Dépister et traiter les plus vulnérables : la clef de la fin de l’épidémie

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 07.03.2018
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ConférencesCROI 2018

A côté de l’innovation thérapeutique, la recherche de nouveaux moyens ou méthodes, pour donner accès à la prévention et au traitement, tient la part belle à Boston. Les tentatives de terrain évaluant l’intérêt de nouvelles interventions sont nombreuses et donnent des indications utiles pour mieux protéger ou bien traiter les personnes les plus exposées ; en première ligne : les femmes et les personnes vivant en Afrique subsaharienne.

Renee Heffron (photo de Liz Highleyman).

Repérer et intervenir auprès des micro-épidémies dans les zones rurales d’Afrique du Sud

Des techniques de biologie moléculaire ont été utilisées pour voir si les phénomènes de migrations sont associés à l’entretien de l’épidémie dans les zones rurales d’Afrique du Sud. En se fondant sur les données du Kwazulu-Natal, où toute la population est dépistée chaque année, on a étudié, sur le plan moléculaire, les virus des personnes dépistées positives et on a pu repérer un cluster très différent des autres : dans ce dernier, il y avait plus d’hommes qui travaillaient à plein temps et qui étaient davantage éduqués. De plus, 40 % des personnes de ce cluster habitaient dans un village où la majorité des infections de la région se produisent (présence de chauffeurs routiers et prostitution) et 40 % dans un autre village spécifique à ce cluster où il y a de nouvelles zones minières. Ce type d’analyse pourrait permettre de mieux appréhender les contextes où les risques sont plus nombreux et y intervenir plus efficacement.

On traite très vite après le diagnostic à San Francisco

A San Francisco, on tente d’accélérer la mise sous traitement après un test positif. Le protocole tient dans la mise sous trithérapie dans les cinq jours, sauf en cas de risque de syndrome de restauration immunitaire grave (Iris). Pour cela, on a mis en place des centres et formé des accompagnateurs. On a augmenté la proportion de personnes séropositives sous traitement en passant de 93 à 97 % entre 2013 à 2016. On comptait 134 jours pour devenir indétectable depuis le moment du diagnostic en 2013 ; le chiffre est de 61 jours trois ans plus tard. Au final, les équipes ont réussi à tripler le nombre de personnes mises sous traitement en moins de cinq jours. Tous les groupes ethniques ont vu ce délai s’améliorer, ce qui est une bonne nouvelle. Une personne dépistée sur six ne commence cependant pas le traitement, pour des raisons qui restent à analyser.

La prévention combinée réduit l’incidence dans les zones de pêche en Ouganda

Une étude de cohorte a été effectuée dans une zone de pêche en Ouganda, près du lac Victoria où l’incidence du VIH est très élevée. Une zone marquée par beaucoup de mobilité et de travail du sexe. Quelque 5 000 participants ont été inclus. La couverture en antirétroviraux est passée de 19 % à 81 % pour les personnes séropositives et le taux de personnes en charge virale indétectable parmi les personnes sous traitement est passé de 33 à 78 % en cinq ans. La proportion d’homme circoncis a augmenté de 39 à 63 %, les jeunes étant les plus nombreux à être circoncis. Entre 2012 et fin 2016, l’incidence est passée de 4 à 1,6 personne-année, bien que les comportements sexuels et les prises de risques aient peu évolué selon les auteurs. Le nombre de nouvelles infections a d’ailleurs reculé dans de plus fortes proportions chez les femmes, preuve qu’une politique de circoncision chez les hommes, combinée à l’efficacité du Tasp donne des effets concrets et rapides sur l’épidémie.

