Croi 2019 : les leçons de Seattle

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 14.03.2019
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ConférencesCroi 2019

Une nouvelle édition de la Conférence américaine sur les rétrovirus et infections opportunistes s’est refermée (8 mars). Avant de passer sur la côte Est, à Boston, l’année prochaine, quel bilan peut-on faire du côté pacifique, alors que l’annonce de la « guérison » a monopolisé l’attention ? Voici quelques pistes personnelles.

Rupture d’embargo. En annonçant, deux jours avant la présentation officielle, qu’un second cas de rémission fonctionnelle avait été documenté par des chercheurs-ses anglais-es, le New York Times a pris tout le monde de cours, y compris les organisateurs-trices. Agacés-es, mais mis-es devant le fait accompli, ils-elles ont du mettre cette annonce, spectaculaire, au cœur du dispositif de communication des quatre jours de conférence. Marquant médiatiquement, ce nouveau « patient de Londres » n’est pourtant pas la promesse d’une trouvaille vers la guérison du VIH à large échelle ; mais surtout elle a phagocyté l’attention au détriment d’autres faits marquants.

Car il y a eu rupture aussi, avec le U = U (indétectable = intransmissible). La Déclaration communautaire des personnes vivant avec le VIH, objet d’un symposium dans une conférence historiquement scientifique, voilà une révolution discrète, mais palpable. Cette session confirme et consacre à la fois la notion de non-transmission du VIH par les personnes vivant avec le VIH si elles ont une charge virale indétectable. Et en laissant une représentante, séropositive, venir défendre, devant des chercheurs-ses, qu’un changement de vocabulaire était nécessaire, le symbole a été fort. Arrêter avec les termes « quasi nul » ou « minime » pour, enfin affirmer l’absence de risque, voilà qui est fort et important de rappeler, notamment devant nos compatriotes médecins français, qui rechignent à le dire tel quel à leurs patients-es. Et cela fait du bien à voir et à entendre.

Ce qui l’était moins furent les nouvelles données sur la Prep. Rien à confirmer quant à son efficacité (pas remise en cause ici), mais plutôt sur sa sous utilisation – liée aux barrières à son accès – notamment par celles et ceux qui en auraient le plus besoin. Aux États-Unis, ce sont les hommes gays noirs-américains, plus discriminés et plus précaires, qui subissent le plus le fardeau de l’épidémie, alors que la Prep serait une clé pour changer la donne. En transposant les choses, on se doute qu’il en est de même pour nos jeunes gays, issus des minorités en France, et vivants dans les zones périphériques des grandes villes. Et pour tous-tes les autres qui en auraient besoin, il faut faire connaitre la Prep.

Ce défi d’atteindre les sous-groupes les plus vulnérables, en trouvant de nouvelles façons de faire de la prévention, c’est aussi cela la deuxième révolution d’une conférence qui, progressivement, inclut la santé publique aux enjeux de recherche fondamentale. On en a beaucoup parlé avec le fameux plan de bataille de fin de l’épidémie, promis par Donald Trump pour les États-Unis. Mais à n’en pas douter, cette gageure va traverser l’Atlantique avec les participants-es européens-nes. Et revenir, on l’espère dès l’année prochaine, avec des victoires à partager.