Rémission du VIH : prudence

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 16.02.2022
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ConférencesCroi 2022

Opération de communication ou réel espoir ? Force est de constater que les « scoops » scientifiques sur le VIH se font rares en cette Croi 2022 très dominée par la Covid-19. Les organisateurs-rices ont donc bien orchestré l’annonce d’un nouveau cas de « guérison » en ce troisième jour de Croi 2022. Une femme séropositive et atteinte d'une leucémie aurait « guéri du VIH » suite à une greffe de cellules souches. Les experts-es parlent plutôt d’un cas de rémission virale et cette annonce, certes intéressante, mérite prudence, nuances et explications.

Une procédure complexe et risquée

Ces dernières années, deux hommes, baptisés respectivement « patient de Berlin » et « patient de Londres », ont été « guéris » du virus après avoir subi une greffe de moelle osseuse à haut risque, pour traiter un cancer (Timothy Ray Brown, le patient de Berlin est décédé le 29 septembre 2020 des suites d’un cancer).

Dans ce troisième cas présenté mardi à la Croi, il s’agit pour la première fois d’une femme vivant avec le VIH (diagnostiquée en 2013) et atteinte d’une leucémie depuis 2017. Celle que l’on surnomme déjà « la patiente de New York » a subi une greffe de cellules souches du sang du cordon ombilical, qui sont plus largement disponibles que les cellules souches adultes utilisées dans les greffes de moelle osseuse. Les cellules souches des cordons ombilicaux n’ont pas non plus besoin d’être aussi étroitement appariées au receveur que les cellules de la moelle osseuse. Dans le cadre de son traitement contre la leucémie, la femme avait également reçu un traitement à partir du sang de cordon ombilical pour son cancer d’un donneur partiellement compatible et du sang d’un proche parent. Un an après cette greffe (qui a eu lieu il y a quatre ans), la patiente de New York était en rémission virale du VIH et plus aucune trace du virus n’a été détectée chez elle depuis. Elle n'est plus sous traitement ARV depuis 14 mois, sa charge virale est indétectable, ses CD4 sont stables et ses anticorps sont devenus négatifs au VIH. Sa leucémie est également en rémission.

Cette nouvelle méthode pourrait concerner 50 personnes par an d’après les chercheurs-ses. Les experts-es estiment qu'un traitement curatif basé sur une greffe de cellules souches n’est pas transposable à l’ensemble des personnes vivant avec le VIH. C'est une procédure complexe et risquée (potentiellement mortelle) car tout le système immunitaire est essentiellement détruit puis remplacé. Il est donc contraire à l’éthique d’utiliser ce traitement sur toute personne séropositive qui ne serait pas en stade avancé d’un cancer en raison de l’ampleur des risques associés.

Prudence donc, comment souvent avec ce genre d’annonces très médiatisées qui peuvent donner de faux espoirs à des millions de personnes vivant avec le VIH.

Covid-19 : réduire les inégalités pour réduire la transmission

Müge Çevik est une médecin et chercheure en maladies infectieuses à l'Université de St Andrews (Royaume-Uni). En plénière ce mardi, l’experte est revenue sur l’épidémiologie mondiale de la Covid-19. Entre le premier signal à la fin de l’année 2019 avec un cluster en Chine et aujourd’hui, il y a eu plus de 303 000 publications scientifiques sur le sujet et 408 millions d’infections ont eu lieu dans le monde à ce jour. Du jamais vu ! En parallèle beaucoup de fake news ont inondé les réseaux sociaux et cercles complotistes. Des chiffres vertigineux.

Les vagues épidémiques sont de formes diverses en fonction des régions du monde. La Covid-19 a mis en tension les systèmes de santé au-delà de leurs capacités. Les vaccins ont diminué massivement les hospitalisations et décès avec des différences de mortalité chez les personnes de plus de 60 ans expliquées par les différences en couverture vaccinale. La transmission dépend de facteurs personnels, mais aussi des souches de virus, de l’environnement structurels et de facteurs sociaux.

