Doxyvac/Doxypep : le futur de la prévention IST ?

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 21.02.2023
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ConférencesCroi 2023

Lundi 20 février, deuxième jour de la Croi 2023 à Seattle. Nous sommes toujours dans le jet lag, mais l’adrénaline (et le café !) nous tiennent éveillés. Au programme de cette journée dense, des données très attendues sur Doxyvac et Doxypep, de nouvelles stratégies thérapeutiques pour réduire les IST. Une nouvelle approche de la prévention en santé sexuelle qui donne de l’espoir et pose des questions.

Doxypep : késako ?

Cocorico ! C’est une étude française qui a fait le plus parler en cette deuxième journée de conférence. Le Pr Jean-Michel Molina (département de maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Louis et Lariboisière, AP-HP et Université Paris Cité) a présenté l'essai ANRS Doxyvac, mené par une équipe de recherche de l’AP-HP, d’Université Paris Cité, de l’Inserm et de Sorbonne Université, en collaboration avec AIDES et Coalition Plus. L’essai a évalué à la fois l’efficacité de la vaccination contre le méningocoque B (par le vaccin Bexsero) sur le gonocoque et l’efficacité de la Doxypep (doxycycline post-exposure prophylaxis) sur les IST. Cette nouvelle méthode de prévention consiste à prendre un antibiotique (la doxycycline) après un rapport sexuel non protégé par un préservatif (entre 24 heures et 72 heures au maximum après le rapport). Cette étude est conduite depuis janvier 2021 chez des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), très exposés au risque d’IST et ayant présenté au moins une IST dans l’année précédant leur participation à l’étude. Ces hommes participent, par ailleurs, à la cohorte ANRS Prevenir sur la Prep VIH.

Au total, 502 volontaires (tous des hommes cisgenres gays ou bisexuels d’une moyenne d’âge de 39 ans et vivant en région parisienne) ont été répartis par tirage au sort en quatre groupes : l’un recevant une prophylaxie post-exposition par la doxycycline, l’autre une vaccination par le Bexsero, le troisième la combinaison de ces deux interventions et le quatrième aucune des deux interventions. Il a été constaté que le groupe recevant la doxycycline (Doxypep) présentait une réduction importante du risque de syphilis (79 % d’efficacité) et d’infections à chlamydia (89 % d’efficacité). L’incidence des infections à gonocoque était également réduite significativement (51 % d’efficacité). Il est intéressant de noter que la Doxypep ne semblait efficace que pour prévenir les gonorrhées anales ou urétrales, mais pas les infections de la gorge. Par ailleurs, certains éléments indiquent que la gonorrhée a acquis une résistance à la doxycycline, même pendant la période de suivi relativement courte (les résistances sont en cours d’analyse). En revanche, aucune résistance n'a été détectée dans les échantillons de chlamydia et de syphilis. Comme l’a été la Prep à ses débuts, la Doxypep a déjà ses détracteurs-rices qui crient à la « surmédicalisation » de la sexualité. La réalité est qu’il s’agit d’un outil supplémentaire destiné aux personnes qui sont déjà (sur)exposées aux IST. Dans une interview accordée à NBC News, Paul Marcelin, un Californien gay sous Doxypep témoigne : « Cela a été très, très positif, d'avoir cela comme une source supplémentaire de tranquillité d'esprit », notant qu'il n'en eu aucune IST depuis qu'il a commencé la Doxypep. « Cela fait simplement partie de ma routine de santé ».

Un vaccin contre la gono ?

Le méningocoque B (Neisseria meningitidis) est une bactérie qui peut être à l’origine de méningites. C’est un peu le cousin du gonocoque (Neisseria gonorrhoeae). Le groupe recevant le vaccin Bexsero contre le méningocoque B a présenté une réduction significative du risque d’infection par le gonocoque avec un taux d’efficacité de 51 %. Aucun effet indésirable grave dû au vaccin n'a été signalé en dehors des effets courants post-vaccination (fièvre, maux de tête ou fatigue légère). « Suivant les recommandations du comité indépendant de l’essai, les responsables scientifiques et l’ANRS | MIE, en tant que promotrice, ont donc décidé d’arrêter l’étude sous sa forme actuelle afin de mettre la doxycycline et le vaccin contre le méningocoque B à disposition de tous les participants de l’essai ANRS Doxyvac, après validation par les autorités réglementaires et éthiques. Le suivi des participants va se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2023 pour s’assurer de l’efficacité sur le moyen terme de ces stratégies de prévention », a déclaré l’ANRS | MIE.

