Dans le communautaire, we trust !

Publié par Rédacteur-seronet le 13.11.2020
3 340 lectures
Notez l'article : 
5
 
0
ConférencesAfravih 2020

Du 8 au 11 novembre 2020, Dakar accueille la dixième conférence Afravih. L’édition 2020, en version connectée, est aussi riche et dense que les années précédentes. Il y est question de la prévention du VIH via la Prep et des IST, de l’intérêt de l’approche communautaire dans la fin de l’épidémie de sida, des données sur le VIH et les hépatites virales et du plaidoyer en faveur d’une autre politique des drogues, notamment sur le continent africain.

Prévention VIH et IST : où en est-on ?

Lors de la conférence, une session était consacrée à la prévention du VIH et des IST. Le Dr Martin Siguier (service des maladies infectieuses, hôpital Tenon, AP-HP Paris) a fait le point sur les différents essais autour de la Prep. Il a notamment parlé d’une étude qui va comparer l’efficacité de l'islatravir (MK-8591), le premier inhibiteur nucléosidique de la translocation (INTTI), en prise orale mensuelle par rapport à l’association TDF/FTC (fumarate de ténofovir disoproxil et emtricitabine) en prise orale quotidienne. L’infectiologue a également parlé des bons résultats avec le cabotégravir par injection, tous les deux mois. Le même jour, l’Onusida annonçait de très bons résultats sur cette stratégie de prévention chez les femmes : « Une étude montre que les injections sont 89 % plus efficaces dans la prévention contre le VIH par rapport à des comprimés oraux de prophylaxie préexposition (Prep) pris quotidiennement », a souligné l'agence onusienne dans un communiqué.

Martin Siguier a évoqué l’étude Hope (HIV Prevention open Label Extension), centrée sur les anneaux vaginaux imprégnés de dapivirine, ainsi que deux études en cours sur une stratégie de prévention basée sur des anticorps neutralisants. Pas de nouvelles concernant un éventuel vaccin préventif du VIH, aucun essai ne s’est avéré concluant à ce jour. Il a aussi présenté deux sous études qui concernent les prépeurs en Île-de-France, à savoir Docyvac, qui évalue l’intérêt de la vaccination du méningocoque B dans la protection contre le gonocoque et DoxyPep qui évalue l’intérêt de prendre de la doxycycline, un antibiotique, en traitement post exposition pour se prémunir de la chlamydia et de la syphilis (pas d’effets sur le gonocoque).

De son côté, le professeur Charles Cazanave (Service des maladies infectieuses et tropicales, CHU de Bordeaux, France) a fait une présentation sur les résistances microbiennes aux IST et notamment sur le mycoplasma genitalium qui connait des résistances tellement fréquentes que le consensus scientifique est de ne plus dépister cette IST sans manifestation de symptômes. De façon plus générale, l’infectiologue a rappelé qu’il était important d’utiliser les antibiotiques « à bon escient et avec parcimonie ». Concernant l’hépatite C, il a rappelé l’importance de généraliser le « test and treat » c’est-à-dire, comme pour le VIH, mettre sous traitement antiviral les personnes dépistées positives au VHC le plus tôt possible afin de limiter les risques de transmission du virus.

VIH et drogues : une loi type en Afrique de l’Ouest

Un des atouts de l’Afravih est d’avoir un large périmètre de sujets d’intérêt. En témoigne un des cinq symposiums proposés mardi 10 novembre. L’objectif visé par l’ensemble des intervenants-es reflète celui des acteurs-rices de la réduction des risques partout dans le monde : une réforme des politiques et des lois sur les drogues et un changement de paradigme allant vers la dépénalisation et la décriminalisation de l’usage de drogues. Nous le savons déjà, la stigmatisation des consommateurs-rices de drogues fait le lit des épidémies et la défense des droits des consommateurs-rices passera, en premier lieu, par une transformation des mentalités. Le consensus est clair chez nombre d’experts-es : la fin de la « guerre à la drogue » est une urgence absolue pour mettre fin aux violations des droits fondamentaux des consommateurs-rices de drogues et aux violences qu’ils-elles subissent. C’est d’autant plus nécessaire que cela constitue un obstacle dans l’accès aux soins. Les exemples d’avancées en ce sens sont nombreux dans ce symposium, même si les obstacles à surmonter le sont tout autant.

