VIH : quels traitements demain ?

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 16.02.2022
3 197 lectures
Notez l'article : 
4
 
0
ConférencesCroi 2022

Mercredi 16 février 2022, dernier jour de la Croi 2022. Que penser de cette nouvelle édition virtuelle ? Peu, voire pas de scoops scientifiques sur le VIH et beaucoup de place accordée à la Covid-19. Comme une impression que la recherche VIH est suspendue à la crise sanitaire depuis deux ans. Peut-être aussi assistons-nous à une perte de l’exceptionnalité du VIH au profit de la Covid-19 ? Le virtuel a ses limites et ce format déshumanisé commence à lasser les conférenciers-ères qui n’ont qu’une seule hâte, se retrouver en physique ! Alors le rendez-vous est fixé dans un an, à Seattle. Si la Covid-19 nous laisse un peu de répit…

Plaidoyer pour une recherche clinique plus inclusive

En ouverture de la dernière plénière de cette Croi 2022, une présentation brillante et passionnante de Chloe Orkin sur le futur des traitements VIH. Chloe Orkin est une médecin britannique et professeure spécialisée dans le VIH à l'Université Queen Mary de Londres. C’est aussi une féministe ouvertement lesbienne qui n’hésite pas à remercier et partager une photo avec sa femme pendant sa présentation, un fait suffisamment rare dans ce genre de conférence pour le souligner. La professeure commence par rendre hommage aux activistes qui luttent depuis 40 ans pour un accès global aux traitements VIH mais elle rappelle qu’aujourd’hui sur près de 38 millions de personnes vivant avec le VIH, seuls-es 74 % des adultes et 54 % des enfants sont sous ARV…

De quoi avons-nous besoin aujourd’hui en matière de traitements demande Chloe Orkin ? Nous avons besoin de traitements qui fonctionnent chez chaque personne vivant avec le VIH (y compris celles dont la souche de VIH a développé des résistances) ; de traitements sûrs pour chaque personne (moins d’effets indésirables y compris chez les femmes enceintes et les enfants) ; de choix dans les traitements (comprimés quotidiens ou longue durée d’action selon les contraintes de vie de chacun-e) et enfin de traitements accessibles de partout (et ne pas réserver les nouveaux traitements aux pays riches !).

La médecin se lance ensuite dans un plaidoyer pour une recherche clinique plus inclusive. « Il faut challenger l’idée du corps masculin de 70 kilos comme étant la norme ». Elle insiste également sur l’importance de ne pas reproduire certaines erreurs dues à des représentations : « On a mis la pression sur les femmes pauvres et les femmes noires pour qu’elles utilisent la contraception à longue durée d’action. Il ne faut pas reproduire ça avec les ARV à longue durée d’action ». Toujours concernant les femmes : « il faut protéger les femmes à travers la recherche et non DE la recherche », explique Chloe Orkin en référence à un manque de femmes dans les essais cliniques, en particulier un manque de femmes enceintes.

De quel type d’activisme avons-nous besoin aujourd’hui demande la professeure en fin de présentation ? Il faut se poser les bonnes questions. À qui les traitements VIH et Prep à longue durée d’action vont le plus profiter ? Comment inclure les participants-es à chaque étape de la recherche clinique ? Est-ce que les chercheurs-ses représentent les communautés qui sont étudiées ? Enfin, une question cruciale pour les organisateurs-rices de conférences scientifiques, où sont les personnes concernées ? Et puis, sujet récurrent quand on parle des traitements à longue durée d’action, quid des résistances du virus ? « La résistance pourrait être le prix à payer. Il faut peser les bénéfices et les risques mais c’est un changement de paradigme dans la façon d’envisager les ARV et ce changement est très attendu par la communauté » conclut Chloe Orkin.

Lenacapavir, des résultats prometteurs

Le lenacapavir est un inhibiteur de la capside, soit une nouvelle cible du cycle viral développé par le laboratoire Gilead. Il a une longue demi-vie et une forte puissance antivirale. Il est testé actuellement dans plusieurs études en traitement VIH et en Prep. Les dernières données de l’essai de phase II/III Capella à un an (52 semaines) ont été présentées à la Croi. Dans cet essai, le lenacapavir est administré tous les six mois en injection sous-cutanée à des personnes qui étaient en situation d’échec thérapeutique et dont la souche du VIH avait développé des résistances à d’autres molécules. Au total, 36 participants-es en Amérique du Nord, Europe et Asie. Les personnes continuaient de prendre leur traitement VIH habituel en plus des injections de lenacapavir. Les résultats à un an montrent une charge virale indétectable et une augmentation significative des CD4 chez 83 % des participants-es.

