Dépistage communautaire à Haïti

Publié par Fred Lebreton le 03.06.2021
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Initiativedépistage

En 2018 en Haïti, plus de 160 000 personnes vivaient avec le VIH, dont seulement 58 % étaient sous traitement antirétroviral. Cette même année, 7 300 personnes étaient nouvellement infectées. La prévalence du VIH en 2018 en Haïti était de 12,9 % chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) qui constituent une population clé d’un point de vue épidémiologique dans ce pays. Cependant, peu de données existent sur cette population et les facteurs associés à un test positif dans le cadre du dispositif communautaire. Une nouvelle étude donne des clés de compréhension.

Homophobie d’État

En Haïti, les hommes gays et bisexuels subissent de nombreuses discriminations encouragées par des propositions de lois clairement homophobes. Les projets de loi Cantave (interdiction de toute activité publique LGBT et non-délivrance de certificat de « bonnes mœurs » permettant l’accès à un emploi ou l’obtention d’un visa, etc.) et Sénatus (interdiction du mariage de personnes de même sexe notamment) porteraient ainsi lourdement atteinte aux droits des personnes LGBT s’ils venaient à être adoptés, entretenant une homophobie importante. Ces projets de lois ont été adoptés par le Sénat en 2017 et sont bloqués depuis à l’Assemblée. C’est dans ce contexte que Charlot Jeudy, activiste haïtien ouvertement homosexuel, a été assassiné en novembre 2019 (1). L’assassinat du militant de l’association Kouraj a eu un fort retentissement dans le pays, comme à l’étranger. Les experts-es du VIH s’accordent à dire que ces discriminations et le contexte politique homophobe éloignent les HSH de l’accès à la prévention, au dépistage et au soin et les exposent, de ce fait, davantage au risque de contracter le VIH et des IST.

Dépistage communautaire

En 2015, l’association haïtienne Volontariat pour le développement d’Haïti (VDH) a lancé un dispositif de dépistage du VIH par test rapide à orientation diagnostique (trod) communautaire mis en œuvre par des travailleurs pairs issus de la communauté HSH (et des travailleurs-ses du sexe) et œuvrant auprès de structures locales médicales et communautaires. Forte de son expérience dans le dépistage communautaire, AIDES a pu s’impliquer dans ce projet en soutien à la formation et à la recherche. Les conclusions de cette étude publiées dans la revue scientifique le Bulletin de la société de pathologie exotique mettent en évidence un besoin en informations et en dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) en plus du VIH, notamment pour les personnes consommatrices de produits psychoactifs. Par ailleurs, l’étude montre que les jeunes HSH pratiquant le travail du sexe sont plus susceptibles d’être dépistés positifs au VIH.

7 % de résultats positifs

Tous les HSH inclus dans cette analyse effectuaient un Trod pour la première fois, et plus du tiers déclaraient qu’il s’agissait de leur premier test de dépistage du VIH au cours de leur vie. Entre juillet 2015 et avril 2018, 1 416 HSH ont pu bénéficier d’un Trod dont 7 % avaient un résultat positif. Avec un âge médian de 25 ans, deux tiers d’entre eux étaient en situation de précarité financière (68,6 %). Une analyse a montré que deux facteurs étaient significativement associés à un résultat positif au VIH : avoir eu une IST dans les douze derniers mois (facteur accentué lorsqu’il est combiné à une consommation de produits psychoactifs) et la pratique du travail du sexe dans les douze derniers mois (facteur accentué par l’appartenance à la classe d’âge des 18–20 ans).

Succès et après ?

En conclusion, les auteurs-rices de cette étude estiment que « ce programme de dépistage communautaire a atteint, avec succès, des HSH en Haïti qui n’avaient jamais réalisé de test rapide du VIH, dont 7% ayant eu un résultat positif (…). Le dépistage communautaire est essentiel pour atteindre les populations qui n’ont pas accès à un système de santé. Il  mérite ainsi un passage à l’échelle ». Les auteurs-rices précisent que des programmes de dépistages communautaires sont en cours de mise en œuvre comme le projet Principe impliquant AIDES et des associations communautaires haïtiennes et dominicaines. En espérant que d’ici là, les projets de lois homophobes ne soient pas définitivement adoptés, ni promulgués, ce qui aurait pour conséquence de fragiliser encore plus une population déjà très stigmatisée en Haïti.

Références : Dépistage communautaire et facteurs associés au VIH d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) en Haïti entre 2015 et 2018. T. ALAIN, V. VILLES, J.-M. Mérisier, V. Dimanche, G. Quatremère, C. Audemard, S. Lustin, † C. Jeudy, J. Erol, A. Descardes, D. Michels, D. Rojas Castro.

(1) : Le 25 novembre 2019, le corps de Charlot Jeudy est retrouvé sans vie à son domicile de Vivy Michel, une localité de la commune de Pétion-Ville. Selon les premières informations, Charlot Jeudy serait mort empoisonné ou étranglé. Toute la lumière sur les circonstances de son décès n'a pas encore été faite. Charlot Jeudy fait partie des co-auteurs-rices de cette étude.