La tuberculose dans l’ombre du VIH

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 06.03.2018
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ConférencestuberculoseCROI 2018

En ce premier jour de conférence, zoom particulièrement intéressant sur la tuberculose, une des deux autres pandémies mondiales. Alliée du VIH et véritable ennemi des personnes séropositives, la tuberculose est souvent, au Sud, la faucheuse des personnes les plus vulnérables. Lundi 5 mars, nombre d’interventions et de présentations d’études ont réfléchi sur pourquoi et comment la tuberculose doit se guérir pour laisser une chance de survie, mais aussi de victoire contre l’autre épidémie : celle du VIH.

Le VIH affaiblit, la tuberculose achève. C’est ainsi qu’on peut résumer le binôme mortel qui sévit sur une très grande partie du globe. Une excellente raison pour faire de la TB (tuberculose) l’objet d’une des sessions plénières de ce lundi 5 mars. C’est Joanne Flynn, de l’université de Pittsburgh, qui a décrit le fléau en cours et le mode d’action de la maladie. Deux milliards de personnes ont été infectées par la tuberculose, soit le quart de la population mondiale. La TB est la première cause de mortalité des personnes vivant avec le VIH. Après infection, seul 10 % des personnes infectées ont une tuberculose active avec symptômes, tandis que les autres formes de tuberculose sont asymptomatiques (latentes) et peuvent se réactiver des années après. Le VIH augmente d’ailleurs le risque de réémergence d’une TB latente.

Les chercheurs travaillent sur les mécanismes de réactivation. Mais alors, pourquoi la vaccination ne protège pas plus ? Le vaccin BCG fait à la naissance est un vaccin très peu protecteur au Sud alors qu’il est à 80 % efficace au Nord. Sans que l’on sache pourquoi. Il y a donc un besoin d’un vaccin plus efficace, mais on ne sait pas quelles sont les variables de l’immunité. Le traitement de référence est de six mois (deux mois de quadrithérapie et quatre de bithérapie antituberculeuse). Il existe néanmoins des TB résistantes, pour lesquelles les médicaments de seconde ligne sont moins efficaces, tandis que pour les tuberculoses multi-résistantes, il n’y a quasiment, aujourd’hui, aucune solution. On étudie actuellement la TB sur des modèles animaux : des singes. Dans les poumons, on trouve des granulomes, zones où les bacilles se multiplient. Les granulomes permettent la réactivation quand ces derniers contiennent beaucoup de bacilles. L’infection elle-même confère des mécanismes de protection meilleurs que le vaccin ; mécanismes qui diminuent la taille des granulomes en cas de réinfection. On  essaie de reproduire ce mécanisme par un vaccin, en cours d’étude. En attendant, les données apportées par les essais présentés à la conférence devront permettre de trouver des stratégies pour dépister et traiter plus tôt, pour réduire la mortalité induite par la tuberculose sur les personnes vivant avec le VIH.

Tuberculose : traiter tout de suite ?

L’étude Statis voulait voir si un traitement systématique de la tuberculose pour toutes les personnes séropositives mises sous ARV très tardivement (moins de 100 CD4) était un moyen de réduire la mortalité des personnes vivant avec le VIH. Pour cela, un essai randomisé a comparé l’impact d’un traitement anti-tuberculose à l’aveugle avec un traitement prescrit seulement aux personnes pour lesquelles on avait un diagnostic formel. L’essai a porté sur 1 050 personnes n’ayant jamais eu de traitements anti-VIH, dans quatre pays (Cambodge, Côte d’Ivoire, Ouganda et Vietnam). Dans cet essai, 41 % des personnes incluses étaient des femmes, ayant en moyenne 35 ans ; 45 % des inclus étaient séropositifs pour l’hépatite B. Il n’y pas de différence entre les deux groupes en termes d’apparition de maladies opportunistes. Les chercheurs ont, en revanche, observé beaucoup plus d’interactions médicamenteuses toxiques dans le groupe du traitement systématique. Ces derniers estiment qu’il n’y a pas d’intérêt ni supériorité du traitement systématique dans la prévention des événements mortels ou graves des personnes tuberculeuses également séropositives.

Dépister la tuberculose pout faire reculer la mortalité des PVVIH ?