Dans l’essai de phase II Calibrate, le lenacapavir a été testé chez des PVVIH naïves (qui n’avaient jamais pris de traitement VIH). Au total, 182 participants-es en Amérique du Nord, Porto Rico et la République Dominicaine. Quatre groupes ont été mis en place avec pour chacun une combinaison de molécules ARV différentes en prise orale associée à une injection de lenacapavir toutes les 26 semaines. À la 54e semaine, les quatre groupes avaient des taux très élevés de succès (entre 85 et 90 %) et même taux d’effets indésirables (entre 8 et 14 % liés à l’injection ).

Dans un communiqué publié le 21 décembre 2021, Gilead annonçait que la FDA (Food and Drug Administration, l’agence américaine du médicament) avait suspendu tous les essais de lenacapavir en solution injectable. En cause, les flacons de verre borosilicatés qui pourraient mener à la formation de micro-particules de verre qui se mélangeraient à la solution injectable. « Nous sommes déterminés à travailler rapidement avec la FDA pour résoudre ce problème de flacon et reprendre dès que possible nos études sur le lenacapavir injectable », assurait le Dr Merdad Parsey, directeur médical chez Gilead. Pendant ce temps les essais sur le lenacapavir en comprimé oral suivent leur cours.

Islatravir, un futur incertain

L’islatravir est le premier inhibiteur nucléosidique de la translocation (INTTI) à être développé pour le traitement de l'infection par le VIH. Cette molécule a la capacité de persister longtemps dans l’organisme, c’est pourquoi elle est développée pour des prises espacées, tant comme traitement préventif (Prep, TPE) que comme thérapie pour les personnes vivant avec le VIH. En Prep, la molécule est étudiée en prise orale mensuelle et sous forme d’implant annuel sous-cutané. En traitement VIH, islatravir est étudiée en bithérapie associée avec la doravirine (Pifeltro) sous forme de comprimés quotidiens et en bithérapie avec le lénacapavir du laboratoire Gilead sous forme injectable.

Alors que beaucoup d’espoirs reposaient sur cette nouvelle molécule, le 13 décembre dernier, le laboratoire MSD (Merck) annonçait dans un communiqué que tous les essais cliniques contenant l’islatravir étaient mis en pause sur demande de la FDA Cette décision intervient après le constat d’une lymphopénie (taux anormalement bas des lymphocytes CD4, cellules jouant un rôle immunitaire important) que ce soit dans le cadre d’un traitement anti-VIH ou en Prep. À ce jour, aucun nouvel essai avec cette molécule ne peut être initié, ni poursuivi et tous-tes les participants-es des essais ont arrêté de prendre l’islatravir et sont sous surveillance pour voir si leur nombre de CD4 remonte. Seule exception, les personnes qui faisaient partie des essais de switch avec la bithérapie en comprimés quotidiens islatravir/doravirine (Pifeltro) qui continueront ce traitement avec une surveillance accrue des CD4, mais l’essai n’inclura pas de nouveaux-lles participants-es. En ce qui concerne l’étude évaluant l’association islatravir/lenacapavir en injectable, MSD a confirmé la décision conjointe des deux firmes concernées de son arrêt. Quel futur pour tous ces essais prometteurs ? Personne ne le sait encore.

L’espoir des anticorps neutralisants

Les anticorps sont un des piliers de notre système immunitaire, fabriqués par l’organisme, ils détruisent les microbes qui nous attaquent. Dans certaines maladies, les anticorps sont injectés pour permettre un contrôle d’une infection grave. Pour le VIH, on sait qu’il existe des anticorps neutralisants plus ou moins puissants sur la plupart des sous-types de VIH chez les personnes. Plusieurs études en cours évaluent la tolérance et la pharmacocinétique de différentes combinaisons d'anticorps neutralisants à large spectre en Prep chez l’humain. Les premiers résultats donnent une bonne tolérance globale. Les effets neutralisants des plasma étudiés montrent un effet prolongé dans le temps. Une piste à suivre.

Les anticorps neutralisants pourraient aussi être une voie alternative aux ARV classiques. Des chercheurs-ses ont testé une combinaison de trois anticorps neutralisants différents chez des PVVIH. Ces anticorps sont bien tolérés, leur demi-vie est de 21 jours. Chez des personnes qui n’avaient jamais pris de traitement VIH, la charge virale est remontée 20 jours après les injections d’anticorps. Le virus qui a échappé a montré des résistances contre au moins un des anticorps. Les taux d’anticorps semblaient insuffisants car la demi-vie des anticorps parait plus courte chez les PVVIH que chez les personnes séronégatives. Il est nécessaire d’affiner cette stratégie.