En Suisse, la politique de réduction des risques mise en place depuis les années 90 porte aujourd’hui ses fruits et démontre, en plus, d’une baisse des décès liés à l’usage de drogues (le nombre a été divisé par trois en 15 ans), une baisse des décès liés au sida et une baisse des nouvelles contaminations au VIH (elles sont passées de près de 1 000 par an à la fin des années 90 à environ 12 cas annuels aujourd’hui). C’est la pression publique qui a forcé les politiciens-nes dans les années 90 à changer pour une « nouvelle approche » des drogues qui prévaut toujours, a rappelé Jasna Lazarevic (Suisse). Il s’est agi de faire de la promotion de la santé dans un premier temps, puis de proposer un traitement ou un suivi médical, d’accompagner la RDR auprès des personnes consommatrices. Par la suite, le pays s’est engagé dans une régulation, notamment avec une réglementation de la consommation. Cette politique a aussi eu des répercussions positives en matière de sécurité publique et a conduit à la disparition des scènes publiques extérieures de consommation. Reste que la Suisse est confrontée à de nouveaux défis, notamment avec l’arrivée des nouveaux produits et des nouveaux usages associés. Pour autant, le pays ne semble pas vouloir renoncer à l’attitude humaine, compatissante et respectueuse des droits humains qu’il a eue jusque-là.

Au Sud, la « loi type sur les drogues » pour l’Afrique de l’Ouest impulsée par Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, est un outil (rédigé par la commission ouest africaine sur les drogues) à destination des décideurs-ses politiques. Elle entend répondre à un besoin de réforme à travers diverses recommandations visant les lois en matière de drogues et se tourner vers un système moins répressif à l’encontre des personnes consommatrices de drogues. Elle prône une meilleure prise en compte des droits humains. 
Comme l’a expliqué El Hadj As Sy (Sénégal), cette « loi type » entend « placer l’humain au centre de la lutte ». L’expert a noté aussi que les politiques actuelles de contrôle sont plus violentes que la consommation proprement dite. Il a rappelé que pendant longtemps le continent africain n’a été qu’un lieu de passage des drogues (ce qu’il est encore) avant de devenir aussi un lieu de consommation. L’enjeu mis en lumière par cette « loi type » et partagé par l’ensemble des acteurs-rices de la réduction des risques est celui du travail primordial sur les représentations pour lutter en amont contre la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les personnes consommatrices. Un travail colossal quand on sait que le premier obstacle rencontré par la commission ouest africaine a été le déni de plusieurs États de reconnaître la présence de la drogue sur leur territoire et l’existence même de consommateurs-rices parmi la population de leur pays. Alors par où faut-il commencer ? D’un côté, en faisant bouger les lois, on permet de faire évoluer les représentations sur les consommateurs-rices de drogues ; de l’autre, c’est en faisant changer les regards et en luttant contre la stigmatisation que l’on aura plus de leviers pour plaider et faire changer les lois.

À l’origine de cette loi type, la commission ouest africaine a pour rôle de faire le lien avec les différentes instances internationales et nationales pour mettre en place de nouvelles politiques permettant d’atténuer les effets néfastes des actuelles politiques des drogues en Afrique de l’Ouest et de faire en sorte que la répression ne soit plus la seule stratégie pour les questions de drogues. Nous l’aurons compris, la politique des drogues répressive reste un sujet relayé au second plan par de nombreux gouvernements et trop minoritairement porté par les institutions dans les plus hautes sphères de discussions.

Afrique de l’Ouest et du centre : le communautaire fait la différence

Autre temps fort des symposiums, celui de Coalition PLUS dont le thème était la « fin de l’épidémie de sida en Afrique de l’Ouest et du centre : comment le communautaire fera la différence ». Ce symposium a permis de faire le point sur la réponse communautaire face à la crise sanitaire du VIH… mais aussi à celle de la Covid-19. Pour permettre la continuité des services de chaque association partenaire, Coalition PLUS a réussi à débloquer dès le début de l’épidémie de Covid-19 un fonds d’urgence à hauteur de 1,4 million d’euros. Les diverses présentations de ce symposium (assurées par des associations membres de Coalition PLUS – Pils (République de Maurice), Arcad Santé plus (Mali), ALCS (Maroc) Kimirina (Équateur) et Aras (Roumanie) – sont revenues sur les points essentiels de l’adaptation de leurs services et de la stratégie adoptée par Coalition PLUS face à la nouvelle pandémie pour apporter une aide aux populations marginalisées et maintenir les soins des personnes vivant le VIH. Pour toutes les associations du réseau, il a fallu, dès le début de la nouvelle crise sanitaire, faire face à des défis de réorganisation des services (sens de circulation, favorisation de la prise de rendez-vous, distribution de masques, etc.) pour maintenir les activités et le soutien aux populations vulnérables tout en protégeant les intervenants-es face aux risques d’exposition à la Covid-19. Partout, il a fallu faire avec les moyens du bord et avec des baisses des financements externes qui se sont quasiment tous tournés vers la réponse à la Covid-19 et ont délaissé les autres problématiques de santé comme le VIH, et ce, à mesure que les populations vulnérables cumulaient de nouveaux facteurs de précarité. Les associations ont donc dû se réinventer, encore, via l’utilisation des nouvelles technologies par exemple (expérience de Kimirina en Équateur) mais également en répondant aux nouveaux besoins des populations rencontrées avec la distribution de colis alimentaires et de kits d’hygiène.