Le variant Omicron est moins symptomatique et pourrait donc être sous détecté ce qui favoriserait également la transmission. En Afrique, beaucoup de sous-estimation du poids de la maladie : la surmortalité de 20 % contraste avec le peu de diagnostics réalisés. Müge Çevik explique qu’il faut penser aux facteurs environnementaux où se rendent les personnes pour comprendre les situations à risque et non se concentrer uniquement sur des facteurs individuels. Il existe une partie de la population particulièrement vulnérable où il ne faut pas amplifier les risques.  Les données de surveillance de populations vaccinées restent indispensables. Seulement 55 % de la population mondiale a été vaccinée. Un autre problème est le retard de prise en charge des autres infections à cause de la pandémie. Les solutions sont aussi systémiques explique la chercheure. En améliorant les conditions de vie des populations précaires ou sans domicile, nous réduirons les inégalités ce qui en retour réduira la transmission de ce type de virus.

Covid-19 et PVVIH sous Truvada

Parmi les 789 (!) posters scientifiques disponibles sur le site de la Croi 2022, attardons-nous sur cette étude observationnelle espagnole. Les chercheurs-ses ont analysé les données de 51 558 personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sous traitement ARV avec une charge virale indétectable dans 69 centres de suivis VIH en Espagne entre le 1er février et le 31 décembre 2020.

Dans ce large groupe, 40 % des PVVIH étaient sous tenofovir alafenamide/emtricitabine (TAF/FTC) la nouvelle forme du Truvada, 12 % étaient sous tenofovir disoproxil fumarate plus emtricitabine (TDF/FTC), la première forme de Truvada, 27 % étaient sous abacavir/lamivudine (ABC/3TC) et 21,8 % étaient sous d’autres traitements.

En tout, 2402 personnes ont eu des infections au Sars-CoV-2 documentées, 425 ont été hospitalisées, 46 ont été admises en soins intensifs et 37 sont décédées des suites de la Covid-19. Après avoir effectué des ajustements sur des caractéristiques cliniques et démographiques (âge, comorbidités, charge virale, CD4 etc.), le risque estimé d’hospitalisation, d’admission en soins intensifs et de décès était le moins élevé dans le groupe des PVVIH sous TDF/FTC, suivi par des ratios de risques plus élevés dans les groupes TAF/FTC et ABC/3TC. Précision importante, ce risque moins élevé concernait seulement les PVVIH de 50 ans et plus. Pour les chercheurs-ses, ces données suggèrent que le traitement TDF/FTC pourrait diminuer les risques de formes sévères de la Covid-19 chez les PVVIH de 50 ans et plus mais il n’a peut-être pas le même effet chez les PVVIH plus jeunes. Plus d’informations sur cette étude sur The BodyPro.

Prep injectable efficace mais chère

Les dernières données de l’essai HPTN 083 ont été présentées mardi à la Croi. Les chercheurs-ses reportent ici le recul d’un an d’observation supplémentaire. Cet essai a démontré que des injections de cabotégravir en Prep tous les deux mois étaient plus efficaces que les prises quotidiennes orales à base de Truvada (ténofovir et emtricitabine), mais un point de vigilance a été soulevé concernant les infections à VIH qui ont lieu pendant l’essai et après. Sur les 4 566 personnes qui ont participé à cet essai, 72 infections à VIH ont eu lieu dans le groupe qui prenait du Truvada et 25 dans le groupe qui prenait des injections de cabotégravir.

Une analyse poussée de ces infections a montré que dans le groupe prenant Truvada, il s’agissait de personnes qui étaient soient déjà infectées par le VIH au tout début de l’essai, soit qui avaient un problème d’observance (absence ou faible concentration de Truvada dans le sang). Dans le groupe cabotégravir, la plupart des infection ont eu lieu chez des personnes qui n’ont pas fait leurs injections en temps et en heure. Cependant, sept personnes ont été infectées alors qu’elle avait respecté leur rendez-vous et que le niveau de cabotégravir était théoriquement suffisant pour empêcher une infection. Des infections rares mais non expliquées à ce jour.

