Des femmes séropositives stérilisées de force

Publié par jfl-seronet le 18.03.2020
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Monde

Une cinquantaine de femmes sud-africaines vivant avec le VIH a été stérilisée de force à l'hôpital, il a y quelques années. C’est ce que révèle une enquête, publiée le 24 février dernier, aux termes de plusieurs années de recueil de témoignages. Cette enquête a été lancée en 2015 lorsque deux organisations de défense des droits des femmes ont approché la Commission pour l'égalité des sexes en Afrique du Sud (CGE) avec 48 cas documentés de stérilisation forcée. Ce rapport n’est pourtant pas une première.

Crédit photo : Alon Reininger

C’est donc cinq ans après son lancement que sort le rapport d’enquête de la Commission pour l'égalité des sexes (CGE) en Afrique du Sud. Dès 2015, le CGE avait réuni des témoignages sous serment de plusieurs plaignantes faisant état de ces stérilisations forcées, réalisées sans le consentement des femmes concernées. « Toutes les femmes qui ont déposé plainte étaient des femmes noires qui étaient majoritairement porteuses du VIH », a déclaré la cheffe du CGE, Keketso Maema, citée dans ce rapport publié le 024 février. « Alors qu'elles étaient sur le point d'accoucher (...) elles ont été contraintes ou forcées de signer des formulaires dont elles ont appris par la suite qu'il s'agissait de formulaires de consentement permettant par divers moyens à l'hôpital de les stériliser », selon les termes du rapport.

Les cas répertoriés ont eu lieu entre 2002 et 2015. Au cours de la réalisation du rapport, des enquêteurs-ses ont découvert que du personnel hospitalier allait jusqu’à menacer de refuser de prodiguer des soins médicaux à ces femmes si elles ne signaient pas ces formulaires. Certaines des plaignantes ont expliqué avoir reçu ces formulaires alors qu'elles vivaient des moments de « douleur extrême » (grossesse difficile, par exemple). Des moments au cours desquels elles ne pouvaient pas comprendre pleinement leur contenu, ni donner un consentement éclairé.

Toutes ces femmes ont accouché par césarienne, facilitant une intervention chirurgicale de stérilisation, note le rapport. Reste que la césarienne était aussi à l’époque la technique recommandée pour limiter le risque de transmission de la mère à l’enfant au cours de la naissance. Toujours, selon le rapport, les femmes concernées ont été nombreuses à tomber en dépression après avoir découvert qu'elles ne pourraient plus avoir d'enfants, et certaines ont été abandonnées par leur conjoint, indique l’AFP.

Une des femmes victimes a déclaré aux enquêteurs-ses qu'elle avait découvert tardivement que ses trompes de Fallope - une des parties constituantes de l'appareil génital féminin et dont le rôle est indispensable dans le processus de reproduction - avaient été sectionnées après un accouchement. Elle a découvert ce qui lui était arrivé plusieurs années après avoir consulté un médecin privé pour comprendre son infertilité nouvelle. Après son accouchement, elle était restée à l'hôpital pendant une période anormalement longue pour être soignée pour une infection de sa cicatrice après une césarienne. « Elle (...) n'a jamais été informée de ce qui lui était arrivé », selon les termes du rapport, citant des extraits de son témoignage.

Une autre plaignante, obligée de signer les formulaires qui demandait à l'infirmière pourquoi elle devait le faire, s'est entendue répondre : « Vous les gens porteurs du VIH vous ne vous posez pas de questions quand vous faites des bébés. Pourquoi posez-vous des questions maintenant, vous devriez être stérilisés, les personnes vivant avec le VIH, vous aimez faire des bébés, et ça nous ennuie. Signez les formulaires et partez ». La Commission pour l'égalité des sexes a conclu que ces femmes ont été exposées à des violations graves des droits humains et subi « des traitements dégradants ». Elle accuse le personnel hospitalier mis en cause d'avoir failli à leur « obligation de soins ».  Ce rapport a été officiellement communiqué au ministère sud-africain de la Santé, qui n'a pas souhaité s'exprimer dans l'immédiat. Le nombre total de personnes vivant avec le VIH en Afrique du Sud est passé d'environ 4,64 millions en 2002 à 7,97 millions en 2019, selon des statistiques gouvernementales. En 2019, 13,5 % de la population totale en Afrique du Sud vivait avec le VIH.

Ce n’est pas la première fois qu’un rapport officiel met en cause cette pratique de la stérilisation forcée. En septembre 2014, le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) publiait un document intitulé « Protéger les droits des femmes et filles affectées par le VIH en milieu sanitaire ». Le rapport mettait en lumière la persistance de cette pratique, de même que toute une série d’autres formes de maltraitance grave à l’encontre des femmes, des personnes handicapées ou vivant avec le VIH, des membres de communautés autochtones ou de minorités ethniques, des personnes transgenres ou intersexes. « Non seulement ces pratiques sont discriminatoires, mais elles constituent une violation des droits humains fondamentaux », expliquait alors le Pnud.

En 2012 déjà, la Commission mondiale sur le VIH et le droit rapportait dans son bilan des « pratiques coercitives et discriminatoires » qui « sévissent dans les milieux sanitaires, comme le dépistage obligatoire du VIH, la divulgation d’informations confidentielles et le refus de délivrer des soins des services sanitaires, ainsi que les stérilisations ou avortements forcés ». La commission invitait les pays concernés à « interdire des pratiques comme les avortements forcés et la stérilisation imposée à des femmes ou des filles vivant avec le VIH, ainsi que d’autres formes de violence envers les femmes et les filles dans les milieux sanitaires ». Elle citait notamment l’exemple de la Namibie. En 2012, la Cour suprême du pays s’était prononcée en faveur de trois femmes qui affirmaient avoir été stérilisées sans leur consentement éclairé.

« Bien que le juge n'ait établi aucun lien direct entre la séropositivité de ces femmes et leur stérilisation, sa décision ouvre la voie à des actions judiciaires par d'autres femmes qui prétendent avoir été contraintes de subir une stérilisation du fait qu'elles étaient contaminées par le virus qui provoque le sida, dans le cadre d'un effort visant à ralentir la propagation de la maladie dans ce pays du sud de l'Afrique. Ces femmes ont indiqué qu'on leur avait remis des formulaires autorisant la procédure juste avant ou après avoir donné naissance à leur enfant par césarienne, qu'elles l’ont signé à leur insu, alors qu'elles souffraient de douleurs aiguës ou qu'elles étaient en travail. Cette décision importante réaffirme les droits fondamentaux de toutes les femmes à bénéficier du principe primordial de consentement éclairé et souligne la vulnérabilité spécifique aux femmes et aux filles vivant avec le VIH en ce qui concerne leurs droits reproductifs », détaillait alors un communiqué du Pnud.

Comme le rappelait le Pnud en 2014, les premiers cas de stérilisations contraintes et d’avortement forcés sont anciens. Les premiers cas ont été documentés en 2001.De nombreux rapports sur des pays, tels que le Chili, le Venezuela, le Mexique, la République dominicaine, l'Indonésie, le Kenya, la Namibie, la Tanzanie, la Thaïlande, l'Ouganda et la Zambie ont été publiés à ce sujet. Des femmes vivant avec le VIH y  indiquent qu'elles se sont vues refuser l'accès aux services sanitaires liés au VIH à moins d'accepter de subir un avortement ou une stérilisation.