH nouvellement dépistées à New-York

A New-York, l’orientation vers le soin est passée de 68 à 76 % de 2006 à 2013, plus difficile pour les jeunes lorsque les personnes avaient des CD4 hauts (et donc moins d’urgence immédiate). Ces mêmes catégories ont également moins de chance d’être en charge virale  indétectable. Cependant, la suppression virale s’est améliorée de 2006 à 2013, en particulier récemment pour les personnes avec plus de 500 CD4 au vu de l’évolution des recommandations. Les politiques de dépistage systématiquement proposé et d’orientation vers le soin mises en place en 2010 par l’Etat de New-York sont associées à la hausse observée de ces indicateurs d’une meilleure cascade. Il faut diminuer les 14 % de personnes non diagnostiquées à 5 % et dépasser les 80 % pour l’orientation vers le soin. L’état de New-York vient de mettre en place un programme d’accès à la PrEP.

Cascade chez les femmes aux Etats-Unis

Les femmes sont moins souvent en charge virale indétectable que les hommes aux Etats-Unis. L’étude a voulu connaitre les raisons en lien avec l’accès aux soins, en étudiant les différentes étapes de la cascade : orientation, maintien dans le soin et suppression virale. L’orientation vers le soin est de 83 % sans différence de race. Le maintien dans le soin mesuré par le fait d’avoir au moins une mesure de CD4 est de 67 %, mais il est moins bon pour les Noires et pour les plus jeunes. La contamination par usage de drogues n’est pas associée à un moins bon maintien dans le soin. Lorsque le maintien est défini par deux mesures de CD4, il est de 52 % et on retrouve des différences par origine ethnique et par âge. La suppression virale est moins bonne pour les femmes jeunes.

Le temps passé avec une charge virale au-dessus de 1500 copies compte !

Ce seuil est associé à un risque de transmission d’après les premières données sur les couples séro-différents. Dans une cohorte sur six villes des Etats-Unis, le pourcentage de jours passés au-dessus de ce seuil a été estimé. 90 % des personnes étaient traitées par antirétroviraux. 23 % des périodes d’observation étaient au-dessus de 1 500 copies, plus souvent pour les jeunes, les Noirs et les personnes affiliées aux assurances sociales pour les plus précaires.

Incidence des viols sur les HSH et les femmes travailleuses du sexe au Kenya

Une cohorte de ces populations vulnérables a été mise en place au Kenya. Des infos sur les violences sexuelles physiques ou verbales ont été recueillies. L’analyse a cherché à déterminer un lien avec les séroconversions au VIH. L’incidence chez les femmes travailleuses du sexe était de 4,5 personnes/année, 3,7 pour les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes), bien plus élevée que pour les autres hommes et femmes. Les violeurs étaient plus souvent des personnes connues, pour les travailleuses du sexe par rapport aux HSH. Chez les HSH, l’incidence du VIH est plus élevée chez ceux qui ont rapporté un viol, et cela devient significatif quand le viol a eu lieu dans les 3 mois qui précèdent l’infection. Le risque de viol est plus important pour les plus jeunes, ceux qui tarifent leurs pratiques et ceux qui pratiquent le sexe en groupe.

Impact de l’épidémie d’Ebola sur la prise en charge du VIH

Il y a eu une baisse de fréquentation des cliniques VIH en Guinée pendant les pics d’infection par le virus Ebola par comparaison à la même époque, un an avant. On a également observé 43 % de baisse des dépenses hospitalières. 47 % en moins d’inclusion de nouveaux patients et 11 % de moins de consultations de suivi. On a cependant observé moins de personnes perdues de vue, sans doute parce que les nouveaux patients, qui ont le plus de risque d’être perdus de vue, étaient moins nombreux pendant l’épidémie d’Ebola.

Favipiravir : un nouveau médicament anti-EBOLA testé en Guinée

La mortalité était de 60 %, pas de possibilité dans ce contexte de faire un essai randomisé (un groupe prenant le traitement, l’autre un placebo). Ce médicament a été testé chez des personnes diagnostiquées, le critère principal de jugement était la mortalité à 14 jours, en se focalisant également sur les personnes ayant commencé le traitement dans les 3 jours. Les données présentées à la CROI ne concernent que les 80 premiers participants, 69 adultes et 11 enfants de 6 ans ou moins. Une faible clairance de la créatinine à l’entrée (reins endommagés) est associée à 100 % de mortalité. L’efficacité est déterminée par comparaison à des personnes incluses avant la mise en place de l’essai. Les résultats suggèrent une amélioration pour les patients ayant une clairance de la créatinine non altérée au début du traitement.