Une nouvelle molécule 3BNC117 a été présentée à la Croi. Il s’agit là aussi d’un anticorps neutralisant, qui se lie sur les sites de fixation du virus au CD4 et à la boucle de l’enveloppe. Un seul anticorps n’est pas suffisant et cela crée des résistances. Ces anticorps ont été désignés pour avoir des demi-vies prolongées. Un essai de phase 1 a été mené sur six participants qui n’avaient jamais pris d’ARV et qui avaient des CD4 supérieurs à 500 /mm3. Excellente tolérance observée. La demi-vie de la combinaison est plus longue que les anticorps seuls.

L’anneau vaginal : une autre option de Prep

Chez les filles adolescentes, une population très exposée au VIH en Afrique du Sud, l’observance à la Prep orale (en comprimés quotidiens) est de seulement 25 %. En janvier 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé l’usage d’un anneau vaginal imprégné de dapivirine. Malheureusement, dans les essais seules 50 % des usagères étaient observantes à l’anneau mensuel, ce qui veut dire qu’une participante sur deux ne le mettait pas du tout. Une nouvelle stratégie a été imaginée : proposer un anneau trimestriel (90 jours) à base de ténofovir (TDF). Les premières données présentées à la Croi concernent la tolérance. Dans cet essai, deux groupes de femmes, un avec l’anneau imprégné de TDF et un autre groupe avec un anneau comportant un placebo. Pas de différence de tolérance observée entre les deux groupes. Le niveau de protection de TDF dans les prélèvements était suffisant jusqu’au 56e jour mais ce niveau baissait chez un tiers des participantes avant le 90e jour. Des études de dosage et de tolérance sont nécessaires afin de poursuivre cette piste.

Prep et contraception, deux en un ?

Partant du principe qu’à ce jour seul le préservatif permet un double effets protecteur contre une infection à VIH et une grossesse non désirée, les chercheurs-ses ont imaginé un traitement multifonctions (ou MPT pour multi-purpose treatment) sous forme d’un implant injectable sous-cutané à longue durée d’action. Le produit injecté combine des ARV (dolutégravir ou cabotégravir) associés à un contraceptif. S’agissant d’une phase préclinique, cette solution a été injectée à des souris. Lors du contrôle 90 jours après l'injection, les concentrations attendues étaient suffisantes pour être efficaces. Des études chez le macaque sont en cours avec une très bonne concentration de cabotégravir à six mois de l'injection du produit et des études chez l'humain devraient être possibles dans le futur.

 

VIH et risque de crise cardiaque
Le risque d'infarctus du myocarde, ou crise cardiaque, était 60 % plus élevé chez les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) que dans la population générale dans deux villes américaines d’après une étude présentée à la Croi et reprise par le site aidsmap. Cette étude a analysé les données de santé des PVVIH à Francisco et Boston sur les périodes 2005-2009 et 2010-2017. L'analyse a porté sur 9 401 PVVIH (dont près de 90 % d’hommes) dont les données ont été comparées à celles d’un groupe de personnes séronégatives présentant des profils démographiques et cardiovasculaires similaires. Ces résultats soulignent l’importance d'une surveillance accrue des maladies cardiovasculaires chez les personnes vivant avec le VIH.

 

Les vaccins du passé, présent et futur
Un vaccin est toujours nécessaire, malgré le développement de la Prep mais c’est un toujours un défi pour les scientifiques. Le VIH est intégré dans le génome, il n’existe pas à ce jour de cas de VIH spontanément guéri, ni de modèle. De plus la variabilité du virus est énorme. L’enveloppe du virus est très compacte pour se protéger des anticorps. Tout cela est différent du Sars-CoV-2, le virus de la Covid-19. Beaucoup de vaccins ont été imaginés de façon empirique, les chercheurs-ses tentent désormais d’avoir un rationnel pour créer de nouveaux vaccins VIH. Cinq essais vaccinaux ont été menés (approche empirique) dont un seul avec une faible efficacité et les autres non efficaces. Aucun n’a induit ces anticorps neutralisants à large spectre. Dans les modèles singes, certains épitopes de l’enveloppe semblent générer une immunité cellulaire partiellement efficace. Le futur de la vaccination VIH doit avoir une approche rationnelle mais il faut identifier les marqueurs de protection et les meilleurs anticorps neutralisants. Des essais avec des anticorps neutralisants sont en cours, mais c’est pour l’instant de l’immuno- protection passive, qui devrait servir à savoir si ces anticorps sont à faire produire par des vaccins et quel est le taux d’anticorps à atteindre. Les chercheurs-ses pourront aussi se baser sur des modèles animaux. Le 9 décembre dernier, les tous premiers résultats d’un essai clinique de vaccination contre le VIH, fondé sur la technologie de l’ARN messager, ont été publiés dans la revue scientifique Nature. Le vaccin s’est révélé sûr lorsqu’il a été administré à des macaques, et le risque d’infection par exposition a été diminué de 79 % déclarent les chercheurs-ses. Il réclame toutefois des améliorations, avant de pouvoir être testé sur les humains.