Dépistage à domicile et traitement immédiat

Un essai randomisé nommé Cascade a été réalisé au Lesotho (Afrique australe) dans des zones rurales. Une campagne de proposition de dépistage du VIH au domicile des personnes a été menée. Les personnes dépistées positives ont alors été réparties au hasard, soit elles étaient envoyées vers l’hôpital, soit on leur donnait directement et immédiatement à domicile une trithérapie pour un mois, avec un suivi à l’hôpital. Les chercheur-e-s ont regardé s’il y avait des personnes perdues de vue trois mois après, et combien des personnes suivies étaient indétectables un an plus tard. Selon l’étude : 70 % des personnes restent dans le soin si le traitement a été initié à domicile contre 40 % s’il est initié à l’hôpital. La charge virale est également plus souvent indétectable chez celles et ceux qui ont commencé le traitement à la maison. Une preuve qu’aller vers les personnes pour proposer un dépistage et/ou traiter sans perdre de temps, dans un contexte de proximité et rassurant pour les personnes permet un meilleur suivi et un maintien dans le soin qui permet d’aller vers l’indétectabilité.

Les spécificités et sur-risques tout au long de la vie des femmes

Le microbiome vaginal joue un rôle majeur dans l’acquisition du VIH. En Afrique, les femmes acquièrent l’infection, plus jeunes que les hommes. Elles représentent la majorité des personnes vivant avec le VIH du continent. Indépendamment des facteurs de vulnérabilité sociale, les chercheur-e-s se sont intéressés aux facteurs de vulnérabilité biologique des femmes. Le microbiome vaginal est la composition bactérienne du vagin, qui constitue l’ensemble de la flore microbienne, et ce microbiome peut être parfois déséquilibré. De nombreuses maladies sont associées à un déséquilibre de cette flore vaginale. Certains déséquilibres peuvent entrainer des lésions de la muqueuse. Le déséquilibre le plus fréquent est la vaginose caractérisée par le manque d’une bactérie, le lactobacille entrainant une baisse de l’acidité du vagin (le PH vaginal). Or, contre les infections vaginales, la plus importante et la plus naturelle des protections est une flore vaginale saine. Les lactobacilles y tiennent le rôle principal : ils assurent l’acidité du milieu (pH 4,0 – 4,5) en produisant de l’acide lactique et empêchent ainsi la croissance de germes pathogènes. Reste que la flore vaginale est soumise au cours de la vie et des cycles menstruels à de fortes fluctuations du pH : moins acide, le pH est moins protecteur. Les déséquilibres du pH de la flore vaginale augmentent le risque d’acquisition du VIH de près de quatre fois.

La composition de la flore vaginale semble donc jouer un rôle dans le taux de protection insuffisant des microbicides vaginaux ; dans l’essai Caprise où la protection était en moyenne de 40 %, celle-ci était de 60 % chez les femmes ayant des lactobacilles majoritaires, signe d’une meilleure santé vaginale. Aussi, le mécanisme de ce déséquilibre de la flore a des interférences dans la concentration du ténofovir (ténofovir disoproxil, ou TDF) et donc sa concentration dans les tissus vaginaux. En revanche, le nouveau TAF (ténofovir alafénamide) ne serait pas sensible à la composition de la flore vaginale. Cependant, concernant la prévention des IST comme du VIH, la prise en compte de microbiome reste cruciale pour réduire la vulnérabilité biologique des femmes.

La transmission chez les femmes en Afrique est majorée pendant la grossesse et après l’accouchement

Il existait déjà des études, mais assez contradictoires sur ce sujet. Il fallait donc avoir des données sur la fréquence des rapports sexuels non protégés pendant cette période, pour calculer un taux de transmission par acte sexuel. Les auteur-e-s de cette étude ont utilisé les données de cohorte et d’essais de Prep en Afrique subsaharienne. Ils ont confirmé une multiplication du risque par deux en période précoce de la grossesse, de trois en stade tardif de grossesse et de quatre, juste après l’accouchement. Il est donc important de répéter le dépistage pendant la grossesse des femmes qui ont des rapports sexuels et proposer la Prep quand elle semble nécessaire.