Session de mini-présentations sur les comportements de séro-adaptation

Les comportements de séro-adaptation se définissent quand les personnes n’utilisent pas le préservatif mais en utilisant sciemment une pratique à moindre risque. Cela comprend : le séro-triage (la sélection de ses partenaires selon leur statut sérologique), la sécurité négociée, le positionnement stratégique (actif/passif) et le retrait (en cas d’éjaculation). Mais également le viro-triage (TasP) et la PrEP.

Aux Etats-Unis, une étude a voulu regarder l’évolution des rapports sexuels sans préservatif chez les HSH, en particulier le séro-triage. Il n’y a pas eu d’augmentation de séro-triage significative malgré l’augmentation de rapports non protégés. Chez les séronégatifs, il existe une augmentation significative du séro-triage.

Une étude rétrospective a comparé les comportements de HSH d’une cohorte de personnes séropositives et d’une cohorte contrôle de HSH négatifs. Les HSH infectés utilisent plus le séro-triage comparés aux HSH qui sont séronégatifs.

Une autre étude montre que ceux qui séro-trient le plus, sont ceux qui sont actifs, noirs, quand il s’agit de leur partenaire principal et qui sont séropositifs.

Au Nigéria, les HSH utilisent également ces stratégies. Sur un échantillon de 443 HSH, 33 % utilisent les stratégies de séro-adaptation. Ils sont moins souvent bisexuels et utilisent plus souvent des drogues.

Session sur les nouvelles molécules

Essai de phase III du TAF
Le TAF est le nouveau ténofovir sous forme de pro-drogue, c’est-à-dire un précurseur du principe actif qui permet de diminuer la dose administrée et potentiellement entrainer moins de toxicité. L’essai de phase III a été présenté sur 2 fois 877 personnes réparties dans deux groupes : un groupe prenant Stribild à base de ténofovir classique (TDF) et un second groupe prenant Stribild à base de TAF. Les résultats montrent que le groupe prenant le TAF ne fait pas moins bien que le groupe prenant le ténofovir classique (TDF) en termes de baisse de la charge virale ou de résistances au traitement et fait même un peu mieux sur la hausse des CD4. Très peu d’effets indésirables ont été rapportés dans les deux groupes, mais on a noté un peu plus d’arrêt de traitement (1,5 % contre 0,9 %) dans le bras avec le TDF. Il y a moins de perte de la minéralisation osseuse et de meilleurs indicateurs de la fonction rénale dans le groupe prenant le TAF par rapport à celui prenant le TDF. Le laboratoire Gilead, propriétaire du ténofovir, va perdre en 2017 le brevet et donc le monopole de vente du TDF. Celui-ci pourra être génériqué. La stratégie classique des compagnies pharmaceutiques dans ce cas est de commercialiser une version légèrement modifiée du même médicament pour empêcher la concurrence par les génériques.

BMS 955176 : un inhibiteur de la maturation
Il s’agit d’une nouvelle classe de molécules agissant sur la maturation, comme pour les antiprotéases, mais selon un mécanisme différent en se fixant sur la polyprotéine et non sur la protéase, en empêchant celle-ci d’agir. Un essai de phase IIa a été effectué sur quelques personnes. La monothérapie montre une baisse de la charge virale de 1,7 log après 11 jours de traitement pour des doses supérieures à 40 mg. Cette dose fonctionne aussi quelles que soient les souches de VIH. Ce n’est qu’à la dose de 120 mg qu’on a détecté chez une personne un problème de toxicité biologique. Il s’agit donc d’une molécule a priori efficace et bien tolérée qui peut poursuivre la suite de son développement.