Un des points saillants de ces présentations est le rôle des associations communautaires dans l’accès à une information claire sur la Covid-19 pour les populations vulnérables, cela passe notamment par un travail de proximité. En parallèle de ce travail, les associations communautaires ont eu un fort rôle à jouer auprès des autorités publiques ; un rôle qui n’est pas sans rappeler l’histoire de la lutte contre le VIH/sida. On voit alors dans plusieurs pays (Maroc, Île Maurice) que ce sont les acteurs-rices communautaires qui ont contribué au maintien des personnes vivant avec le VIH dans le soin avec une implication forte dans la distribution des antirétroviraux, mais également dans la distribution d’autres traitements pour les populations vulnérables comme la méthadone pour les personnes consommatrices de drogues ou la Prep. Cette coopération permet à ce jour une meilleure reconnaissance des acteurs-rices communautaires et de leur expertise notamment dans la réponse aux situations d’urgence allant jusqu’à permettre à une association comme l’ALCS au Maroc de proposer au gouvernement une nouvelle stratégie d’intervention… sur la Covid-19. Les associations communautaires se sentent aujourd’hui un peu mieux préparées pour la deuxième vague de Covid-19, mais redoutent encore un manque de prise en compte de la part des autorités. Toutes rappellent une chose essentielle, un des grands héritages de la lutte contre le sida : « Rien pour nous sans nous », car les acteurs-rices communautaires sont toujours une part indispensable de la réponse globale.

VIH et hépatites virales : des données globales

En 2018, sur 37,9 millions de personnes vivant avec le VIH, seulement 23,3 millions ont accès à un traitement anti-VIH. Jusqu’au début des années 2000, la mortalité due au VIH est de presque 3 millions de personnes par an. Cette courbe commence à s’infléchir arrivant tout de même à 2 millions de morts en 2018, ont rappelé des orateurs-rices à l’Afravih. En Afrique, concernant la stratégie 90-90-90 (1) : 79 % des personnes qui sont séropositives connaissent leur statut sérologique. Parmi ces personnes : 78 % ont accès à un traitement et parmi ces personnes sous traitement : 86 % ont une charge virale indétectable, ce qui fait à peine une personne sur deux qui est séropositive en charge virale indétectable, ce qui amène à poser la question de la part des échecs thérapeutiques.

La principale définition de l’échec thérapeutique se caractérise par une réplication virale, du fait d’un traitement non efficace ou insuffisamment pris. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d’une réplication virale dès lors qu’une personne présente, par deux mesures consécutives à trois mois d’intervalle, une charge détectable. Le seuil retenu dans les recommandations de l’OMS est de 1 000 copies/ml. Autrement dit, pour l’OMS, une charge virale est détectable si supérieure à 1 000 copies/ml. Ce seuil est de de 200 aux États-Unis et de 50 copies/ml en France. Il était, selon les recommandations internationales, supérieur à 10 000 copies en 2006, passant au seuil de 5 000 copies en 2010 et de 1 000 aujourd’hui. Mais l’OMS envisage de le baisser, car ce chiffre est « discuté » par les experts-es. C’est le cas du professeur Souleymane Mboup (pharmacien, virologue, Dakar, Sénégal) qui est très critique sur ce seuil retenu par l’OMS, en rappelant que la priorité doit se porter à viser que la personne soit indétectable.