Quelle sera la prochaine étape concernant ce vaccin ? Interrogé en conférence de presse, le Pr Jean-Michel Molina reste prudent et explique qu’on ne sait pas encore combien de temps la protection dure (a priori au minimum un an) ni à quel moment il faudra faire une injection « booster ». Mais ces données sont très prometteuses et le Pr Molina ajoute que le fait de combiner Doxypep + le vaccin Bexsero chez des personnes très exposées aux IST présente, à la fois, un bénéfice individuel (pour la personne) et collectif (pour réduire l’incidence des IST chez les hommes gays et bis multipartenaires). Pour information, le vaccin Bexsero est pris en charge par la Sécurité sociale s'il est prescrit. Chez les adultes (dans son indication anti-méningocoque), le rappel doit avoir lieu au plus tard deux ans après la première dose. Pas encore de recommandation officielle à ce stade pour la Doxypep et le vaccin Bexsero en France, mais peut être une mini révolution dans les années à venir concernant la prévention des IST.

Doxypep : quel dosage ?

On sait que 200 mg de doxycycline en post exposition réduit le risque de contracter des IST, mais il faut optimiser la dose. Une étude pharmacologique a évalué l’efficacité de la Doxypep chez des hommes et femmes de différentes ethnies. Les chercheurs-ses ont collecté des échantillons par écouvillons rectaux, vaginaux et urétraux pour mesurer la doxycycline dans les muqueuses. Les sécrétions ont davantage de doxycycline que le plasma, au niveau rectal. Cela persiste pendant deux jours. Les concentrations sont suffisantes pour contrer les chlamydiae et la syphilis, trop justes pour le gonocoque sauf au niveau urétral. Au total, 200 mg parait entrainer une bonne protection surtout contre la syphilis et les chlamydiae.

Doxypep et résistances

Le risque dans le fait d’utiliser la Doxypep de façon intermittente est de sélectionner des souches résistantes. Des chercheurs-ses ont prélevé des échantillons pharyngés, rectaux et urétraux. Il y a déjà des souches résistantes dans les prélèvements avant même que l’on commence la doxycycline contre le staphylocoque. La Doxypep est associée à une réduction de 14 % de staphylocoque, mais à une augmentation de 8 % de staphylocoques résistants. Au final, cette étude ne montre pas d’arguments qui augmenteraient la résistance à la doxycycline mais l’étude est limitée à cause d’un nombre faible de prélèvements et un recul limité.

Doxypep chez les femmes : ça ne marche pas

Une étude s’est focalisée sur la Doxypep chez les femmes en comparant deux groupes de femmes cisgenres au Kenya : un groupe sous Doxypep (prise de doxycycline après un rapport sexuel non protégé par un préservatif) et un sans Doxypep. Ces femmes prenaient déjà une Prep VIH en comprimés quotidiens et elles étaient très exposées aux IST. L’étude a notamment recherché les cas de syphilis, de gonocoque et de chlamydiae chez 449 femmes (dont 37 % étaient travailleuses du sexe). Au total, pas de différences d’incidence des différentes d’IST entre les deux groupes. Ces résultats négatifs pourraient s’expliquer par la muqueuse endocervicale (dans l’utérus) qui serait différente des autres vis-à-vis de la doxycycline, par résistances à la doxycycline ou un manque d’observance (prises oubliées). Des données décevantes donc, mais qui doivent être approfondies pour mieux comprendre ce qui n’a pas fonctionné.

20 ans de Pepfar = 25 millions de vies sauvées

John Nkengasong, coordinateur américain pour la lutte mondiale contre le sida et représentant spécial pour les questions de santé mondiale au département d’État, est intervenu en plénière pour parler du programme Pepfar. Une présentation intéressante mais qui donne une impression d’opération de communication à la gloire de Pepfar avec le moment un peu gênant de la photo sur écran géant du Président George W. Bush qui tient dans ses bras un bébé africain... Alors certes, le lancement du Plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le sida (Pepfar) par le gouvernement américain fut à l’initiative de George W. Bush, en 2003, mais cette image est lourde de symbole.