Dans 22 cliniques du Botswana, des chercheurs ont voulu évaluer l’impact d’une proposition renforcée de dépistage de la tuberculose sur la mortalité à six mois d’adultes mis sous traitements antitrétroviraux, avec une proposition répétée de dépistage, ainsi que des relances en cas de rendez-vous manqué. En comparant une proposition standard, une proposition améliorée, et une proposition experte de dépistages (multiples tests), les chercheurs ont pu observer une baisse significative de la mortalité des personnes séropositives mises sous traitement anti-VIH, entre la proposition standard et celle améliorée. En revanche, le bénéfice d’une proposition encore plus renforcée n’a pas été démontré. Cependant, les chercheurs soulignent qu’une montée en gamme de ce dépistage, avec des stratégies de traçage devrait être envisagée pour diminuer la mortalité précoce des personnes mises sous traitement.

L’urine pour dépister plus facilement ?

La tuberculose est la première cause de mortalité chez les personnes vivant avec le VIH, et cela est en partie causé par un taux de diagnostic trop faible. L’urine, facilement récupérable, dont le test est rapide et complémentaire des autres tests, pourrait donc être un levier dans la montée du dépistage et donc la réduction des cas mortels pour les personnes vivant avec le VIH. Un dépistage systématique de la tuberculose était mis en place auprès de personnes séropositives hospitalisées dans deux hôpitaux (un au Malawi et un second en Afrique du Sud). Pour les personnes présumées infectées par la tuberculose, et qui ne connaissaient pas leur statut VIH, un test de dépistage de la TB leur était proposé. Au final, cette proposition systématique du test anti-TB a permis d’augmenter le taux de couverture et par la suite de faire baisser la mortalité des personnes séropositives de façon significative, selon les auteurs de l’étude. Cette méthodologie pourrait donc être un moyen abordable et rapide d’avoir un diagnostic et ainsi  faire baisser la mortalité des personnes à l’initiation d’un traitement ARV.

Traitement au stade sida : intensifier les ARV n’est pas sauver

Faut-il renforcer les traitements de première ligne pour des personnes prises en charge très tardivement, au stade sida, avec moins de 100 CD4 ? Sachant que pour ces personnes, à la prise  d’un traitement antirétroviral peut déclencher un syndrome inflammatoire de reconstitution immunitaire (IRIS) qui, paradoxalement, peut déclencher pendant quelques temps des pathologies opportunistes et s’avérer parfois mortel. Une étude randomisée est venue comparer un traitement au raltégravir (Isentress) avec le traitement de première ligne de référence, afin d’observer si une anti-intégrase pouvait entrainer moins d’événements potentiellement fatals. Cette étude a été faite sur une cohorte de 1 805 personnes n’ayant jamais pris de traitement précédemment composée d’adolescents, d’adultes et d’enfants infectés depuis moins de cinq ans, dans trois pays d’Afrique. L’étude Reality a recherché des personnes dont les symptômes correspondaient à des infections opportunistes ou tumeurs compatibles avec l’Iris pour observer d’éventuelles différences entre l’initiation d’un traitement ARV standard et l’addition éventuelle du raltégravir. Les résultats montrent, à 48 semaines, que la mortalité reste forte pour ces personnes prises en charge si tardivement ; peu importe les différentes classes de médicaments utilisées. Cependant d’après les résultats, l’obtention d’une charge virale inférieure à 50 copies était beaucoup plus rapide avec l’ajout du raltégravir (41 % à quatre semaines, comparé à 13 %). Malgré cela, le taux de mortalité à 48 semaines reste quasi-identique dans les deux groupes et il n’y a pas eu d’impact sur l’émergence d’un Iris ou même sur l’apparition de symptômes compatibles avec un Iris. L’indicateur le plus évident d’un IRIS reste la tuberculose concomitante. Pour Diana Gibb, la leçon à retenir est qu’il n’y a pas plus de cas d’Iris avec une trithérapie renforcée et que le passage à des premières lignes associant une anti-intégrase n’augmente pas le nombre de cas d’Iris. Selon elle, une anti-intégrase devrait devenir une nouvelle référence en première ligne. Même s’il ne prévient pas davantage les évènements graves, cet ajout n’en donne pas plus. Diana Gibb exprime enfin son étonnement de voir que concernant la baisse de charge virale, sa rapidité à descendre n’est étonnamment pas reliée à une baisse de la mortalité et que le nombre de CD4 à l’initiation du traitement est un indicateur bien plus efficient sur les risques de développer une infection ou de mortalité. Traiter tôt sûrement, mais surtout ne pas traiter trop tard.