Essai ANRS-TEMPRANO

Il s’agit d’un essai visant à évaluer l’impact d’une initiation de traitement précoce en Afrique (à des taux de CD4 supérieurs à 500/mm3). Il vise aussi à évaluer l’intérêt d’un traitement préventif de 6 mois contre la tuberculose (isoniazide) chez les personnes vivant avec le VIH (taux de CD4 inférieur à 800 CD4) en Afrique. Les personnes ont été réparties en quatre groupes, selon qu’elles aient un traitement précoce ou non et un traitement d’isoniazide ou non. L’essai a évalué la proportion de personnes ayant des événements cliniques sévères. Le risque de morbidité est diminué de 44 % par le traitement ARV précoce et 35 % par l’isoniazide. Ces deux réductions de risque interviennent indépendamment l’une de l’autre. Il n’y a pas eu de différence entre les groupes pour le nombre d’effets indésirables. Ces résultats suggèrent de recommander un traitement anti-VIH précoce et 6 mois de traitement antituberculeux pour toute personne nouvellement diagnostiquée dans le contexte de l’Afrique sub-saharienne.

Des taux de résistance anormalement élevés chez les HSH noirs aux Etats-Unis

Parmi les nouvelles infections chez les HSH noirs aux Etats-Unis, il y a 28 % de virus résistants aux non-nucléosides et 11 % de virus d’emblée multi-résistants. Il est donc nécessaire de mesurer la présence de molécules (dosages) chez les personnes. On s’est aperçu que les personnes avaient certaines molécules non prescrites dans le sang, à cause de leurs durées différentes d’élimination par le corps ou de mésusage des médicaments. Ceci explique en partie l’apparition des résistances chez ces personnes et seulement pour 12 % la transmission de souches résistantes aux non-nucléosides.

Ne pas négliger les faibles charges virales sous traitement

Une étude montre que les épisodes de faible charge virale détectable sous traitement prédisent l’échec virologique, même en présence de molécules actives dans le sang. De plus, les patients accumulent au cours du temps des mutations de résistance qui peuvent ensuite compromettre les options thérapeutiques et d’autant plus vite que les doses de traitement sont insuffisantes.

Impact des transmissions de virus résistants en Afrique

La transmission de virus résistants augmente le risque d’échecs virologiques. Cela entraine-t-il plus de morbidité et mortalité ? Pour y répondre, une cohorte dans six pays Africains de personnes débutant un traitement a été analysée en déterminant le lien entre la résistance initiale du virus et les événements cliniques à terme. Dans cette cohorte, les virus transmis avaient une mutation de résistance pour 8,4 %  et 5,5 % au moins deux mutations. On n’a pas pu observer de différence clinique après trois ans de suivi. En revanche, ces virus sont associés à plus de changements de traitement en 2ème ligne, pas toujours nécessaires.

Impact de la résistance aux 1ères lignes sur la 2ème ligne en Afrique

Un essai portant sur 1 277 personnes en échec de 1ère ligne de traitement dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est a comparé trois groupes : un groupe prenant Kalétra + deux ou trois nucléosides, un groupe prenant Kalétra + Isentress, un groupe prenant Kalétra en monothérapie (pendant les six premiers mois les patients de ce groupe utilisaient aussi Isenstress avant de passer à la monothérapie). Le groupe prenant Kalétra seul fait moins bien (environ 60 % de succès) que les autres groupes (autour de 85 % de succès). Le nombre de molécules réellement actives mesurées par un test de résistance sur le plasma recueilli au début de l’essai ne prédit pas le succès, à la différence des facteurs socio-économiques et de l’observance. Après ajustement sur l’observance, c’est même la relation inverse qui est trouvée, à savoir que ce sont ceux qui ont le moins de molécules actives disponibles qui ont les meilleurs résultats. Ces résultats sont importants, ils montrent que l’on peut proposer un traitement efficace de 2e ligne en recyclant les nucléosides pris en première ligne.

Conséquences des mutations sur le virus : perte de fitness

Les mutations sont connues pour affecter la capacité de réplication des virus résistants qui est le "prix à payer" pour leur survie. En revanche, on ne sait pas si ces virus résistants se transmettent plus ou moins bien. Une étude basée sur la phylogénie des virus ne semble pas montrer moins de transmission pour les virus résistants aux non nucléosides. En revanche, les virus résistants aux nucléosides dans cette étude semblent être moins transmissibles, pour les non nucléosides cela semble dépendre du type précis de mutations. La K103N semble conférer un avantage au virus, les mutations qui pourraient réduire l’efficacité des médicaments utilisés en PrEP semblent avoir peu de probabilité d’être transmis.

Le dolutégravir a une meilleure barrière génétique que le raltégravir

Il faut plusieurs mutations pour que le virus devienne résistant au dolutégravir, à la différence du raltégravir où une seule mutation confère une résistance à la molécule.