Retour en arrière. Avant 2003, l’espérance de vie des PVVIH diminuait grandement dans les pays le plus touchés par manque d’accès aux ARV. Des milliers de famille étaient affectées. Le 18 décembre 2002, les membres du Black Caucus du congrès américain écrivent à Georges Bush pour demander des fonds. Une délégation se rend alors dans plusieurs pays africains. Le président Bush confirme le 29 janvier 2003 la mise en place d’un fonds pour lutter contre la maladie, avec des sommes d’argent jamais aussi importantes : deux millions de dollars pour l’accès aux traitements et un accès à la prévention pour sept millions de personnes. À ce jour, Pepfar a sauvé 25 millions de vie, a permis de fournir des traitements VIH à 20 millions de personnes (adultes et enfants) et a permis à 5,5 millions d’enfants de naitre sans le VIH. Pepfar a aussi renforcé les systèmes de santé, comblé le « gap » de mortalité et amélioré les indicateurs de santé. Mais aujourd’hui, l’Afrique représente toujours 60 % des nouveaux cas de VIH dans le monde et 65 % de la mortalité liée au VIH/sida. Certains pays d’Afrique comme la Namibie, le Malawi ou le Zimbabwe ont déjà atteint la cible de l’Onusida des trois 95 : 95 % des PVVIH dépistées, 95 % des PVVIH dépistées sous traitement et 95 % des PVVIH sous traitement avec une charge virale indétectable. Certains sont encore aux trois 90 (comme le Nigéria, la Zambie, le Kenya ou l’Ouganda) tandis que d’autres sont en dessous des trois 90 (Cameroun, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud etc.). Les jeunes de 15-24 ans et en particulier les jeunes filles restent la population la moins dépistée et non diagnostiquée. Il y a trois fois plus d’infections chez les adolescentes que chez les adolescents. Dans ces pays, les progrès sont meilleurs dans la population générale que chez les HSH ou les personnes trans sur le plan du nombre de personnes vivant avec le VIH connaissant leur statut.

Pefpfar a cinq piliers : assurer l’égalité d’accès aux soins pour les populations clés, maintenir les réponses à l’épidémie, renforcer les systèmes de santé, renforcer les partenariats et suivre la science. En vingt ans, les outils ont évolué avec de meilleurs traitements et de nouveaux outils de prévention comme la Prep injectable. Cependant, un vaccin serait idéal pour mettre fin à l’épidémie. Pepfar entend soutenir la recherche vaccinale dans les pays, ainsi que la recherche sur le « cure » (la guérison), mais il faudra que cela soit accessible dans les pays les plus touchés. Les réponses face au VIH et à la Covid-19 sont très similaires à l’exception de l’absence de vaccin pour le VIH. Pepfar a été très actif pour lutter contre la Covid-19, en termes de plateformes de diagnostic et de réponse des systèmes de santé. Les plateformes Pepfar pourront servir contre de nombreuses pandémies. Dans le futur, Pepfar souhaite prioriser les jeunes, les enfants et la prise en charge des personnes qui vieillissent avec le VIH en tenant compte de toutes les comorbidités.

Vers la guérison de l’hépatite B

Anna Suk-Fong Lok est une gastro-entérologue qui a étudié à Hong Kong et s’est installée aux États-Unis en 1992. Elle est professeure de médecine à l'Université du Michigan à Ann Arbor et a travaillé avec l'Organisation mondiale de la santé et l'Association américaine pour l'étude du foie. Dans sa présentation en plénière, la professeure a expliqué le chemin long et complexe vers un traitement curatif de l’hépatite B. Il existe un vaccin efficace contre l’hépatite B, mais il y a un nombre important de personnes infectées chroniques, en particulier en Afrique et un taux de mortalité conséquent pour les personnes qui n’ont pas été vaccinées. De plus, 7,6 % des PVVIH sont co-infectées globalement. Les traitements actuels sont principalement TDF (ténofovir disoproxil fumarate) et TAF (ténofovir alafenamide) et sont très bien tolérés. Ils permettent de faire réduire la charge virale VHB et on voit aussi une réduction de la fibrose et même de la cirrhose. Comme pour le VIH, le traitement permet de contrôler le VHB, mais pas de le supprimer car le virus persiste sous forme d’ADN intégré. Actuellement, la médecine traite les personnes qui ont une cirrhose ou une hépatite chronique si l’inflammation du foie est visible. En effet, le « test and treat » (dépister et traiter) ne s’applique pas systématiquement car certaines personnes guérissent spontanément et chez d’autres, l’hépatite B n’évolue presque pas. Il faut donc surveiller et traiter en cas d’évolution. Anna Suk-Fong Lok insiste sur la nécessité d'un diagnostic précoce, d'un lien avec les soins, d'une surveillance étroite et d'un traitement lorsqu'il est indiqué, pour prévenir les conséquences négatives.