L’échec thérapeutique semble avoir pour cause principale, une mauvaise observance. C’est-à-dire la difficulté à prendre le traitement tel qu’il a été prescrit. Dans les causes expliquant cette mauvaise observance, il est constaté que plus le nombre de comprimés est élevé, plus grand est le risque que l’observance thérapeutique soit plus difficilement atteignable et maintenue sur la durée. À cela s’ajoutent, dans certains cas, des erreurs de prescription. Il ne faut pas non plus sous-estimer dans certains pays le poids de la médecine traditionnelle.
Aussi bien dans les pays développés que ceux à ressources limitées, la première évaluation se portera sur l’observance. Dans les pays développés, les plateaux techniques disponibles vont permettre de faire, dès l’apparition des signes d’échec thérapeutique, un contrôle complet de la charge virale ainsi que des tests de résistance et un dosage plasmatique du médicament. Dans les pays à ressources limitées, où l’on ne dispose pas de tous ces moyens pour toutes les personnes suivies, c’est la recherche de comorbidités qui primera et éventuellement, si cela est possible, un « monitorage de la charge virale » (surveillance de la charge virale) aura lieu. La grande différence sera la méthode pour trouver une solution pour contrer l’échec thérapeutique, les pays développés ayant accès à de nouvelles molécules qui le permettent ; ce qui n’est pas forcément le cas dans les pays à ressources limitées. Il existe des cas où la charge virale est indetectable, mais où la restauration immunitaire ne se fait  pas, malgré les traitements. Dans ce cas, on ne parle pas à proprement dit d’échec, cependant il est nécessaire de bien surveiller la charge virale et l’éventuelle apparition de comorbidités.

Concernant les hépatites virales, là encore les chiffres marquent. En 2015, le paludisme, le VIH, la tuberculose représentaient près de 3 millions de morts annuels. Sur la même période, les hépatites virales représentaient entre 1,3 et 1,4 million de décès, soit presque autant que la tuberculose dont environ 800 000 imputables à l’hépatite B chronique et 400 000 attribuables aux conséquences de l’hépatite C chronique.

Pour l’hépatite B, il est essentiel de rappeler que depuis 1989, date à laquelle seulement 23 pays disposaient d’un vaccin, tout a bien changé. En 2019, ce sont 189 qui disposaient de ce vaccin. Pour le moment, le nombre de cas progresse, même si la recommandation de vaccination chez le nourrisson a permis de ralentir la progression. Les experts-es misent maintenant sur 2030 pour espérer une inversion de la courbe, tout en rappelant que la couverture vaccinale doit être complétée par la mise en place d’un protocole de traitement par ARV, lorsqu’un diagnostic est opéré. L’une des propositions est de proposer la première injection vaccinale anti-VHB juste après la naissance (24/48h). Une injection à la naissance permet de réduire le risque d’infection à l’hépatite de trois à dix fois par rapport à une personne non vaccinée et de deux à six fois par rapport à une personne qui a une injection dans les six premiers mois.

Concernant l’hépatite C (VHC), il n’y a, à ce jour, aucun vaccin, mais un traitement par AAD (antiviral à action directe) qui est très efficace. Mais pour cela, il est nécessaire que les personnes infectées connaissent leur statut sérologique ! Actuellement, au niveau mondial, on estime que seulement 20 % des personnes infectées connaissent leur statut. Alors que l’épidémie est présente presque de la même façon dans le Nord que le Sud (exception de l’Amérique qui concentre deux à trois fois moins de cas que l’Europe ou l’Afrique), il n’y a que l’Europe et le Pacifique qui arrivent à dépister leurs populations et encore dans une trop faible proportion. Afin de mettre fin à l’épidémie de VHC, nous devrions aborder la lutte avec une approche micro, c’est-à-dire par populations cibles et une approche macro par une sensibilisation et une proposition de dépistage en population générale.

Par exemple, pour l’Europe, il faudrait passer de 150 000 patients-es traités-es en 2015 à 187 000 en 2025. Pour cela, le développement du dépistage est indispensable. À cela s’ajoute la surveillance pour éviter de nouvelles infections, à défaut d’avoir un vaccin ou une prophylaxie préventive. Aujourd’hui, la meilleure approche est celle de l’approche micro-populationnelle et notamment les personnes consommatrices de produits par injection qui sont aujourd’hui atteintes via l’approche communautaire. Cela pose donc la question du déploiement de l’approche communautaire dans des lieux spécifiques pour les personnes consommatrices de produits par injection.

Margot Andriantseheno, Emmanuel Bodoignet, Fred Lebreton et Jean-François Laforgerie.

 

(1) À l’horizon 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique ; 90 % de toutes les personnes vivant avec le VIH dépistées reçoivent un traitement antirétroviral durable ;  90 % des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée, selon la définition de l’Onusida.