Les chercheurs-ses ont utilisé des méthodes ultrasensibles pour diagnostiquer des mutations de résistance dès le diagnostic d’infection établi chez ces personnes. Dans 5 cas sur 7, le virus aurait pu être détecté plus tôt avant que la résistance soit générée. Il aurait fallu faire une première mesure de charge virale détectée et utiliser un traitement à base d’anti intégrase avant que la résistance ne soit établie. Cela démontre la nécessité de faire ce test lors du suivi de personnes sous Prep injectable.

Ce traitement de Prep injectable tous les deux mois est commercialisé aux USA depuis janvier 2022 sous le nom Apretude. Dans un communiqué publié le 23 décembre dernier, la Fair Pricing Coalition (FPC), une coalition d’activistes qui milite pour des prix de traitements VIH « raisonnables », dénonce le prix exorbitant d’Apretude vendu par la laboratoire Viiv Healthcare. D’après la FPC, ce traitement injectable va coûter 22 200 dollars par an et par personne soit 3 700 dollar la dose. Ce prix serait 25 % supérieur au prix du même composant, la cabotegravir, dans le cadre de la bithérapie VIH injectable Cabenuva. « Le cabotegravir dans Cabenuva est vendu à 2 970 dollars la dose » explique le Dr Paul Arons, membre de la FPC. « Qu’est-ce qui peut justifier qu’en Prep, la même solution soit vendue à 3 700 dollars la dose alors que la grande partie des recherches sur Apretude a été financée par les impôts des américains ? » La FPC précise qu’au prix d’une seule dose d’Apretude, dix personnes pourraient avoir la version génériquée de Truvada, qui coûte 30 dollars par mois, en comprimés quotidiens de Prep pendant un an.

Prep : où sont les femmes ?

Une session était consacrée à l’usage de la Prep chez les jeunes femmes très exposées au VIH. L’OMS a recommandé la Prep à toutes les personnes exposées au VIH dans le monde mais à ce jour sur les cinq millions d’usagers-ères de Prep, la grande majorité restent des hommes. Pour déployer cet outil, Il faut adapter la communication auprès des jeunes filles, simplifier le suivi, penser au soutien à distance, intégrer la Prep dans le suivi de santé sexuelle et reproductive. Il faut également diversifier les options (comprimés, anneaux vaginal, injection, implant etc.) en particulier chez les plus jeunes.

En Afrique du Sud, de nombreuses stratégies ont été utilisées pour promouvoir la Prep chez les jeunes filles via les communautés : affiches, canaux digitaux, réseaux sociaux etc. La stratégie a été d’intégrer la Prep au sein des offres de santé sexuelle et reproductive comme un service supplémentaire. Les écoles et Universités font la promotion de ces offres combinées. Cela a permis une montée de la Prep dans cette population.

Au Zimbabwe, la prévalence du VIH chez les travailleurs-ses du sexe (TDS) est de 50 % à partir de 24 ans. Les obstacles à la Prep sont la stigmatisation, la peur des effets indésirables, la confusion avec le traitement du VIH et le manque de soutien pour l’adhérence au suivi.  Entre 2019 et 2021, il y a eu inclusion de TDS dans un programme Prep. Ce qui a bien fonctionné c’est la délivrance pour trois mois ou même plus, les groupes d’auto-support et l’intégration de la Prep aux autres services.

 

Offrir le TPE dans le contexte actuel de la Prep
Le TPE (traitement post exposition) est également sous utilisé et difficile d’accès pour les jeunes filles, il faut en simplifier l’accès et le lier à la contraception d’urgence. Quelle place pour le TPE en Afrique ? Une étude pilote a évalué l’acceptabilité du TPE dans cinq communautés rurales du Kenya. La population a été sensibilisée à cette nouvelle offre. Délivrance possible 7J/7 et 24h/24. Au total, 124 personnes sont venues dont deux tiers de femmes, 20 % ont rapporté un rapport non protégé par un préservatif avec un-e partenaire positif, 72% avec un-e partenaire au statut sérologique inconnu. L’adhérence au TPE a été excellente. Cet outil reste une option possible à ne pas oublier en Afrique même si la Prep est en train de s’implanter.