La guérison (cure) serait une guérison fonctionnelle et non une éradication : perte de la protéine HBsAg (l'antigène de surface du virus de l'hépatite B) et de l’ADN pendant six mois, mais on sait qu’il y a persistance de réservoirs ADN qu’il faut bloquer pour éviter le rebond. Avec des petits ARN, on pourrait bloquer l’ADN, c’est le sens de petits essais en cours pour obtenir des périodes sans traitement par les analogues nucléosidiques. Des modulateurs de capside sont aussi à l’étude pour obtenir une guérison fonctionnelle : des combinaisons des différentes molécules seront sans doute nécessaires car chacune des pistes ne semble pas très efficace seule.

 

Nouveau cas de rémission du VIH
C’est désormais devenu un marronnier, presque un passage obligé, à chaque conférence internationale sur le VIH vient une annonce de « guérison du VIH ». Profitant de la fenêtre médiatique autour de la Croi, la revue scientifique Nature a publié, lundi 20 février, un article sur un nouveau cas de « guérison » suite à une greffe de moelle osseuse à partir de cellules de donneurs résistants au VIH. Celui qu’on appelle déjà le « patient de Düsseldorf » (Allemagne) était séropositif au VIH et souffrait d’une leucémie. Résistant à tous les traitements, ses médecins ont cherché un-e donneur-se de moelle osseuse portant une mutation génétique qui empêche naturellement le VIH d'entrer dans les cellules, la mutation génétique CCR5 delta-32. Cette greffe a été un vrai succès contre la leucémie et contre le VIH. Quatre ans après l’arrêt total de ses traitements anti-VIH, le patient de Düsseldorf n'a plus aucune trace du VIH détectable. Il s’agit du cinquième cas de ce genre après Timothy Ray Brown (le « patient Berlin), Adam Castillejo (le « patient de Londres »), la « patiente de New York » en 2022 et le « patient de Californie » en 2022. L’annonce a fait le tour des médias, lundi 20 février, mais attention aux termes utilisés. Plutôt que de « guérison », les experts-es préfèrent parler de « rémission ». Autre point de vigilance : les experts-es estiment qu'un traitement curatif basé sur une greffe de cellules souches n’est pas transposable à l’ensemble des personnes vivant avec le VIH. C'est une procédure complexe et risquée (potentiellement mortelle). « Il est nécessaire de trouver un donneur compatible au niveau immunogénétique pour éviter le rejet de la greffe », a expliqué Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur à France Info. « De plus, étant donné que moins de 1 % de la population générale porte cette mutation protectrice du VIH, il est très rare qu’un donneur de moelle compatible ait cette mutation. Au final, il s’agit d’une situation exceptionnelle quand tous ces facteurs coïncident pour que cette greffe soit un double succès de guérison, de la leucémie et du VIH », a conclu le chercheur.

 

Prep en anneau vaginal
La Prep sous forme d'un anneau vaginal imprégné de dapivirine, un antirétroviral, utilisé pour réduire le risque d'infection par le VIH est une méthode de prévention du VIH approuvée dans plusieurs pays d'Afrique et recommandée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). L’anneau qui se place dans le vagin et doit être changé tous les mois. Il libère progressivement la molécule protectrice. Inspirée des anneaux utilisés pour la contraception, la Prep en anneau vaginal est une option de prévention de l'infection par le VIH que les femmes peuvent contrôler et utiliser discrètement au cas où elles ne pourraient pas utiliser ou n'auraient pas accès à la Prep orale ou injectable. Deux essais cliniques (RING et ASPIRE) ont montré que l'anneau vaginal à la dapivirine permettait de réduire respectivement, selon les essais, de 31 et 27 % le risque de séroconversion ; ce qui n’est pas un chiffre très élevé, mais qui a néanmoins un intérêt à l’échelle d’une population dans des pays où la prévalence du VIH est très élevée. De nouvelles données issues de la phase IIIb de l’essai Deliver (MTN-042) ont été présentées à la Croi. Elles indiquent que l’anneau vaginal contenant la Prep avec dapivirine n'a posé aucun problème de sécurité lorsqu'il a été utilisé au cours du troisième trimestre de la grossesse. Il s’agit de l'une des rares études sur la Prep chez les femmes cisgenres enceintes. De son côté, l'étude B-Protected (MTN-043), réalisée au Malawi, en Afrique du Sud, en Ouganda et au Zimbabwe, a révélé que cet outil de prévention ne présentait pas de risque pendant l’allaitement. Si le médicament pouvait être détecté dans le lait maternel, les niveaux étaient très faibles et la quantité de médicament ingérée par les bébés encore plus faible, ce qui ne pose aucun problème de sécurité. Des données rassurantes sur un outil de prévention avec une efficacité qui demeure modérée.